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« La Datar et la naissance de la politique française de l’environnement (1962-1972) »

Auteur : Serge Antoine
source : Une certaine idée N° 5  1999

Parce que la Datar, née en 1962, avait pour vocation de se préoccuper du territoire global, elle ne pouvait pas, il y a dix ans, passer à côté de l’émergence de ce que l’on appelle aujourd’hui, « la politique de l’environnement » et ne pas y contribuer. Elle a, en fait, joué un rôle, à mon avis décisif, dans cette naissance, plus décisif qu’on ne pense quand on se réfère au contexte d’alors, dans notre pays, fait d’indifférence ou d’insouciance.
Ces années 1960 étaient, en effet, marquées par la priorité à la « transformation du pays » (J. Monod) et à un développement national de plein-emploi, de forte dynamique, d’urbanisation et d’armature urbaine, de grande mutation agricole et rurale. La fragilité de l’écologie n’était pas, à première vue, un souci pour l’opinion publique, ni pour les autorités locales, ni pour les entreprises.
Le monde scientifique était, dans l’ensemble, peu moteur. Je me rappelle même la difficulté qu’a connue Louis Armand, tout académicien qu’il était, pour faire passer le mot « environnement » qui, d’origine anglo-saxonne, disait-on, était quelque peu récusé en France.
L’opinion publique était, elle aussi, très peu porteuse, si peu qu’en 1967 Le Canard enchaîné ironisait sur l’idée de parcs naturels régionaux :
La France n’est-elle pas si belle et vraie dans sa campagne qu’il faille une étiquette pour ses sites naturels ?
Les « grandes » catastrophes n’étaient pas encore là pour la prise de conscience ; le Torrey Canyon (1967) était une « première ». Quant aux associations, elles naissaient à peine et, presque toujours, pour des motifs locaux.
La dimension internationale était encore à nos portes : en 1970 se préparait la conférence de Stockholm après l’Unesco pionnière ; l’Amérique était, certes, en avance mais les observateurs (Servan-Schreiber) ne le percevaient pas.
Combien anticipatrice apparaît alors avoir été la phrase d’Olivier Guichard dans son livre Aménager la France (1965) :
La protection de la nature est devenue un problème politique.
L’apport de la Datar qu’il dirigeait, quel était-il ? Pour l’eau, le littoral, les parcs régionaux, il a tiré la locomotive.
Le premier apport a été la naissance de la politique de l’eau. Le Secrétariat permanent pour l’étude des problèmes de l’eau (Spepe) avait été créé en 1960, en mitoyenneté entre le ministère de l’Intérieur et le Commissariat général du Plan.
Yvan Chéret, qui en était le patron, fut mis, en 1962, à disposition de la Datar. Il prépara, en deux ans, la loi sur l’eau, qui fut votée en décembre 1964 : un monument exemplaire dans le monde avec ses six agences financières de bassin, dotées d’un financement incitatif, déjà fondé sur le système du « pollueur-payeur1 ».
Le Conservatoire du littoral
Autre apport de la Datar ; le Conservatoire du littoral fut une institution originale, pensée vers 1970 par Michel Picquard et moi. Il s’agissait de contrecarrer la tendance au « mitage » des côtes et d’équilibrer la compétition d’activités sur les 5 500 kilomètres du linéaire côtier français. Nos amis britanniques, avec leur National Trust, avaient ouvert la voie en faisant appel à l’argent citoyen pour racheter leur littoral encore naturel. Il ne fut pas possible de faire la même chose chez nous et la Datar dut faire appel aux crédits de l’État. Ce fut une réussite. Sa structure appuyée sur des conseils de rivages a apporté à la France le moyen de préserver, en vingt ans, plus de 10 % de son linéaire côtier.
Le Conservatoire, dont Olivier Guichard a été l’artisan, fut créé par la loi en 1975 (après le rapport Picquard écrit en 1974). Son premier titulaire a été Robert Poujade. Je favorisai sa localisation à la Corderie royale de Rochefort, en même temps que j’y fis héberger la Ligue de protection des oiseaux, puis, plus tard, le Centre culturel de la mer. Le Conservatoire français est aujourd’hui un modèle de référence pour d’autres pays.
Les parcs naturels régionaux
Les parcs naturels régionaux ont été, entre 1965 et 1967, apportés par la Datar à la politique de l’environnement. On le doit à Olivier Guichard qui, en arrivant un lundi matin, en 1963, à la réunion des chargés de mission, y lança l’idée d’un « parc de nature et loisirs » proche de la métropole lilloise. C’est Henri Beaugé, chargé de mission à la Datar, qui proposa d’élargir cette intention. Leur création a aussi bénéficié du modèle des parcs régionaux allemands (le Luneburger Heide) et de la naissance des parcs nationaux français, créés par la loi du 22 juillet 1960 mais parfois bloqués (par le droit de chasse).
Il fallait aider à trouver un costume de protection pour de nombreuses zones habitées qui ne pouvaient être traitées dans le « sanctuaire » des parcs ou même en « zone périphérique », et épauler aussi le tiers rural de la France en déclin prononcé (entre 1950 et 1975, 50 000 exploitations avaient disparu).
Une rencontre fondatrice eut lieu en 1966 à Lurs, dans les Alpes-de-Haute-Provence. On doit très largement la réussite de ce rendez-vous à Jean Blanc, un ancien berger transhumant de Provence qui me fut présenté à Saint-Véran. Il fut au cœur de la réflexion et du choix des quelque cent trente-cinq personnes venues là pendant quatre jours, à l’abri du quotidien. Georges Pompidou poussa quelque six préfets, et non des moindres, à s’y rendre.
Plusieurs orientations ont été alors dessinées :
– les parcs ne seront pas des musées, mais des lieux de mémoire ;
– les parcs seront dans la vie, dans le développement (on ne disait pas encore « durable »), dans l’architecture contemporaine, ce seront des lieux d’innovation et d’expérimentation ;
– les parcs seront culturels ou ils ne seront pas ;
– statutairement (et on le doit beaucoup au jeune auditeur au Conseil d’État d’alors, Jean-François Thery), les parcs ne seront pas dotés de législation d’exception et on fera appel, pour la première fois en France, au droit contractuel entre l’État et les collectivités territoriales, sous la forme d’une « charte ».
Puis une mission fut composée (merci à Michel Parent et au concours, par lui, du ministère de la Culture), pour prospecter en France des sites possibles pour de futurs parcs. Enfin, une école un peu exceptionnelle (école sans murs) fut ouverte pour former les quelque quinze candidats (fonctionnaires et non-fonctionnaires) qui passèrent un an en caravane spécialement équipée à travers toute l’Europe, au Japon, aux États-Unis, au Canada, pour voir les réponses faites ailleurs dans le monde à la question de la protection de grands espaces.
L’épisode de la mise en place institutionnelle des parcs naturels régionaux mérite d’être conté : un texte, destiné surtout à protéger l’appellation, fut préparé ; parce qu’il ne créait aucune disposition juridique particulière dans les parcs et que les parcs étaient définis comme territoires « beaux, à protéger, et ce avec l’adhésion des populations », le Conseil d’État hésita à trouver ce morceau de bravoure justiciable d’un décret. Le texte était en panne. Peu après, Jean Maheu, conseiller technique à l’Élysée, et qui avait été à Lurs, en parla, en voiture, au général de Gaulle et l’on vit avec étonnement ce texte « flou » être revêtu de la signature du président de la République (décret du 1er mars 1967).
Aujourd’hui, trente-deux ans après, les parcs naturels régionaux sont au nombre de trente-deux ; dix candidatures montrent que l’appétit est encore là. D’ailleurs, si l’on en juge en termes de prospective, l’avenir est prometteur : 10 % du territoire en France est couvert par des parcs, des réserves et le linéaire protégé du Conservatoire du littoral. Près du tiers des régions d’agriculture non productiviste auront, dans quelques années, en Europe, un statut spécial où protection et développement durable devront se conjuguer. Les parcs régionaux sont maintenant un élément fort du dispositif que l’on pourrait qualifier « d’armature rurale » ou encore « d’aménagement fin du territoire » (R. Poujade). René Passet et Claude Lefeuvre dans Héritiers du futur (1995) plaident pour un schéma national des espaces et de couloirs en forme d’« infrastructure verte ».
Au-delà de ces trois apports
Ces trois apports décisifs à la politique d’environnement sont ceux que l’on peut bien identifier. Mais, plus largement, l’attention au respect de ce que l’on n’appelait pas encore « l’environnement » dans la durée longue était bien en germe dans les différents programmes et plusieurs actions de la Datar.
Contrairement à ce que l’on pense, tout n’était pas fait alors de productivité et d’expansion ; les Trente Glorieuses ont bon dos. La Datar était plus inquiète qu’on ne le croit de l’avenir et se préoccupait des avenirs possibles de la société.
Les grands exercices de prospective2 n’étaient pas pour elle des alibis. Les grandes infrastructures, la politique des métropoles d’équilibre, le freinage de la croissance de la région parisienne (+ 80 000 habitants par an, encore aujourd’hui) n’étaient pas des fins en soi mais des objectifs de demi-siècle.
Cette prospective qui mobilisa notamment Bertrand de Jouvenel et Fernand Braudel, deux pionniers du temps long, faisait aussi place, dans d’autres actions de la Datar, à des « précautions » pour l’avenir. Ainsi l’aménagement des stations touristiques du Languedoc-Roussillon (qui débute en 1963) se fait avec une forte maîtrise foncière pour garder intacts des grands espaces et des « fenêtres » naturelles sur la mer, et pensons aussi aux débuts de la Mission touristique Aquitaine (en 1967 avec Philippe Saint Marc).
Là prirent racine des initiatives pour la pédagogie de la nature, un peu à la manière des field centers anglais. Pensons aussi pour la Corse à Philippe Viannay, lui-même très soucieux de « la nature pour tous ». Et n’oublions pas le travail des commissaires à la montagne.
La préfiguration du ministère
La Datar a préparé l’avènement du ministère de l’Environnement et cela, en plusieurs étapes et en apportant à ce ministère quelques vertus et méthodes de travail. Jacques Belle et moi3, nous nous souvenons bien des apports premiers de la Datar.
Certes, ce n’est pas la Datar qui a proposé une institution ministérielle pour traiter de l’environnement, mais, entre 1969 et janvier 1971, elle a contribué à porter l’environnement au niveau politique sans lequel il n’y aurait pas eu ce premier ministère au monde.
Il faut le dire, une part de l’inspiration est venue des États-Unis en 1969, après une des nombreuses missions que nous y faisions, j’ai préparé une note au Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas. Celui-ci, au même moment, en recevait une de Louis Armand sur le même sujet. Il y était dit en substance que la France devait se préparer à faire face à une nouvelle problématique : celle de l’environnement.
Le 24 octobre 1969, le Premier ministre demandait à Louis Armand un rapport sur ce sujet4 et au délégué à l’Aménagement du territoire un programme de mesures et d’actions.
Côté Datar, je réunis, pratiquement tous les quinze jours, un groupe de travail interministériel. Des mesures simples et, comme il était recommandé, sans coût supplémentaire, furent peu à peu identifiées et présentées en première étape au ministre du Plan d’alors, André Bettencourt, qui évalua immédiatement l’intérêt d’un tel programme. Il présenta lui-même les « 100 mesures » en Conseil des ministres le 10 juin 1970.
Parmi ces mesures, l’une d’elles consista à créer un Haut comité de l’Environnement, comprenant à la fois, les différents ministères et neuf personnalités telles qu’Hubert Beuve-Méry, ancien directeur du Monde, François Bourlière, Jean Sainteny, Philippe Viannay, Haroun Tazieff, Paul-Émile Victor.
Le 7 janvier 1971, en lisant le journal, le délégué à l’Aménagement du territoire apprit que le remaniement ministériel avait conduit le Premier ministre à créer un ministère de l’Environnement à part entière et à y rattacher les personnels qui, à cet instant d’horloge, avaient vocation à s’en occuper ou s’en occupaient déjà. Ce rattachement concerna cinq personnes de la Datar. À ce ministère « de la diagonale », la Datar laissa des manières de travailler, des habitudes propres à cette administration de mission.
Certes, dès le départ, avec le décret d’attributions du 2 février 1971, le ministère de l’Environnement allait se charger de responsabilités propres, donc d’une part de gestion. Mais il lui est resté longtemps (et il lui reste encore) des caractéristiques d’une administration de mission.
Le ministère de l’Environnement a été placé sous ce signe et, aux temps de son premier titulaire, Robert Poujade (de janvier 1971 à mars 1974), a été dirigé par un ministre « délégué auprès du Premier ministre ». Cela n’a pas duré. Et, hélas ! quelques habitudes interministérielles se sont un peu perdues. Ainsi, le Fonds interministériel pour l’environnement5 décidé en comité interministériel, présidé à ses débuts par le Premier ministre en personne, s’est peu à peu transformé en un moyen pour le ministère d’élargir, ici ou là, ses moyens financiers et a fini par être supprimé (en 1996), après avoir été progressivement réduit.
Mais il reste encore, pour ce petit ministère, une certaine facilité pour cultiver sa dimension interministérielle… quand certains ne lui coupent pas les ailes. Robert Poujade, déjà, dans son Ministère de l’impossible, parlait de « guerre de tranchées » avec l’Agriculture, sur la forêt, de la résistance du ministère de l’Industrie pour le contrôle des établissements classés, de la bataille avec la Culture pour les services chargés des sites : « Un gouvernement est rarement une équipe : chacun joue sa partie et il y a des résistances administratives », notait-il. Combien de fois Robert Poujade n’a-t-il pas entendu à son propos : « Écartez ce gêneur… » ?
La Datar, même légère et quelque peu jacobine, s’est dotée de relais dans les régions : les commissaires à la reconversion, aux zones rurales, ou à la montagne, les missions touristiques. Le ministère de l’Environnement, a fortiori, lui aussi, a eu besoin de relais sur le territoire, tant il est vrai, en paraphrasant Napoléon, qu’on « peut gouverner de loin, mais qu’on n’environne bien que de près ». Robert Poujade, dans les quelques mois de mise en place du ministère, décida de se doter de relais n’entrant pas dans la hiérarchie administrative, plutôt des sortes d’inspecteurs régionaux relevant de lui autant que des préfets. Plus encore, il fut obtenu qu’au lieu de créer des agents spécialisés, certains services départementaux – DDE, DDAF, DRIR, etc. – relèveraient, en plus de leur ministre, du ministère de l’Environnement pour les affaires de sa compétence : solution tout à fait originale dans le monde et qui fait appel, là encore, à la dimension interministérielle.
Autre dimension bien héritée de la Datar : celle de travailler en prospective à long terme. Non pas seulement parce que l’écologie, comme le devenir du territoire, l’impose, mais parce qu’il faut constamment travailler avec une société qui se transforme.
L’environnement dans son concept n’est-il pas d’abord de prendre en compte la société ? « Parler de l’environnement, c’est parler de notre société à la recherche d’elle-même », dira Robert Poujade. Cette prospective nécessaire a fait que les responsables de l’Environnement ont toujours été en phase avec les Jouvenel, les Braudel, etc.
L’aménagement du territoire, en principe cantonné dans le « pré carré », avait fait un effort constant (Jérôme Monod) pour prendre en compte la dimension internationale et respirer avec ceux qui, dans le monde, pouvaient apporter de l’air et de la hauteur. Le ministère de l’Environnement a un peu hérité de cette ouverture, mais sans doute plus naturellement du fait de l’écologie sans frontières. Dès le début (1972), la conférence de Stockholm a conduit le ministère à être présent à l’échelle internationale. Ce ministère, par nécessité, cultive l’Europe (dont les directives sont une clef de voûte politique aujourd’hui) et notre appartenance à la planète.
Le développement durable
La liaison entre environnement et développement était inscrite dans l’approche Datar des parcs régionaux ou de la politique de l’eau : elle faisait corps avec l’action régionale. C’est ce qu’on appellerait aujourd’hui du « développement durable ». Et il est bon de rappeler l’exposé des motifs du décret d’attribution du 2 février 1971 du ministère, où figure en toutes lettres « la conciliation entre la croissance économique et l’épanouissement de la vie ». « Cette visée, disait plus tard (en 1974) Robert Poujade, était ambitieuse, mais ne pas avoir d’ambition n’aurait pas de sens. »
Certes on n’en parlait pas alors, les prémisses étaient là de cet « éco-développement » né déjà au début des années 1970 à la veille de la conférence de Stockholm qui allait faire son chemin et n’a pas fini de le faire6. Le développement durable, qui se relie bien à une stratégie de territoires, ne peut qu’être endossé par une Datar attentive à la durée longue et au « ménagement » des ressources et des milieux.
Comment, dès lors, ne pas avoir souscrit à la décision prise en 1997 de réunir Environnement et Aménagement du territoire ? Les treize ministres de l’Environnement successifs depuis Poujade avaient souhaité qu’ils fussent dans la même main.

* Une certaine idée, no 5, 1999, « Aménagement du territoire. Territoire ou territoires ? ».
1. Ce principe a été lancé à l’OCDE et adopté officiellement entre 1970 et 1972.
2. La Datar n’hésitait pas à regarder loin, plus loin qu’on ne le fait aujourd’hui. En avril 1968, par exemple, elle organisa un colloque international de travail sur l’an 2050 (quatre-vingts ans d’anticipation !).
3. Jacques Belle a été le directeur de cabinet de Robert Poujade en 1971 ; moi, le chargé de mission. Nous avons tous deux, en janvier 1971, travaillé sur les textes d’attributions du ministère.
4. Louis Armand prépara ce rapport avec Bertrand Cousin et deux jeunes étudiants, François-Henri Bigard et Christian Gamier, et le remit au Premier ministre le 11 mai 1970. De nombreuses liaisons eurent lieu entre l’avenue Charles-Floquet (la Datar) et l’immeuble voisin de l’Union des chemins de fer, que présidait Louis Armand et où il organisait réunions et auditions.
5. Le FIANE ; je venais de la Datar et avais l’expérience du FIAT et j’avais aussi été à l’origine de la création du Fonds d’intervention de la culture, le FIC (en réunion avec Philippe Viannay et Paul Teitgen).
6. Ignacy Sachs et moi étions présents, avec une vingtaine d’économistes du Nord et du Sud, au séminaire de Founex, en Suisse, en 1971.
Ouvrages de référence
Aménagement et nature, no 116, Trente ans d’environnement, Noël 1994.
Serge Antoine (sous la dir. de), Revue 2000, numéro spécial L’Environnement, 1970.
Serge Antoine, « La France polluée », La Nef, no 43, juillet-septembre 1971 (numéro spécial : Demain c’est aujourd’hui).
Serge Antoine, Jean-Baptiste de Vilmorin, André Yana, Écrits francophones sur l’environnement, t. 1 : 1548-1900 et t. 2 : 1900-1996, Paris, Entente, 1991 et 1996, 342 p. et 272 p.
François Essig, Datar. Des régions et des hommes, Montréal-Paris, Stanké, coll. « Au-delà du miroir », 1979, 299 p.
Jean-Paul de Gaudemar, « Environnement et aménagement du territoire », colloque de Strasbourg, Paris, La Documentation française, novembre 1994.
Olivier Guichard, Aménager la France, Paris, Laffont-Gonthier, 1965.
Jérôme Monod, Transformation d’un pays, Paris, Fayard, 1974.
René Passet, Héritiers du futur, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 1995.
Robert Poujade, le Ministère de l’impossible, Paris, Calmann Lévy, 1974, 276 p.

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Jean-Paul Fuchs Président honoraire de la Fédération des parcs naturels régionaux sur Serge Antoine

Journée d’hommage à Serge Antoine le 4 octobre 2006

Septembre 1966, il y a quarante ans, acte de naissance des parcs naturels régionaux.
C’est donc en septembre 1966, à Lurs-en-Provence, et durant cinq jours, qu’une centaine de personnes, des sociologues, des architectes, des hommes de théâtre, des conseillers d’État, des ministres, des préfets, des présidents de grandes associations, des techniciens, des fonctionnaires se retrouvent à l’initiative de la Datar. Ils se retrouvent avec des personnalités des pays voisins pour réfléchir à une formule différente de celle des parcs nationaux. Ces derniers ont été créés quelques années auparavant sur de vastes espaces pratiquement sans habitants. Il s’agissait de réfléchir à une formule nouvelle qui fait appel à l’initiative des collectivités locales, en particulier régionales.
Parmi les pays voisins, l’Allemagne avait, à l’époque, dix ans d’avance sur la France, avec des parcs dont la direction était décidée au niveau des Länder, et dont les objectifs correspondaient à ce que la Datar recherchait en priorité, à savoir définir des lieux de ressourcement pour les citadins.
Ce colloque était préparé depuis plus d’un an par Henri Beaugé et surtout par Serge Antoine. Il était alors conseiller référendaire à la Cour des comptes, chargé de la mission à la Datar auprès d’Olivier Guichard. Déjà à l’époque, il était visionnaire, et n’avait de cesse de dénoncer les risques que nos comportements, si nous ne les modifions pas, faisaient courir à la planète. Il avait une réelle capacité à mettre en relation les personnalités de tous horizons pour leur permettre de confronter leurs idées. C’est la raison pour laquelle Lurs a été une réussite.
Quelques années après, il disait :
C’était une époque miraculeuse dont je pleure tous les jours la disparition, une époque sans cloisons, ni horizontales ni verticales.
Des réflexions de ce colloque sont sortis quelques éléments de doctrines, exposés dans le décret du 1er mars 1967 qui est l’acte de naissance effectif des parcs naturels régionaux. « Décret gazeux », disait le Conseil d’État, mais signé néanmoins par De Gaulle dans sa DS, sur le parcours Élysée-Orly. Trois idées clés se sont dégagées de ce colloque, je les cite parce qu’elles ne sont plus les mêmes aujourd’hui pour les parcs régionaux :
– équiper les grandes métropoles d’équilibre en aires naturelles de détente pour les citoyens ;
– protéger la nature et les sites sur des ensembles suffisamment vastes ;
– faire face à la revitalisation des espaces ruraux en voie de désertification.
Au fond, ce colloque a jeté les prémices du développement rural. On ne comprendrait pas les parcs naturels régionaux sans Lurs, et on ne comprendrait pas Lurs sans les individualités qui y ont participé.
Les premiers parcs créés l’ont été, non pas par les initiatives de base, mais par la Datar. Leur nombre s’accroît rapidement en 1969, on en compte déjà vingt en 1977, trente en 1995 et quarante-cinq actuellement en 2006. Ces quarante-cinq parcs couvrent 12 % du territoire français, dans soixante-huit départements métropolitains et deux départements d’outre-mer. Ils sont très variés, de 15 000 à 300 000 hectares, et de 15 000 à 250 000 habitants, et concernent plus de trois millions d’habitants. Par ailleurs, de nouvelles demandes sont actuellement en discussion.
Depuis 1967, les parcs naturels régionaux ont bien évolué. Ne peuvent actuellement être parcs naturels que des territoires au patrimoine naturel de grande qualité qui s’organisent autour d’un projet concerté de développement durable, fondé sur la protection et la valorisation de ce patrimoine naturel, culturel et humain. Plus en détail, cela veut dire :
– valoriser le patrimoine naturel, culturel, humain ;
– favoriser un développement économique respectueux de l’environnement ;
– montrer qu’écologie et économie ne s’opposent pas mais sont complémentaires ;
– faire participer les élus et la population ;
– expérimenter et évaluer.
Au fond, c’est un projet de développement durable et un exemple de démocratie participative.
Les parcs naturels ne sont pas, comme l’étaient les premiers, fondés par l’État ou par l’administration. Ce sont des élus de base, des gens sensibles aux objectifs des parcs qui se réunissent, qui expriment leurs préoccupations, généralement avec des organisations professionnelles et des associations locales. Ensemble, ils fixent des objectifs consignés dans un document : la charte. C’est un rapport écrit qui matérialise les grands principes d’intervention, les équipements à créer, les actions à soutenir, à innover, à expérimenter. Toute commune, se trouvant dans le périmètre projeté, est libre d’accepter ou non cette charte, est libre d’adhérer ou non au syndicat à constituer. C’est le ministère de l’Environnement qui décernera le label pour douze ans, après avis de la région, du Conseil national de la protection de la nature et de la Fédération des parcs. Après douze ans, on recommence, on réunit toutes les personnes pour préparer une nouvelle charte. Je préside le parc du Ballon des Vosges, et nous avons organisé 300 réunions avec tous les maires pour essayer de définir une charte et tous les douze ans, on recommence. Aucun autre organisme, en France, ne se remet ainsi régulièrement en cause pour proposer, ensuite, un nouveau projet. Les décisions sont prises par un Conseil syndical qui est composé d’élus, et c’est évidemment ce conseil qui choisit le président qui sera le patron du parc.
Que fait un parc ? La mise en œuvre porte surtout sur l’agriculture, les problèmes d’environnement, de pédagogie d’environnement, de tourisme préservant la nature, de culture, d’activités économiques. Pour se faire, un parc emploie entre trente et soixante personnes. J’ajoute que les parcs gèrent souvent des réserves naturelles, c’est-à-dire des territoires qui ont un grand intérêt écologique et sont strictement protégés.
Nos parcs diffèrent de la plupart des parcs régionaux européens, et je ne vais prendre que deux exemples. En Allemagne, les parcs ne s’occupent que d’environnement, un seul s’occupe aussi d’économie, et n’emploient que de trois à cinq personnes. Et ce sont finalement les Länder qui décident de tout et qui nomment les présidents. En Espagne, chaque région donne son propre label et la qualité des parcs est extrêmement variable parce que les critères de chaque région varient eux aussi. La plupart des pays européens, et je les connais pratiquement tous, aimerait avoir notre mode de gestion, en raison à la fois de la démocratie de base et des lignes directrices nationales qui donnent une certaine unité à l’action des parcs, et parce qu’il est garant de qualité.
C’est au niveau international que des parcs français se développent aussi. Des parcs ont été créés au Brésil, au Chili, en Côte-d’Ivoire, au Bénin, au Maroc et dans bien d’autres pays encore. La Fédération des parcs qui est à l’origine de ces créations a un soutien appuyé du ministère des Affaires étrangères qui y voit un ferment de démocratie.
Serge Antoine serait content, sa semence a bien germé. Les parcs sont de plus en plus nombreux, les parcs étrangers nous envient, des parcs à la française se créent dans le monde. Et quelques jours avant sa mort, il nous adressait le message suivant :
Il y a dans les parcs naturels régionaux un devenir fortement vivant. Ne vous sclérosez pas, restez pragmatiques, continuez à innover et à occuper le territoire !

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Jean-François Théry Conseiller d’État honoraire sur Serge Antoine

Journée d’hommage à Serge Antoine le 4 octobre 2006

Je crois que parmi toutes les facettes de l’action de Serge Antoine que la table ronde d’aujourd’hui passe en revue les unes après les autres, l’interaction entre territoire et culture est peut-être celle qui nous conduit le mieux au cœur de sa pensée.
La rencontre de Serge Antoine avec Michel Parent est essentielle pour l’élaboration de cette pensée. Serge le dira lui-même lors du jubilé des 80 ans de Michel Parent, l’homme de l’ICOMOS, l’homme du patrimoine mondial de l’Unesco. Serge disait : « Michel Parent m’a aidé à prendre en compte la dimension territoriale de tous les aspects de la culture », de cette culture en devenir qui constitue, aujourd’hui encore, notre avenir.
Avec Serge Antoine et Michel Parent, j’ai participé à deux laboratoires dans lesquels cette pensée s’est élaborée : les parcs naturels régionaux et le centre d’études sur le futur d’Arc-et-Senans. Quels ont été ces laboratoires ? Quelle est cette pensée que Serge Antoine nous lègue et qui pourrait bien aujourd’hui nous guider et nous faire vivre ? C’est ce que je voudrais essayer de vous dire en quelques mots.
D’abord, les laboratoires. Je n’insisterai pas beaucoup sur les parcs régionaux puisque le président Fuchs vient d’en parler longuement.
Comme il l’a dit, ces parcs sont nés d’une réflexion sur l’urbanisation de la France et la nécessaire articulation entre les besoins d’espace des populations urbaines, et la nécessaire sauvegarde de la nature et de la civilisation rurale. Jean-Baptiste de Vilmorin dit qu’à l’origine des parcs naturels régionaux, il y a une conception de la protection de la nature qui inclut l’homme, et Michel Parent parle d’« écologie culturelle ». La mise en place et la conception des parcs naturels régionaux est un bel exemple de ce que l’on pourrait appeler la politique expérimentale. La méthode est typique de l’action de Serge Antoine, de cette démarche d’utopie qui consiste à laisser en permanence une large place à la création personnelle et à l’initiative des hommes et des groupes de base. Serge écrit :
Le jaillissement des initiatives précède la réflexion d’ensemble. L’expérimentation peut devancer la mise en place d’une architecture.
Je vous renvoie au « petit livre rouge » de la Datar, Partage des pouvoirs, partage des décisions, élaboré en mai 1968.
Comme l’a dit le président Fuchs, la création des parcs naturels régionaux résulte très largement du colloque de Lurs qui est à quelques jours de son quarantième anniversaire. Grâce à Olivier Guichard, Serge Antoine et quelques autres, dont le commandant Beaugé, se sont réunis de nombreuses personnes différentes (géographes, fonctionnaires, sociologues, philosophes, architectes, agriculteurs, élus locaux, universitaires, etc.). Il est intéressant que tout ce beau monde ait vraiment dialogué dans un incroyable climat de liberté et de créativité. Puis, quand avec la substance de ce colloque de Lurs, on a eu fait le décret du 1er mars 1967, chaque parc est né, sous l’impulsion bien sûr de la délégation à l’Aménagement du territoire, mais surtout de l’accord des collectivités locales concernées, de la création d’une charte qui, si nous la regardons avec nos yeux et notre vocabulaire d’aujourd’hui, était une véritable charte de développement durable. Développement durable qui, selon Serge Antoine, est le nouveau nom de l’aménagement du territoire. Il s’agissait, en effet, pour les collectivités locales et les acteurs locaux, en négociation avec la Datar, de faire un choix de développement qui ne soit ni l’urbanisation ni l’industrialisation, mais un équilibre entre le respect du milieu naturel et humain et un développement fondé sur l’accueil des citadins et sur le partage, avec eux, d’une culture.
Troisième élément du laboratoire, les animateurs de parcs ont été, eux aussi, préparés à leurs tâches par une formation itinérante, sans cesse définie avec les stagiaires eux-mêmes, et qui ressemblait assez à ce que l’on a appelé par la suite une « recherche-action ». Il y a quarante ans que cela fonctionne, il y a plus de quarante-cinq parcs. Cela n’a pas été sans difficultés, sans remises en cause, sans transformations et impulsions nouvelles, mais cela vit. Et cela vit tellement bien que le gouvernement, il y a quelques années, a pris les parcs naturels régionaux pour modèles pour créer les pays, nouveaux cadres de développement de l’espace rural.
Le deuxième laboratoire : Arc-et-Senans. André Malraux voyait dans la saline royale d’Arc-et-Senans un des chefs-d’œuvre de l’architecture et il voulait que ce monument, qui est un peu le précurseur de l’architecture industrielle, retrouve une nouvelle vie. La Datar en fut chargée, une fois encore, et cette nouvelle vie naîtra du dialogue de Serge Antoine et de Michel Parent, c’est-à-dire du dialogue de l’aménagement du territoire et de la culture. À travers mille possibles entrevus, deux vocations vont s’affirmer. Arc-et-Senans sera le creuset de réflexions et d’initiatives sur l’organisation de l’espace : l’architecture avec la mise en valeur de l’œuvre de Claude Nicolas Ledoux, l’urbanisme et la prospective qui sont intimement liés. On retrouve ici le goût de Serge Antoine pour l’organisation de l’espace, goût qu’il exprimait aussi en s’occupant de l’association Vauban (il disait que, pour lui, Vauban était surtout un grand précurseur de l’organisation de l’espace.) L’urbanisme et la prospective étaient également privilégiés dans nos axes et c’est le thème de la cité idéale qui en réalise la synthèse. Et quoi d’étonnant à cela ? Utopia est une île et la démarche de Thomas More réside d’abord dans une organisation de l’espace qui exprime une organisation de la société, donc une civilisation et une culture. De la même manière, Arc-et-Senans avait été conçu par Ledoux comme une organisation de l’espace exprimant une organisation sociale, et nulle part, mieux qu’à Arc-et-Senans, on ne ressent cette articulation féconde entre territoire et culture.
La deuxième vocation d’Arc-et-Senans découle de la première, c’est la recherche sur le futur. Tout naturellement, Serge Antoine – qui avec Gérard Weil, ensuite avec Jacques Durand, avait animé le Sésame, système de recherche pour le schéma général d’aménagement de la France – pensait que toute politique d’aménagement devait s’inscrire dans l’avenir et dans la durée. C’était d’ailleurs une opinion commune à la Datar, à l’époque, et Jérôme Monod, dans son livre Transformation d’un pays paru en 1974, écrivait lui aussi :
L’aménagement du territoire a pour vocation d’anticiper sur l’avenir, et de mêler toujours aux critères économiques les aspects sociaux de la vie collective.
Voilà donc ce que je voulais dire très rapidement de ces deux laboratoires auxquels j’avais participé. Et peut-être avec beaucoup de présomption, je vais essayer d’en tirer quelques idées sur l’axe même de la pensée de Serge Antoine.
Serge a forgé une pensée très riche, très diversifiée, aux mille facettes, mais qui me paraît cependant centrée sur une conviction très forte qui est l’alliance des territoires, des cultures et des volontés d’avenir, au service de l’homme et de la liberté.
D’abord, l’alliance du territoire, de la culture et de la civilisation pour le développement. Dans tout ce qu’il a fait pour l’environnement, pour la Méditerranée, pour le développement durable, transparaît l’idée que les actions les plus globales, les plus ambitieuses s’incarnent dans le territoire. Lorsqu’il définit les régions, il qualifie cette création de géographie volontaire, il leur donne pour vocation le développement sous toutes ses formes ; il veut leur confier l’évaluation, l’orientation et l’impulsion du développement, mais nous reviendrons sur ces trois mots.
La région exercera son pouvoir sur la quasi-totalité de la vie économique, culturelle et sociale, sans laquelle il n’y a pas d’aménagement possible car l’aménagement est global ou il n’est pas.
Mais sa conception du développement se fait de plus en plus riche, et il finira par dire que l’aménagement du territoire ce n’est rien d’autre que la base du développement durable. Il dit, sur le développement durable :
Cela signifie faire un peu plus de prospective à long terme, réintégrer des valeurs dans nos systèmes de choix, affirmer des choix sociétaux, réaffirmer la solidarité entre les pays du Nord et les pays du Sud, être très attentif aux transformations géographiques, climatiques et environnementales.
En effet, ainsi défini, le développement durable est ce que Serge a fait toute sa vie.
Un mot encore cependant. Je perçois, en filigrane de toute la pensée, de toute l’action de Serge au service du territoire et des cultures, une aspiration essentielle à la liberté dans la vie personnelle comme dans la société ; liberté des hommes à laquelle il est très attentif, des hommes envers lesquels il est très respectueux, mais aussi libération des initiatives qui anime sa foi dans la décentralisation, dans l’expérimentation et quelque chose que l’on pourrait peut-être appeler « subsidiarité » au vrai sens du terme.`
L’avenir doit être ouvert et non cadenassé à l’avance par des lois ou des accords au sommet.
Le corollaire de cette libération des initiatives est la libération des collectivités, mais aussi des associations, et libération de l’État lui-même qui doit être, dit-il, libéré de la gestion par la décentralisation et qui doit retrouver sa vraie vocation. Tout à l’heure, nous parlions d’État stratège, mais, plus encore que la stratégie, la vraie vocation de l’État c’est l’évaluation, l’orientation, l’impulsion. Et je crois que ce message de liberté, cette volonté de libération est probablement l’essence, la quintessence, du message que Serge nous laisse pour ce XXIe siècle qu’il avait tant voulu préparer. Tant il est vrai, comme disait Jérôme Monod, que rien n’est plus nécessaire que de se préparer à l’imprévu.

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Henri Beaugé Ancien directeur de la Saline royale d’Arc-et-Senans et de l’Abbaye royale de Fontevraud Les parcs naturels régionaux et la Saline royale d’Arc-et-Senans sur Serge Antoine

Journée d’hommage à Serge Antoine le 4 octobre 2006

Serge Antoine a eu la chance, que nous sommes plusieurs à avoir partagée, d’appartenir à un organisme comme la Datar, dirigée par un leader comme Olivier Guichard, à une époque où la remise en ordre du territoire national orientait et stimulait les énergies. Serge et Olivier, au-delà des différences qui les distinguaient tous deux, appartenaient à cette catégorie d’« entrepreneurs » à l’intelligence exceptionnellement inventive et fertile.
Véritables « pourvoyeurs d’aventure », ils accordaient à ceux qui prenaient la route avec eux cette faculté d’entreprendre qu’accompagne la joie d’être responsable. Âpre joie qui vivifie l’entreprise et qui permet à chacun de se réaliser pleinement. Ce fut le cas pour de nombreuses actions qui ont marqué les années 1960 à 1980 :
– le Plan et l’indispensable « prospective » ;
– la division de la France en régions, la décentralisation ;
– les autoroutes ;
– l’aménagement du Languedoc-Roussillon ;
– l’environnement, les parcs naturels régionaux ;
– le Conservatoire du littoral et bien d’autres…
« Un poumon de verdure aux environs de Lille, une attention plus soutenue aux paysages naturels, voire à leur restauration, l’équipement culturel… la conversion des charbonnages du Nord est aussi à ce prix… » avait résumé Olivier en clôturant l’une des réunions habituelles du lundi matin à la Datar, rue de La Boétie. Tel fut le point de départ des premiers parcs naturels régionaux en 1963.
Chargé de cette mission, je passai quelques jours entre Lille et Saint-Amand, puis en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne dans la région du Luneburger Heide. Cette enquête dans des pays voisins dégagea l’idée d’un parc éducatif sur les territoires bouleversés et abandonnés des Houillères, comme en avait déjà créés l’Allemagne et la Belgique depuis plusieurs années.
Il restait à affiner le projet. L’intervention de Serge fut, à cet égard, déterminante. Chargé des études à la Datar, il avait une vue globale des projets de chacun de nous. Son inventivité, cette vision prospective qu’il portait aux idées qui lui étaient soumises, ses soucis permanents d’un environnement maîtrisé à long terme furent la chance de cette institution nouvelle. Quelques soirées dans son salon de Bièvres débouchèrent sur une énumération d’idées et de principes à soumettre à un groupe de travail puis à un congrès qu’il conviendrait de réaliser.
Ces parcs ne devraient-ils pas être, avant tout, une école, un laboratoire de l’environnement, naturel et humain, étroitement associés aux universités ?
Devraient-ils être de droit public, créés à l’initiative des collectivités locales ?
Véritables contrats d’aménagement, ils seront subordonnés à la signature d’une charte, conditionnant elle-même les interventions éventuelles des finances publiques.
Ils seront dits « naturels », le terme s’entendant évidemment dans le sens d’un espace habité où l’équilibre entre l’homme et la nature constituerait l’une des principales préoccupations des parcs.
Ils seront l’expression, la vitrine d’une région, ils seront interministériels.
Ils devront enfin se traduire dans une éthique par laquelle la gestion quotidienne de l’espace, naturel ou pas, sera constamment imprégné d’un souci de conservation ou de renouvellement des éléments naturels sans lesquels nous ne serions que des fabricants de déserts !
Ces principes approuvés par Olivier qui, à l’occasion, me rappela les inquiétudes que lui inspiraient la fragilité du Vacarès et des projets routiers en Camargue, les parcs naturels régionaux connurent un développement rapide :
– création sans délai des projets de Raisme et de Bretagne, qui seront les bancs d’essai des suivants ;
– recherche, étude des localisations les plus pertinentes ;
– recrutement de quinze directeurs à qui la République offrira, au-delà d’un stage de formation, un tour du monde des hauts lieux de la nature.
La réunion d’un congrès à Lurs, en Haute-Provence, d’hommes qui, par leur expérience dans l’administration du territoire national et par les multiples disciplines qui entrent nécessairement dans une œuvre éminemment collégiale, dira comment un tel projet peut s’insérer dans la réalité régionale.
Un décret, enfin, officialisera et réservera l’appellation « Parc naturel régional ». De Gaulle, qui en avait personnellement approuvé la publication, signera lui-même ce décret. Il fera autoriser les régions, dont le budget était alors exclusivement destiné aux opérations d’équipement, à subventionner les budgets de fonctionnement des parcs.
Le banc d’essai prévu en Bretagne devenait urgent ! Je dus m’établir en Finistère. Bernard Saillet et Carolle Delettrez prirent la suite auprès de Serge.
En 2008, la Fédération des Parcs naturels rappellera qu’en 40 ans la France créa 40 parcs…
Sans l’avoir, à vrai dire, jamais quitté (la création du parc d’Amorique me ramènera souvent dans les bureaux parisiens de la Datar), je retrouverais Serge cinq ans plus tard à la direction de la Saline d’Arc-et-Senans (propriété du département du Doubs) qu’il envisageait de restaurer pour en faire un centre de culture et de rencontre, et y établir la « Fondation Claude Nicolas Ledoux pour une réflexion sur le Futur » qu’il venait de créer.
Ce fut une nouvelle aventure ! Les débuts furent pittoresques ! Les énormes bâtiments de la saline étaient en piteux état, et encore partiellement occupés par une population sans titre et dépourvue de tous moyens d’entretien. Les Franc-Comtois comprenaient mal l’opportunité d’un projet soucieux de l’avenir alors qu’au centre du village la mort de l’usine de limes d’horlogerie, unique ressource des habitants, paraissait inévitable à très brève échéance.
Jérôme Monod fut le magicien qui parvint à faire racheter l’usine le jour même où des ballets coréens répétaient un spectacle sur la grande pelouse en hémicycle de la saline. Des manifestants qui déjà heurtaient la porte monumentale du centre, informés sur l’évolution des négociations parisiennes et surpris par ce spectacle idyllique des ballerines, transformèrent une démonstration qui se voulait hostile en un défilé de visiteurs intrigués et curieux. Des réunions de travail précisèrent, les jours suivants, les modalités d’un contrat de rachat et confirmèrent la vocation de cet extraordinaire monument qu’il fallait néanmoins reconstruire.
En deux ans, sous la conduite de Louis Jouven, architecte en chef des Monuments historiques et avec l’aide de l’État et du département du Doubs, la Fondation refit deux hectares de toiture, créa trois salles de conférence, une hôtellerie, des cuisines, trois logements de personnel puis celui du directeur dans le bâtiment de la Gabelle.
Les relations de Serge à Paris assurèrent une animation des lieux que complétèrent des activités culturelles, artistiques, industrielles et philosophique extrêmement variées :
– des voitures électriques à la « traction poids-lourds » de la SAVIEM ;
– des montgolfières au mime Marceau ;
– de la présentation des premiers ordinateurs qui exigea l’examen minutieux des dalles de béton de la salle de conférence qui devait en supporter le poids et en garantir la stabilité, aux réunions philosophiques des loges voisines de Genève subjuguées par la géométrie des créations architecturales de Claude Nicolas Ledoux… À l’issue de celle-ci Serge évoqua opportunément ses préoccupations environnementales en rappelant que « l’architecture (et, partant le cadre de vie qui nous entoure) a sur les êtres une influence dont ils ne peuvent se démettre ».
Par ces travaux qu’il a fallu coordonner, par ces animations variées et d’une richesse peu commune, par ces rapports d’une collaboration efficace et confiante j’ai connu un ami d’une rare qualité.
Si chacun de nous peut, en fin de course, s’interroger sur les êtres exceptionnels rencontrés aux carrefours de la vie, il en est certains, bien différents les uns des autres, qui ont marqué mon aventure. Serge est bien de ceux-là. Cet « énarque atypique » comme le disaient certains journalistes, atypique parce que, tout en étant conscient de ses aptitudes, il recherchait des collaborateurs inattendus, écoutait et donnait souvent aux projets qui lui étaient soumis la marque, la place, la dimension suggérée. Inventif et combien créateur, il y ajoutait une science qui lui était propre, et souvent l’originalité, la fantaisie. Son amitié pour Jean Blanc (berger des Hautes-Alpes qui a participé activement à la création des parcs régionaux), la considération qu’il portait à Georges-Henri Rivière (créateur du musée des Arts et Traditions populaires) comme à Noël Cannat (sociologue itinérant), disent, s’il en était besoin, son ouverture aux autres cultures. Enfin cette amitié fidèle et cette maison de Bièvres qu’avec Aline il ouvrait si souvent à notre ménage ont fait de ces années vécues ensemble les plus belles années des carrières de ceux qui l’ont approché.

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