Henri Beaugé Ancien directeur de la Saline royale d’Arc-et-Senans et de l’Abbaye royale de Fontevraud Les parcs naturels régionaux et la Saline royale d’Arc-et-Senans sur Serge Antoine

Journée d’hommage à Serge Antoine le 4 octobre 2006

Serge Antoine a eu la chance, que nous sommes plusieurs à avoir partagée, d’appartenir à un organisme comme la Datar, dirigée par un leader comme Olivier Guichard, à une époque où la remise en ordre du territoire national orientait et stimulait les énergies. Serge et Olivier, au-delà des différences qui les distinguaient tous deux, appartenaient à cette catégorie d’« entrepreneurs » à l’intelligence exceptionnellement inventive et fertile.
Véritables « pourvoyeurs d’aventure », ils accordaient à ceux qui prenaient la route avec eux cette faculté d’entreprendre qu’accompagne la joie d’être responsable. Âpre joie qui vivifie l’entreprise et qui permet à chacun de se réaliser pleinement. Ce fut le cas pour de nombreuses actions qui ont marqué les années 1960 à 1980 :
– le Plan et l’indispensable « prospective » ;
– la division de la France en régions, la décentralisation ;
– les autoroutes ;
– l’aménagement du Languedoc-Roussillon ;
– l’environnement, les parcs naturels régionaux ;
– le Conservatoire du littoral et bien d’autres…
« Un poumon de verdure aux environs de Lille, une attention plus soutenue aux paysages naturels, voire à leur restauration, l’équipement culturel… la conversion des charbonnages du Nord est aussi à ce prix… » avait résumé Olivier en clôturant l’une des réunions habituelles du lundi matin à la Datar, rue de La Boétie. Tel fut le point de départ des premiers parcs naturels régionaux en 1963.
Chargé de cette mission, je passai quelques jours entre Lille et Saint-Amand, puis en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne dans la région du Luneburger Heide. Cette enquête dans des pays voisins dégagea l’idée d’un parc éducatif sur les territoires bouleversés et abandonnés des Houillères, comme en avait déjà créés l’Allemagne et la Belgique depuis plusieurs années.
Il restait à affiner le projet. L’intervention de Serge fut, à cet égard, déterminante. Chargé des études à la Datar, il avait une vue globale des projets de chacun de nous. Son inventivité, cette vision prospective qu’il portait aux idées qui lui étaient soumises, ses soucis permanents d’un environnement maîtrisé à long terme furent la chance de cette institution nouvelle. Quelques soirées dans son salon de Bièvres débouchèrent sur une énumération d’idées et de principes à soumettre à un groupe de travail puis à un congrès qu’il conviendrait de réaliser.
Ces parcs ne devraient-ils pas être, avant tout, une école, un laboratoire de l’environnement, naturel et humain, étroitement associés aux universités ?
Devraient-ils être de droit public, créés à l’initiative des collectivités locales ?
Véritables contrats d’aménagement, ils seront subordonnés à la signature d’une charte, conditionnant elle-même les interventions éventuelles des finances publiques.
Ils seront dits « naturels », le terme s’entendant évidemment dans le sens d’un espace habité où l’équilibre entre l’homme et la nature constituerait l’une des principales préoccupations des parcs.
Ils seront l’expression, la vitrine d’une région, ils seront interministériels.
Ils devront enfin se traduire dans une éthique par laquelle la gestion quotidienne de l’espace, naturel ou pas, sera constamment imprégné d’un souci de conservation ou de renouvellement des éléments naturels sans lesquels nous ne serions que des fabricants de déserts !
Ces principes approuvés par Olivier qui, à l’occasion, me rappela les inquiétudes que lui inspiraient la fragilité du Vacarès et des projets routiers en Camargue, les parcs naturels régionaux connurent un développement rapide :
– création sans délai des projets de Raisme et de Bretagne, qui seront les bancs d’essai des suivants ;
– recherche, étude des localisations les plus pertinentes ;
– recrutement de quinze directeurs à qui la République offrira, au-delà d’un stage de formation, un tour du monde des hauts lieux de la nature.
La réunion d’un congrès à Lurs, en Haute-Provence, d’hommes qui, par leur expérience dans l’administration du territoire national et par les multiples disciplines qui entrent nécessairement dans une œuvre éminemment collégiale, dira comment un tel projet peut s’insérer dans la réalité régionale.
Un décret, enfin, officialisera et réservera l’appellation « Parc naturel régional ». De Gaulle, qui en avait personnellement approuvé la publication, signera lui-même ce décret. Il fera autoriser les régions, dont le budget était alors exclusivement destiné aux opérations d’équipement, à subventionner les budgets de fonctionnement des parcs.
Le banc d’essai prévu en Bretagne devenait urgent ! Je dus m’établir en Finistère. Bernard Saillet et Carolle Delettrez prirent la suite auprès de Serge.
En 2008, la Fédération des Parcs naturels rappellera qu’en 40 ans la France créa 40 parcs…
Sans l’avoir, à vrai dire, jamais quitté (la création du parc d’Amorique me ramènera souvent dans les bureaux parisiens de la Datar), je retrouverais Serge cinq ans plus tard à la direction de la Saline d’Arc-et-Senans (propriété du département du Doubs) qu’il envisageait de restaurer pour en faire un centre de culture et de rencontre, et y établir la « Fondation Claude Nicolas Ledoux pour une réflexion sur le Futur » qu’il venait de créer.
Ce fut une nouvelle aventure ! Les débuts furent pittoresques ! Les énormes bâtiments de la saline étaient en piteux état, et encore partiellement occupés par une population sans titre et dépourvue de tous moyens d’entretien. Les Franc-Comtois comprenaient mal l’opportunité d’un projet soucieux de l’avenir alors qu’au centre du village la mort de l’usine de limes d’horlogerie, unique ressource des habitants, paraissait inévitable à très brève échéance.
Jérôme Monod fut le magicien qui parvint à faire racheter l’usine le jour même où des ballets coréens répétaient un spectacle sur la grande pelouse en hémicycle de la saline. Des manifestants qui déjà heurtaient la porte monumentale du centre, informés sur l’évolution des négociations parisiennes et surpris par ce spectacle idyllique des ballerines, transformèrent une démonstration qui se voulait hostile en un défilé de visiteurs intrigués et curieux. Des réunions de travail précisèrent, les jours suivants, les modalités d’un contrat de rachat et confirmèrent la vocation de cet extraordinaire monument qu’il fallait néanmoins reconstruire.
En deux ans, sous la conduite de Louis Jouven, architecte en chef des Monuments historiques et avec l’aide de l’État et du département du Doubs, la Fondation refit deux hectares de toiture, créa trois salles de conférence, une hôtellerie, des cuisines, trois logements de personnel puis celui du directeur dans le bâtiment de la Gabelle.
Les relations de Serge à Paris assurèrent une animation des lieux que complétèrent des activités culturelles, artistiques, industrielles et philosophique extrêmement variées :
– des voitures électriques à la « traction poids-lourds » de la SAVIEM ;
– des montgolfières au mime Marceau ;
– de la présentation des premiers ordinateurs qui exigea l’examen minutieux des dalles de béton de la salle de conférence qui devait en supporter le poids et en garantir la stabilité, aux réunions philosophiques des loges voisines de Genève subjuguées par la géométrie des créations architecturales de Claude Nicolas Ledoux… À l’issue de celle-ci Serge évoqua opportunément ses préoccupations environnementales en rappelant que « l’architecture (et, partant le cadre de vie qui nous entoure) a sur les êtres une influence dont ils ne peuvent se démettre ».
Par ces travaux qu’il a fallu coordonner, par ces animations variées et d’une richesse peu commune, par ces rapports d’une collaboration efficace et confiante j’ai connu un ami d’une rare qualité.
Si chacun de nous peut, en fin de course, s’interroger sur les êtres exceptionnels rencontrés aux carrefours de la vie, il en est certains, bien différents les uns des autres, qui ont marqué mon aventure. Serge est bien de ceux-là. Cet « énarque atypique » comme le disaient certains journalistes, atypique parce que, tout en étant conscient de ses aptitudes, il recherchait des collaborateurs inattendus, écoutait et donnait souvent aux projets qui lui étaient soumis la marque, la place, la dimension suggérée. Inventif et combien créateur, il y ajoutait une science qui lui était propre, et souvent l’originalité, la fantaisie. Son amitié pour Jean Blanc (berger des Hautes-Alpes qui a participé activement à la création des parcs régionaux), la considération qu’il portait à Georges-Henri Rivière (créateur du musée des Arts et Traditions populaires) comme à Noël Cannat (sociologue itinérant), disent, s’il en était besoin, son ouverture aux autres cultures. Enfin cette amitié fidèle et cette maison de Bièvres qu’avec Aline il ouvrait si souvent à notre ménage ont fait de ces années vécues ensemble les plus belles années des carrières de ceux qui l’ont approché.

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