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Le développement durable c’est quoi ?

Source : Comité 21. 2003

Auteur : Serge Antoine

La montée en puissance du concept de « développement durable » aura mis en France quelque 20 à 30 ans pour se faire sentir et à peine une petite risée sur une mer d’indifférence sympathique, douze ans après le Sommet Mondial de Rio sur la planète en 1992 qui a vraiment lancé le mouvement, c’était encore il y a 6 mois.

Mais aujourd’hui, cela galope ; aux 100 villes qui préparent des programmes de « développement durable » s’en ajoutent plus d’une trentaine depuis le début de l’année ! Le Département des Hauts de Seine depuis un an est entré dans le jeu ; l’Essonne vient de le faire avec beaucoup de « communication ». Versailles vient de rejoindre le Comité 21 pour lancer ce que l’on appelle «l’ agenda 21 ». Issy-les-Moulineaux aussi. Et toutes les grosses entreprises ont maintenant leur Direction de développement durable. Les enseignements et les formations se multiplient. Le Gouvernement vient de lancer fin 2002 un programme avec tous les Ministres et de créer un Conseil National du Développement Durable. Mais le français normal est sans doute le moins informé.

Il faut dire que le jargon est très anglo-saxon. On a, à tort, traduit « sustainable development » (qui veut dire un développement auto-porté et qui ne va pas droit dans le mur (social, économique ou écologique) par « développement durable « . Ce qualificatif de « durable » a, certes, une vertu : montrer qu’il y a un relais de générations. (St Exupéry disait : « rendons à nos petits enfants, en bon état, la planète qu’on leur a empruntée »). Mais il y a un défaut : pousser à l’immobilisme et à la simple conservation. Autre mauvaise traduction : « l’agenda 21 » est, en fait, un programme global pour une entreprise, une collectivité, un espace (par exemple un parc régional) suivi d’une série d’actions bien préparées ; le mot d’agenda est inapproprié.

Le « développement durable » n’est pas une science ou un label ; c’est un vrai changement culturel pour tous ceux qui ont une part de responsabilité ; il consiste à regarder plus loin qu’à 5 ou 10 ans (ce que font au mieux quelques rares élus), à relier les thèmes ensemble en logique « systématique » (cela veut dire qu’au lieu de traiter séparément de l’eau, des déchets, de l’emploi, de la pollution de l’air ), à travailler la main dans la main avec la population ; et de ne pas hésiter à examiner ses responsabilités par rapport aux voisins, à l’Europe et même à la planète.

Tout cela dépend de la bonne volonté des collectivités concernées : en tout cas, en France. Car, en Suisse, la loi l’a rendu obligatoire avec des documents précis à remplir, pas ici, en tout cas, pas encore !

La Conférence Mondiale de Johannesburg qui a réuni plus de 180 Chefs d’Etat en août 2002 suivie par de nombreux rendez-vous onusiens où, quoi qu’on en dise, les choses avancent et où des engagements sont pris. Il y en aura, par exemple, sur l’effet de serre qui est l’un des grands problèmes qui contraint à une politique de développement durable (la Terre risque vraiment un réchauffement de la température : 5 à 6 degrés dans le siècle) et à une discipline non seulement pour les pays avancés et riches (les USA dépensent 20 fois plus d’énergie par tête que les Français et 200 fois plus qu’un Africain), mais aussi pour les pays en développement qui ne pourront voir pousser leur économie et leur urbanisation comme nous l’avons fait depuis plus d’un siècle. Contrairement à ce que disent certains maires (« nous nous occupons de l’eau, des déchets, des transports mais l’air et les climats cela relève de l’ONU »), les communes ont chacune, avec leur municipalité et les habitants, une part de responsabilité au regard du monde et donc de chacun d’entre nous ; les jeunes le comprennent très bien.

Alors ici, en vallée de Bièvre, que pouvons-nous faire pour entrer, nous aussi, dans le développement durable ?

• D’abord, continuer à nous battre pour un bon environnement. Certes, le développement durable s’intéresse aussi à la dimension sociale (la pauvreté, les emplois) et à la vie économique (on ne peut pas aller vers le développement durable avec une économie en stagnation ou à risques). Mais l’environnement et la bonne gestion de l’espace sont une priorité.

• Ensuite, chacun chez nous doit tendre à être un bon « écocitoyen ». Même dans un pays qui en manque moins que d’autres, il faut économiser l’eau ou faire profiter quelqu’un d’un trajet de voiture si on l’utilise pour le travail, s’en passer pour faire des courses au village ou accompagner systématiquement les enfants à l’école, recycler le maximum de déchets chez soi (les végétaux pour le jardin), porter ses bouteilles et ses papiers à recycler, utiliser des lampes économiques et couper la veilleuse de ses machines (la télévision par exemple est vorace et coûteuse), éviter les pesticides au jardin, etc…etc…

• Quant à nos communes, ne demandons pas qu’elles s’engagent toutes dans des « Agendas 21 locaux » ou se lancent dans la procédure très minutieuse des « ISO 14001 » qui obligent à passer en revue et à agir sur plus d’une centaine de points (Le Pecq, en Ile de de France s’est engagée dans cette voie) mais plus simplement à voir ce qui peut être fait dans les 25 points dont nous donnons ici une liste.

25 MANIERES D’ENTRER DANS LE DEVELOPPEMENT DURABLE DANS UNE COMMUNE.

1. Pour chaque décision municipale, s’efforcer de prendre en compte, de manière globale (et systémique) les préoccupations :

– de gestions économe
– d’équité sociale
– de respect de l’environnement et du vivant
– et de prévoir l’impact des décisions en chaîne.

2. Promouvoir le relais de générations.

Le développement durable veut dire léguer le patrimoine « emprunté par une génération à celle qui la suit » : associer les générations futures à leur avenir, faire participer les jeunes aux orientations ou actions à engager dès aujourd’hui, faire la place aux jeunes dans les prises de responsabilité.

3. Allonger l’horizon.

Le développement durable suppose d’allonger l’horizon (10 ans, 50 ans, voire un siècle ou davantage pour l’analyse) et de relier le futur avec le présent ; des exercices de « scénarios » sont utiles et doivent être présentés de façon telle que le public et les acteurs y soient bien associés : et quand on tient la trajectoire, afficher des objectifs à 10, 15 ans, par exemple ou même davantage est utile pour faire participer la population.

4. Economiser les ressources, recycler.

Le développement durable, c’est économiser les ressources, surtout celles qui sont peu renouvelables : faire plus pour le recyclage, les économies d’énergie, les économies d’espace, de matériaux, etc… Le problème n’est pas traiter les déchets mais diminuer leur volume.

5. Consommer mieux.

Le développement durable fait appel aux habitants, aux consommateurs et aux commerçants pour que de nouveaux comportements évitent le gaspillage. Se soucier de l’origine et de la trajectoire des produits : c’est la « traçabilité ».

6. Réduire les rejets et tendre à la « pollution zéro ».

Le développement durable doit éviter les pollutions qui blessent, les déséquilibres qui coûtent. S’inspirant du principe « pollueur payeur », les initiatives des entreprises mais aussi de chacun d’entre nous doivent tendre à la « pollution zéro ».

7. Eviter de transférer aux autres.

La pollution, les charges, ne doivent pas être transférées à autrui ; l’amont n’a pas à se débarrasser vers l’aval de ses déchets ou même de ses problèmes.

8. Réduire les risques.

Nous ne pouvons pas prétendre à une société à risque zéro, mais nous pouvons, par la connaissance et la prévention des risques, les réduire d’un tiers, de la moitié même dans certains cas.

9. Décliner le « principe de précaution ».

Le « principe de précaution » c’est ne pas se précipiter à agir quand on ne connaît pas les conséquences de ses actions par exemple pour la santé. La prévention des risques qui pourraient déclencher des catastrophes, grandes ou petites, à effets durables est essentielle.

10. Créer des emplois durables pour une activité durable.

Créer des emplois durables, c’est évidemment un des premiers soucis dans les pays qui ne bénéficient plus du plein emploi et dont l’économie est, de plus en plus, faite d’accidents de parcours, de décisions de grands groupes, de la « mondialisation ». Les emplois à créer devront s’inscrire dans un contexte régional, national et de compétition internationale bien analysés.

11. Prendre appui sur les ressources locales et les valoriser.

Le développement durable, c’est tirer parti de ressources régionales et locales non encore exploitées ou insuffisamment valorisées ; c’est s’ancrer dans le terroir ; c’est privilégier les ressources locales renouvelables.

12. Ménager le territoire.

C’est s’inscrire, à la fois, dans la géographie d’aménagement du territoire et de « ménagement du territoire », évitant les sur-densités, les désertifications, les friches et gardant des espaces « ouverts », etc….

13. Porter attention aux zones fragiles.

Les « zones humides », par exemple, doivent être traitées dans l’esprit de ce qui précède, avec les caractéristiques propres aux espaces fragiles. Il faut les traiter, comme telles, sur mesure, les protéger fortement.

14. Maintenir la diversité.

Le développement durable implique de ne pas voir se réduire l’éventail des patrimoines et de faire attention au maintien des diversités, et, bien plus, de promouvoir les ressources (naturelles, culturelles, humaines…) d’un territoire concerné afin d’en assurer le développement local. La diversité biologique doit être plus que protégée, même en ville où la nature est encore très présente. La diversité culturelle, elle aussi, doit être respectée ; elle doit pouvoir s’exprimer.

15. Promouvoir une agriculture attentive à la qualité, aux milieux.

Travailler la terre de manière durable, planter pour demain , maîtriser les « intrants », gérer les sols : l’agriculture n’est pas seulement une activité économique, c’est un moyen de conserver et d’entretenir l’ espace (bien moins cher qu’un espace vert) etc… C’est faire de « l’agriculture durable .

16. Gérer la cité dans la durée.

Le développement durable ne concerne pas seulement les plans et l’urbanisme mais toute la vie sociale. La cité doit être traitée comme un organe vivant.

17. Lutter contre la pauvreté et l’exclusion.

La prise en considération des populations pauvres, marginalisées ou exclues est au cœur du développement durable qui implique l’équité ; car l’effet induit de la pauvreté est dur pour la vie économique et même pour l’écologie.

18. Assurer une pleine participation : la citoyenneté.

Bien associer des populations. Les femmes, les populations défavorisées, les associations, les jeunes, sont encore trop à l’écart. Le faire c’est mettre toutes les chances de son côté pour que le développement soit vraiment durable. Les entreprises, les syndicats, toute la société civile doivent être aussi parties prenantes à la gestion de la cité.

19. Eviter le suréquipement.

Etre un acteur du développement durable, c’est alléger ou même éviter des équipements coûteux ou ceux dont les coûts de gestion ultérieurs seraient élevés parce que peu ou mal utilisés.

20. Une gestion « patrimoniale ».

Quant on parle de développement, on pense aux investissements ou aux équipements sans se soucier de la gestion, des coûts répétitifs… La gestion patrimoniale « en bon père de famille » est pourtant souvent décisive.

21. Aménager le temps.

« Aménager le temps » dans une ville est important pour l’économie, pour la qualité de la vie. C’est éviter les pointes et les encombrements et réduire les périodes « creuses » coûteuses pour l’économie et l’environnement.

22. Recourir à de nouvelles technologies appropriées.

L’appel à des nouvelles technologies plus « appropriées, plus efficaces, plus respectueuses de l’environnement est une composante à bien prendre en considération. Le développement durable doit ainsi miser sur l’innovation. Il faut se tenir au courant des nouvelles techniques et choisir les bonnes.

23. Assurer le suivi : avec des « indicateurs » et des mesures.

Une politique de développement durable implique un suivi des tendances et des politiques engagées. Le recours, par exemple, à des « indicateurs » chiffrés pertinents est une bonne démarche. Un tableau de bord doit être fourni sur la situation proche et pas seulement nationale sur l’eau, l’emploi, l’air, les déchets, etc….

24. Se situer en international.

Le développement durable se mesure dans la responsabilité : locale, mais aussi régionale et planétaire. Une commune, par exemple, peut aider une commune de pays défavorisé, une entreprise de la localité peut en créer une autre dans le monde ou former des professionnels. Certaines communes s’emploient aussi à encourager le « commerce équitable » surtout pour aider les pays du Sud. Il ne peut y avoir le développement durable s’il n’est pas jaugé à l’aune de la planète. L’effet de serre est un bon exemple, pour relier gestion locale et responsabilité mondiale : un programme territorial d’effet de serre est une bonne initiative.

25. Et le « développement durable ».

Ce n’est pas se glorifier d’en faire ou d’utiliser le mot à chaque discours : c’est y travailler avec soin et en participation avec la population… Ce n’est pas coûteux . A long terme on gagne ; c’est ce que l’on appelle le « win win ».

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Anne-Marie Sacquet Directrice générale du Comité 21 sur Serge Antoine

Journée d’hommage à Serge Antoine le 4 octobre 2006

Chère Aline, chers amis, chers adhérents,

Je vais évoquer le grand privilège, le grand bonheur que j’ai eu à travailler quotidiennement avec Serge pendant dix ans, à partager avec lui les enthousiasmes, les utopies toujours concrètes, les avancées que nous pouvions constater au Comité 21 et ailleurs, et aussi souvent les indignations.
C’est vrai que Serge était quelqu’un de très optimiste et résolument tourné vers l’avenir et l’action, ce qui permettait de renouveler en permanence l’énergie qu’il transmettait à tous les partenaires et acteurs qu’il savait mobiliser. Mais il manifestait aussi, de plus en plus, son indignation par rapport à un certain nombre de ruptures qui n’arrivent pas à se produire dans ce pays. Je crois d’ailleurs que l’une des raisons pour lesquelles il était si attaché à la démocratie participative est qu’il était profondément convaincu que les changements allaient pouvoir s’opérer quand, véritablement, les contre-pouvoirs citoyens seraient en mesure de jouer leur rôle, et notamment de bousculer un certain nombre d’inerties qui font que, malgré les constats que vous avez faits, malgré l’adhésion sur le constat que nous pouvons faire depuis maintenant quarante ans – nous l’avons vu ce matin à travers toute l’évocation des rencontres et de l’effervescence qui s’est construite sous l’impulsion de Serge, sur l’urgence des changements à opérer – ces changements ne seront vraiment opérables que si l’avenir appartient aux citoyens. Cela suppose que le citoyen soit écouté, mobilisé, mais aussi qu’il puisse bénéficier d’une véritable pédagogie des enjeux d’une part, et d’une véritable participation au choix d’autre part.
Depuis une dizaine d’années, Serge a beaucoup travaillé là-dessus et a transmis vigoureusement cette volonté de faire en sorte, de toute urgence, que le germe du développement durable et du changement se transmette, de plus en plus, dans le tissu français, c’est-à-dire chez les gens, chez les citoyens, à travers des relais bien sûr. Il était évidemment très content à chaque fois qu’un nouveau relais apparaissait, une association, un centre d’études, un comité de quartier. Quel que soit le relais, il était fondamental pour que la germination puisse se poursuivre et pour que cette prise de pouvoir des citoyens, de la société, contribue à rendre concrets tous ces changements qui sont plébiscités par tous, notamment cette prise en compte du long terme qui lui était si chère.
Ce que j’ai vu au Comité 21 avec lui, et les travaux sur lesquels nous avons beaucoup investi, c’était essentiellement la rencontre fructueuse entre l’ensemble des adhérents du Comité 21. Je crois que c’est le principal héritage qu’il nous laisse. À la création du Comité 21, il y avait une centaine d’adhérents, essentiellement des grandes entreprises, les premières qui s’investissaient à l’époque dans des réseaux du développement durable. C’étaient plutôt les secteurs pétrole, chimie, énergie. Il y avait aussi évidemment des collectivités territoriales, des associations et, au fil de ces années, et au fil des thèmes que nous abordions dans nos groupes de travail (le commerce international, l’alimentation, les énergies, les modes de concertation, etc.), Serge a réussi à insuffler, au sein de ces réseaux, l’envie, l’appétit de travailler ensemble. Il a distillé cette pédagogie de l’action collective et de la concertation d’une manière tout à fait discrète, en filigrane, mais avec une grande détermination. Il a appris aux entreprises à reconnaître le besoin d’expertise du monde associatif et la capacité des associations à prendre la mesure des attentes de la société, et à les porter bien sûr. Il a appris aux associations à passer du conflit à l’espace d’échange et d’écoute des attentes, des besoins, des blocages et à construire, peu à peu, des espaces de réflexion commune. Il a appris aux collectivités à démultiplier leurs espaces de pouvoir et d’échange avec tous les acteurs présents sur les territoires.
C’est un héritage extrêmement important parce que, face à un pessimisme que l’on peut parfois constater ici ou là, y compris chez nous sur certains sujets, nous pouvons nous dire qu’aujourd’hui, il y a au Comité 21, mais aussi dans tous les réseaux qu’il a construits ou semés, cette culture de la concertation et de l’action collective. C’est l’un des plus gros héritages qu’il nous laisse.
Il n’a eu de cesse de distiller cette culture, à la fois au sein du conseil d’administration où il a continuellement instauré un climat de dialogue réciproque, dans tous les groupes de travail, mais aussi au sein de l’équipe. Il était capable de consacrer une demi-journée d’échange avec un stagiaire qui venait d’arriver pour passer six mois au Comité 21. Pour lui, toute personne capable de porter le développement durable, d’apporter une partie des réponses, de transmettre cette envie, cet appétit de progrès était déterminant. Je crois que, pour nous, c’est ce qu’il est important de garantir, de transmettre, de disséminer. Il parlait souvent des acteurs non légitimes : alors bien sûr, il faut rassembler l’ensemble des acteurs, articuler les politiques de l’État, des instances internationales, des collectivités, des entreprises, des associations, mais il disait : « Attention, il y a des gens illégitimes qui ont aussi le droit à la parole, illégitimes parce que non reconnus, non représentés, mais ils constituent pourtant la force vive et aussi un des éléments des réponses concernant les changements à opérer. » C’est la raison pour laquelle il était si attaché à la diversité culturelle qui, pour lui, dépassait de loin l’exercice de la pratique culturelle, mais faisait référence à un énorme besoin de réformer les cerveaux, de manière à ce que nous soyons capables précisément de nous projeter dans l’avenir, ensemble, sans avoir de phénomène de culpabilisation à outrance vers les uns ou les autres, de se projeter vers l’avenir et de pouvoir s’appuyer sur des modes d’intervention, des expertises très complémentaires allant depuis l’agriculture paysanne jusqu’aux prospectivistes dont nous avons parlé précédemment. Pour lui, cette diversité culturelle était la condition sine qua non pour mobiliser une société apte à adopter ces changements et surtout en mesure d’exprimer ses désirs, ses attentes.
C’est un mot qui revenait souvent, y compris quand il parlait d’évaluation et de la nécessité de l’évaluation, de la pratique quotidienne de l’évaluation. Il regrettait que les indicateurs développés, tant au niveau national qu’européen, y compris ceux développés par la Commission du développement durable, n’intègrent pas d’indicateurs d’envie. Évidemment, ce ne sont pas des indicateurs quantitatifs, et il n’est pas évident d’évaluer l’envie, mais nous pouvons peut-être approcher ce chemin. Il a tenté de le faire, notamment en participant à des groupes locaux, régionaux, au sein de groupes de pilotage d’Agendas 21, de discussions dans les régions entre des consommateurs, des élus régionaux, des agriculteurs, des artisans, des commerçants. C’est peut-être cela les indicateurs d’envie, à savoir la capacité de mobiliser la population, les générations présentes, passées et futures et, autour de cela, d’être capable de faire émerger l’ambition de porter des changements, ceux qui seront si difficiles à mener au niveau national ou international. Il l’a souvent dit, je ne reviendrai donc pas là-dessus.
L’une de ses grandes joies récentes, parmi les nombreuses actions que nous avons pu mener ensemble, a été le lancement des réseaux d’Agendas 21 scolaires en France. Aujourd’hui, sur le territoire, il y a environ 200 démarches d’Agenda 21 d’établissements, de l’école primaire au campus. Serge jubilait totalement de l’émergence de ces démarches, et surtout, constat important, il jubilait de l’appétit manifesté par les jeunes à toutes ces échelles, par les communautés éducatives, y compris par les enseignants. Lors de la première réunion du groupe « éducation au développement durable », nous étions totalement sidérés parce qu’il y avait autour de la table des proviseurs, des responsables d’académie, des jeunes, des collectivités, des villes, des régions, des fondations d’entreprises, des responsables de l’Éducation nationale. Ce sont avant tout les enseignants qui ont manifesté le désir de ne plus être coupés de la société, d’apporter leur part à ces mutations qui s’imposent à tous, individuellement et collectivement. Je crois que la principale qualité de Serge était de désamorcer les handicaps, les peurs, de dialoguer avec l’autre, de donner à chacun sa légitimité, de lui permettre d’entrer dans l’action, de le faire avec d’autres parce qu’il y a un projet commun, un désir commun qui s’exprime. Dans ce cadre, toutes les inquiétudes, les inhibitions, après tout, peuvent se lever. En effet, quand on se sent engagé dans un projet avec d’autres et soutenu par d’autres, on est prêt peut-être à bousculer des montagnes. Selon moi, c’est la raison pour laquelle, la décentralisation, la démocratie participative et l’ancrage des Agendas 21 locaux, départementaux, régionaux étaient des ambitions très chères à Serge. C’est quand tout le corps social réagit que nous pouvons espérer aborder des changements significatifs, des changements qui nous permettront de résoudre tous les enjeux dont nous parlons depuis ce matin.
Au-delà de cette ambition forte d’organiser la germination, la contagion, le plus possible dans toutes les composantes de la société, il avait tout de même, de temps en temps, des colères. Je reviens à l’Éducation nationale, cette fois, pour être moins positive. Il regrettait la frilosité de l’apprentissage ou des processus opératoires de l’apprentissage des citoyens à ce qu’est le monde d’aujourd’hui. Nous manquons d’apprentissage des processus économiques dans les cursus de l’Éducation nationale, et il y a aussi une faiblesse de la pédagogie de la nature, du vivant, de la vie tout simplement. Il en parlait souvent, notamment lorsque nous évoquions la question de l’alimentation, un sujet sur lequel nous travaillons depuis deux ans maintenant. Là encore, il disait combien il était important de recadrer les pratiques alimentaires dans les pratiques culturelles, combien il était important de faire ressurgir le vivant et une articulation « désartificialisée » du consommateur par rapport à son alimentation, ce qui conduit bien évidemment, quand on déroule toute la pelote comme il le faisait pour tout sujet qu’il abordait, à traiter aussi des modes de production agricole, des maintiens de culture et d’artisanat et d’une relation directe des citoyens à l’agriculture et à l’aménagement des paysages.
Voici quelques-uns des messages que je souhaitais vous transmettre. Bien entendu, le Comité 21 mettra tous les moyens en œuvre pour perpétuer cet héritage. Nous le ferons avec tous nos adhérents, mais aussi avec d’autres, avec tous ceux qui le souhaitent. Je voudrais tout de même dire qu’il y a quelques germes qui sont construits et qui constituent autant d’acquis dès que les gens se les sont appropriés. Je crois qu’il faut poursuivre sur la voie des Agendas 21 scolaires et la renforcer encore, notamment avec l’ensemble des réseaux que nous constituons. Serge rêvait, depuis quelques années aussi, que nous mettions en place un réseau des Agendas 21 francophones. Je me tourne là vers Habib, je crois que nous sommes sur le point d’aboutir. Je pense qu’il n’est pas inutile que se tissent des liens entre des villes des cinq continents et des villes qui partagent une culture du développement durable telle que vous avez pu la porter au sein du monde francophone.
Avec l’Euro-Méditerranée de l’Agenda 21, un réseau commence à se construire. Le président du Comité 21 algérien en parlait ce matin, nous sommes maintenant jumelés avec la coordination italienne des Agendas 21 locaux, avec le réseau catalan des villes durables. Nous tissons des liens avec le Comité 21 algérien, et bientôt marocain. Je vous invite aussi à rejoindre cet effort de constituer des réseaux, non pas du bas vers le haut, mais des réseaux de collectivités et de citoyens qui partagent leurs outils, qui mutualisent leurs objectifs et leur désir de développement durable en Europe et en Méditerranée.

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