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Des pas sur une longue route

Source : La Croix. 11/06/1994

Auteur : Serge Antoine *

« Rio ne se célèbre pas, il se cultive » : c’était mon sentiment lors de ce sommet des 110 chefs d’Etat et de gouvernement réunis par l’ONU sur l’environnement et le développement de cette planète fragile qui est la nôtre. C’est toujours mon point de vue, deux ans après, alors que quelques pas ont été parcourus sur une route qui a tout lieu d’être longue.

A l’échelle mondiale, on mettra du temps à intégrer vraiment le concept de « développement durable » qui est l’apport central de Rio. Rattachée à l’ONU, la deuxième réunion de la Commission du développement durable qui vient de se tenir à New York permet de mesurer l’importance – relative – de cette « non institution » créée à Rio. Cinquante ministres de l’environnement y étaient heureusement présents alors qu’on annonçait le reflux. La déclaration finale de 1994 est positive. On la doit largement à l’Europe et à la présidence du ministre allemand de l’environnement, Klaus Töpfer. Que font les Etats-Unis pourtant libérés de l’ombre de G. Bush (qui était venu à Rio à reculons) ? Où est leur vice-président écologiste Al Gore ? Et quid du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) qui est aujourd’hui dans le rouge ?

Point positif : il faut noter le record de rapidité de la ratification des deux grandes conventions de Rio, celle de la biodiversité et celle sur l’effet de serre, et peut-être l’espoir, à Paris, de voir bientôt signée une convention sur les déserts qui concerne directement près de 20 pays francophones. La mise en route des protocoles d’application est indispensable car que peuvent des lois sans décrets ? Ira-t-on assez vite ? Le monde va droit vers le doublement de son CO2 pour plus de 100 pays et ce n’est qu’un exemple !

L’après-Rio se décline surtout au niveau contrasté des 180 pays de la planète. Quarante Etats ont annoncé le coup d’envoi de leur stratégie nationale du développement durable. Intentions ? C’est toujours bon à prendre. Autant de pays ont mis en place, il y a peu, leur commission nationale chargée du suivi de Rio (celle de la France est dirigée par Bernard Esambert).

Même diversité géographique du côté du financement mondial. L’apport des Etats aux pays en développement stagne ; le record de l’aide publique est encore scandinave mais il semble qu’on n’atteindra pas les 1% promis il y a dix ans par la communauté mondiale. On commence même à le dire !

Un bon signe : les approches régionales se généralisent. La Tunisie réunit en novembre les 20 Etats méditerranéens – y compris Israël, la Palestine et la Bosnie – pour lancer l’idée d’une commission méditerranéenne du développement durable. L’Asie du Sud-Est, avec l’Asean, avance aussi …

Du côté de la société civile, les organisations non-gouvernementales sont aujourd’hui les principaux moteurs de « l’effet Rio ». Sans doute étaient-elles moins nombreuses récemment à New York, mais c’est sur le terrain qu’on les trouve et, là, l’esprit de Rio est très vivace.

Les entreprises ont, en profondeur, affermi leur participation : dans les pays de la francophonie, 70 entreprises ont signé la charte mondiale sur le développement durable préparée par la Chambre de Commerce Internationale.

Autres acteurs majeurs et sans doute ceux qui ont le plus fait de progrès depuis Rio : les autorités locales. Des régions et non des moindres (comme l’Ile de France) parfois à cheval sur les frontières (comme le Midi-Pyrénées, la Catalogne et le Languedoc) font l’apprentissage d’une réflexion sur les ressources, sur les énergies renouvelables, sur la pauvreté aussi et sur les modes de consommation. Une cinquantaine de villes européennes viennent de lancer un club de « villes durables ». Les organisations mondiales des villes se sont même unies dans un « groupe des 4 », en avance sur le sommet des villes (Nations Unies, 1996).

Il ne faut pas juger Rio sur sa création de normes ou d’institutions. Rio aura été surtout un grand moment de changement dans les mentalités encore encombrées par les idées d’une croissance entraînant automatiquement l’emploi et de ressources illimitées. Rio aura aussi mis en cause les notions encore vivaces d’autonomies (et de subsidiarité). Grâce aux ONG, grâce aux Etats, grâce aux villes, il aura été porteur d’une « pluricitoyenneté simultanée : ma ville, ma région, mon pays … et la planète.

*Président délégué du Comité français pour l’environnement et ancien conseiller spécial de la Conférence des Nations Unies pour l’environnement et le développement, organisatrice du sommet de Rio.

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