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Comptes rendus de la Rencontre le 28 Novembre 2013: LA CULTURE DIMENSION OUBLIÉE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ?

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Synthèse : La culture_Dimension oubliée du développement durable ?

interventions:

 

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Rencontre le 28 Novembre 2013: LA CULTURE DIMENSION OUBLIÉE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

Organisée par l’Association Serge Antoine à l’Organisation internationale de la Francophonie 19’21 Avenue Bosquet 75007 PAris

Télécharger le programme, le carton d’invitation et les informations pratiques

Le programme : 

9h30 Ouverture : Clément Duhaime, Administrateur de l’Organisation internationale de la francophonie. Présidence : Habib Benessahraoui, conseiller du secrétaire général de la francophonie

Culture et Développement durable

  • Itinéraire à partir des travaux de Serge Antoine : Jacques Theys, enseignant à l’EHESS, ancien responsable de la prospective au Ministère du Développement durable
  • Les dimensions culturelles du développement durable : Christian Brodhag, directeur de recherche École des Mines de Saint-Etienne

10h30 Les cultures locales, vecteurs du développement durable

  • Savoir-faire, origine et développement durable : enjeux et débats internationaux : Guillaume Benoit, ingénieur général des ponts des eaux et des forêts
  • Archéologie préventive et démarche de socialisation pour les habitants de Saint-Denis : Véronique Poupard, responsable du service de développement local de la communauté d’Agglomération de Plaine Commune
  •  Le « comment » du renouveau de l’Aubrac : André Valadier, président fondateur de la coopérative « Jeune montagne » de Laguiole
  • Terroir et mode de vie au Cambodge ? Docteur Ly Eang Hay, président de Confirel entreprise pour le renouveau et la valorisation du palmier à sucre et du poivre de Kompot

Déjeuner sur place :12h30 à 13h30

13h30 Le développement durable : modèle unique ou diversité ?

Présidence : Hugues de Jouvenel, président-délégué général de Futuribles international

  • Y- a- t- il une vision francophone du développement durable ? Habib Benessahraoui,conseiller du secrétaire général de la francophonie
  • Le développement durable, vecteur de sens pour de nouvelles cultures managériales ? Une lecture croisée des approches françaises et allemandes : Cornelia Findeisen, directrice générale adjointe chargée de la Modernisation, de l’Évaluation et de la Prospective territoriale au Conseil général de la Loire
  • L’importance des cultures dans les modes de consommation et de production : Arab Hoballah, chef de service, PNUE

15h30 Changer de mode de vie, changer de culture, une condition du développement durable. Quelle vision prospective ?

  • . Marseille action autour du patrimoine, du tourisme de l’ économie avec les habitants dans les quartiers Nord de Marseille : Prosper Wanner, gérant de La coopérative de l’hôtel du Nord
  • Les modes de consommation en 2030 : Cécile Desaunay, chargée d’étude sur les questions de mode de vie à Futuribles
  • Culture et modes de vie en 2050 : Marie Chéron, chargée d’études prospectives , association 4D
  • Propriétaire ou artiste ? Gilles Berhault, président du Comité 21

17h30 Fin de la rencontre

 

 

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Culture DD A hoballah

Culture DD A Valadier

Culture DD C Brodhag

culture DD C findeisen

Culture DD G Benoit

culture DD Ly Eang Hay

Culture DD P Wanner

Synthèse La culture_Dimension oubliée du développement durable_28 nov

 

 

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Rencontre : Le défi du développement durable : vers une bio-civilisation – 13 Novembre 2012 Paris

Compte rendu de la rencontre organisée par l’Association Serge Antoine et l’Organisation mondiale de la francophonie

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Ouverture

Louis-Bertrand RAFFOUR 

Président de l’association Serge Antoine 

Serge Antoine disait « Rio ne se commémore pas mais se cultive ». C’est ce que nous ferons au cours de cette journée consacrée au défi du développement durable au lendemain de la conférence Rio+20. Je remercie l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui nous accueille en ses locaux ainsi qu’Aline Antoine qui est à l’initiative de cet événement.

El Habib BENESSAHRAOUI 

Conseiller du secrétaire général de la francophonie 

Je suis heureux de vous accueillir à cette journée, en tant que membre de l’OIF et de l’association Serge Antoine. Je suis ému d’évoquer Serge, dont je suis fier d’avoir été l’ami, et qui a su être un acteur à la citoyenneté multiple : locale, nationale, méditerranéenne (en tant qu’acteur du plan bleu), francophone (en tant que membre de l’OIF) mais aussi internationale. Débattre aujourd’hui des enjeux du développement durable à la lumière de la conférence Rio+20 est la meilleure manière de lui rendre hommage.

Clément DUHAIME 

Administrateur de l’OIF 

Je suis heureux de vous accueillir à l’OIF pour cette journée de débat. Notre organisation est mobilisée pour que la francophonie fasse entendre sa voie en matière de développement durable, dont nous considérons que la culture est le quatrième pilier.

Comme nous, vous avez certainement été déçus par la conférence Rio+20. Mais cet événement a malgré tout permis une nouvelle mobilisation internationale autour du développement durable, 20 ans après la première conférence de Rio. Aujourd’hui, une prise de conscience des enjeux du développement durable est nécessaire pour éviter de voir notre maison brûler1. Mais dans un contexte de crise économique, d’autres domaines d’action sont considérés comme prioritaires.

1 Référence à la phrase prononcée par Jacques Chirac, en tant que Président de la République française, lors du 4e Sommet de la Terre à Johannesburg le 2 septembre 2002 : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs »

J’espère que cette journée sera l’occasion de proposer de nouveaux éclairages sur les actions qui doivent être les nôtres au cours des prochaines années. Le défi du développement durable : vers une bio-civilisation – 13 novembre 2012

De Stockholm à Rio+20

Présidence : El Habib BENESSAHRAOUI 

1972-2012 : itinéraire à partir des écrits de Serge Antoine 

Jacques THEYS 

Ancien responsable de la prospective au ministère du Développement durable 

Les conférences de Stockholm, Rio et Rio+20 ont rythmé l’évolution des préoccupations en matière de développement durable depuis 40 ans. Elles sont aussi les marqueurs de l’évolution historique et culturelle du monde, puisque la première s’est déroulée en 1972, à la veille du choc pétrolier, la deuxième a eu lieu en 1992, alors que le bloc soviétique venait de s’effondrer et la troisième s’est tenue en 2012, une année qui marque l’entrée dans une nouvelle crise mondiale. Serge Antoine a activement participé à l’organisation des conférences de Stockholm et de Rio et a laissé sur ce sujet de nombreux articles, sur lesquels je me suis appuyé pour bâtir cette intervention.

1972-1992 : de Stockholm à Rio

Selon Serge Antoine, les conférences de Stockholm et de Rio ont toutes deux traité de la question des relations entre développement et environnement. Mais à Stockholm, le développement était considéré comme une condition de l’amélioration de l’environnement, tandis qu’à Rio, le raisonnement était inversé, puisque l’environnement était perçu comme une condition de la mise en oeuvre du développement. A l’époque, la signification de ce dernier terme ne faisait pas consensus, puisque les pays du nord l’assimilaient à l’enjeu de la sortie du mal-développement alors que les pays du sud l’entendaient dans le sens de l’aide au développement. 

La conférence de Rio a été porteuse d’avancées par rapport à celle de Stockholm. Ainsi, elle a permis de sortir l’environnement de sa marginalité, en établissant clairement son lien avec le développement. Elle a également marqué la prise de conscience de l’existence de risques globaux. La mobilisation des acteurs (Organisations non gouvernementales – ONG – collectivités locales, entreprises, pays du sud, etc.) à Rio en 1992 a enfin été historique. Mais l’on peut aussi faire état de plusieurs reculs par rapport à 1972. Par exemple, la conservation de la nature n’est plus citée dans la déclaration de Rio et la question démographique y est peu présente. Dans ce texte, l’éducation et la formation ont également perdu leur caractère central. Enfin, les échelles locales et régionales sont marginalisées par rapport aux politiques globales. Et si les ambitions sur lesquelles la conférence a abouti sont de grande ampleur, les moyens de les concrétiser sont incertains. Au vu de ces éléments, pour Serge Antoine, la complémentarité entre Stockholm et Rio est inaboutie.

1992-2012 : de Rio à Rio+20

Dès 1992, Serge Antoine s’est investi pour que les engagements pris à Rio soient tenus. Mais son optimisme a progressivement été remplacé par des inquiétudes croissantes. Ainsi, jusqu’à la fin des années 1990, s’il déplore que les promesses financières de Rio ne seront pas tenues, il note que la préoccupation environnementale est de plus en plus intégrée à toutes les échelles. Ensuite, en 2002, lors du Sommet de Johannesburg, il fait le constat que les progrès en matière de développement durable restent ténus à l’échelle des Etats. En outre, les problématiques de développement ne sont plus reliées aux questions environnementales et appartiennent désormais au giron de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et non de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Enfin, rien n’est fait pour favoriser le développement d’actions régionales. En 2005, dans son article Gouvernance mondiale. Du retard à l’allumage2il anticipe les échecs de la gouvernance mondiale rencontrés à Rio+20 et propose que le niveau local se substitue aux défaillances du niveau global. 

De Rio+20 à une bio-civilisation ?

Serge Antoine ne pouvait pas prévoir que l’économie verte serait au centre des débats de la conférence Rio+20. Ce sujet n’a d’ailleurs pas été au centre de ses écrits, même s’il publie, en 1968, un article intitulé Y aura-t-il une nature en l’an 2000 ?La croissance verte consiste à construire de nouveaux marchés en s’appuyant sur les services non-marchands rendus par la nature, et se rapproche ainsi du concept de bio-civilisation, imaginé par Ignacy Sachs4 et qui se situe dans la continuité des évolutions de ces 40 dernières années. La bio-civilisation implique ainsi la redécouverte du niveau local, qui peut contribuer à la gestion de problèmes globaux. Elle concrétise par ailleurs les connexions qui existent entre problèmes de ressources, problèmes de santé et problèmes environnementaux.

Avec la bio-civilisation, une nouvelle étape du développement durable se profile donc. Elle pose cependant deux questions :

– quelle contribution réelle faut-il attendre de cette bio-civilisation en faveur du développement durable (complémentarité ou rupture) ?

– ne se dirige-t-on pas vers une exploitation plus intensive de la nature et ne faut-il pas s’inquiéter du rapprochement entre bio-civilisation et l’utilisation massive des bio-technologies ?

Retour sur Rio+20 

Christian BRODHAG 

Directeur de recherche, Ecole des Mines de Saint-Etienne et coordonnateur du comité d’organisation francophone de Rio 2012 

Les difficultés de la négociation internationale

Le principe de la souveraineté nationale rend impossible la généralisation au niveau international d’un système démocratique similaire à celui qui règne dans les Etats. L’adhésion aux accords internationaux relève toujours d’un engagement volontaire, qui de plus est réversible (par exemple, le Canada a ratifié le protocole de Kyoto, mais ne l’a pas appliqué). Les décisions prises au niveau international sont donc partielles et résultent de processus de négociation longs et complexes. Des groupes de pays qui partagent des priorités identiques se retrouvent parfois en opposition sur certains sujets. Par exemple, la proposition de non-régression du droit de l’environnement, par exemple, proposée par une association de juristes a suscité le soutien du groupe des 77 et l’opposition de l’Europe. Cette dernière craignait que ce concept ne soit ensuite généralisé à d’autres questions, comme l’aide au développement. Au mythe d’un gouvernement exécutif mondial se superpose l’image d’une société civile mondiale, dont la mobilisation est assimilée à une forme de démocratie mondiale. En réalité, à Rio+20, tout s’est joué dans la phase préparatoire de la conférence et non pendant l’évènement. La stratégie des ONG françaises était en décalage avec cette réalité, puisqu’elles se sont concentrées sur l’organisation de leur présence à la conférence, sans être présentes dans le processus préparatoire. Leurs propositions, inaudibles dans le processus réel de négociation mais facilement audibles par les médias ont abouti aux commentaires négatifs que l’on connaît sur la conférence.  Par ailleurs, dans les négociations internationales, il faut savoir se contenter d’avancées partielles et lentes. Par exemple, l’article 47 de la déclaration de Rio+20 dans sa première version prévoyait l’obligation pour les entreprises multinationales d’établir un rapport de développement durable. Dans sa version finale, l’obligation est devenue un encouragement5. Doit-on en déduire que le système de gouvernance mondiale est paralysé ? Certainement pas, car les chefs d’Etat disposent de la capacité à négocier et à arbitrer in fine en cas de blocage. Mais à Rio+20, ils ont été relégués à un rôle de potiches et n’ont pas su imposer de leadership politique, puisque la négociation de la conférence s’est conclue la veille de leur arrivée, par l’adoption d’un texte proposé par le Brésil.

Les partenariats qui consistent à tester des solutions à une échelle restreinte, à les évaluer et ensuite à les diffuser, constituent un autre levier de l’évolution des normes au niveau mondial. Par exemple, Arnold Schwarzenegger a créé le R20, une ONG qui rassemble des villes et des régions pour partager leurs expériences afin de réduire les consommations d’énergie et les émissions de Gaz à effet de serre (GES). On assiste par ailleurs à la généralisation des engagements des acteurs privés au nom de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Ces pratiques participent à modifier les conditions des négociations diplomatiques. Les acteurs de la francophonie ont quant à eux mené un processus original de préparation à la conférence Rio+20, en organisant un forum international à Lyon en février 2012. Cet évènement a permis de réunir les propositions d’amendements de la Francophonie au texte « Draft Zero » des Nations Unies dans l’Appel des participants du Forum de Lyon. Cet appel souligne la nécessaire prise en compte de la dimension culturelle du développement durable. Il prône également une vision intégrée et équitable de l’économie verte, dont le développement repose de manière essentielle sur la jeunesse. En matière de gouvernance de développement durable, l’Appel invite à consacrer un principe de non-régression en droit de l’environnement, mais qui n’a pas été repris dans la déclaration finale. Il propose aussi de privilégier les stratégies nationales de développement durable. La déclaration de Rio+20 va dans ce sens mais de manière limitée.

 40 ans de négociations sur le développement durable

En 1972, la conférence de Stockholm a réuni autour des problématiques environnementales des gouvernements et des scientifiques. Ces derniers ont ensuite été progressivement écartés des conférences mondiales sur le développement durable. En 1992, le Sommet de Rio a vu arriver dans les négociations de nombreuses ONG. Puis à partir de 1997 s’est fait jour l’importance de l’investissement privé en faveur du développement durable. Ensuite, en 2002, à Johannesburg est apparu le débat sur la consommation et la production durables, mais il ne s’est concrétisé que dix ans plus tard à l’issue du processus de Marrakech. Enfin, en 2012, à Rio+20, le débat s’est concentré autour de l’économie verte. La norme ISO 26000 propose justement une approche opérationnelle pour la mettre en oeuvre, mais elle n’est pas reconnue par le système onusien.

Les éléments clés de la déclaration de Rio+20

Dans la déclaration de Rio+207, la problématique du développement durable est étendue à l’ensemble du système des Nations Unies. Un accord de principe a ainsi été scellé pour que les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) soient renégociés afin d’intégrer le développement durable. De nombreux chantiers ont par ailleurs été ouverts lors de la conférence qui s’est tenue en juin 2012. Il ne faut donc pas y voir un échec, mais rappeler qu’elle s’intègre dans un processus de négociation de long terme, dans lequel tous les acteurs doivent continuer à être présents.

Vers des bio-civilisations ? 

[Lecture d’une note d’Ignacy Sachs par Christian Brodhag] 

L’extrapolation des tendances lourdes actuelles nous mène à un enchaînement de catastrophes naturelles et sociales : le réchauffement climatique aux conséquences délétères pour les productions alimentaires et les conditions de vie réservées aux humains avec, comme conséquence, l’aggravation des disparités et des luttes sociales. Mais nous pouvons faire mieux en nous attachant à tirer un meilleur parti du potentiel des ressources renouvelables, que contient la diversité des écosystèmes à l’intérieur desquels l’humanité construit ses habitats et ses civilisations plurielles. Nous sommes aujourd’hui 7 milliards d’êtres humains, bien partis pour atteindre les 9 milliards vers 2050. De surcroît, les civilisations humaines se caractérisent par des disparités béantes entre les minorités nanties et la masse de ceux qui naissent, vivent et meurent au bas de la pyramide sociale. Les fortes inégalités qui caractérisent la situation actuelle indiquent le chemin à suivre :

1) Nous ne nous pouvons plus nous dérober à un changement radical dans la répartition des richesses. L’amélioration des conditions de vie des plus défavorisés passe par une limitation des consommations excessives de la part des élites nanties, de préférence consentie par celle-ci pour éviter des conflits sociaux potentiellement destructeurs.

2) Nous devons nous attacher à limiter les émissions de gaz à effet de serre, pour éviter le réchauffement climatique délétère et donc, à réduire notre dépendance par rapport aux énergies fossiles épuisables à terme, et surtout productrices de gaz à effet de serre, à tirer aussi le meilleur parti possible des ressources renouvelables, tout en sachant que la renouvelabilité ne va pas de soi et exige des politiques explicitées de gestion des ressources naturelles.

3) Une stratégie fondée sur les ressources renouvelables doit relever deux défis majeurs

– la sécurité alimentaire, assurée par la production d’aliments qui nous renvoie aux révolutions verte et bleue fortement créatrices d’emplois, mais conditionnées par les réformes agraires et la gestion des ressources aquatique

– la sécurité énergétique, assurée par l’essor de l’ensemble des énergies renouvelables.

4) Au planificateur de répondre à la question « combien est assez ? » pour assurer la sécurité alimentaire et énergétique, et en déduire le temps que la société doit destiner au travail nécessaire à la production des biens matériels et quelles sont les disponibilités de temps libérées pour d’autres activités.

Echanges avec la salle 

De la salle : (Julien DOSSIER, directeur de Quattrolibri)Le Sommet mondial des villes durables aura lieu à Nantes en septembre 2013. On perçoit aujourd’hui une effervescence à l’échelle des villes en matière de développement durable, qui provient certainement du fait qu’elles sont plus directement touchées par le changement climatique que les Etats.

De la salle :  (Yann GOURIO, Commissariat général au développement durable) En cette période de crise, le développement durable a-t-il encore un avenir ? Il me semble que cette problématique connaît un certain délitement.

Jacques THEYS :   On parle aujourd’hui davantage de croissance verte que de développement durable. Pour beaucoup, les deux notions sont équivalentes. En réalité, le développement durable est un concept spécifique, victime d’effacement. En effet, malgré l’existence de la Stratégie nationale de développement durable (SNDD), on ne défend au niveau étatique une conception spécifique du développement durable. Enfin, à mon sens, développement durable et environnement sont également deux notions distinctes qui doivent chacune faire l’objet d’une stratégique dédiée.

Christian BRODHAG :  La vision actuelle de l’environnement rejette le développement durable. Celui-ci doit pourtant être un levier pour répondre aux problèmes environnementaux. Par ailleurs, à mon sens, l’existence d’un grand ministère en charge du développement durable garantit que les autres ministères ne s’y intéressent pas, alors qu’il doit pourtant s’agir d’une préoccupation transversale.

De la salle :  (Geneviève VERBRUGGE, consultante environnement et développement durable) Les villes ont émergé en tant qu’acteurs du développement durable en 1992, lorsque 300 d’entre elles ont signé l’engagement de Curitiba. Désormais, malgré l’essoufflement des Agendas 21 locaux, le plan local est la seule échelle où se réalise l’intégration du développement durable.Par ailleurs, la notion de développement durable est apparue lors de la conférence de Rio en 1992, pour remplacer le terme « environnement » que le groupe des 77 ne souhaitait pas utiliser. Dans certains pays, notamment en Asie, le développement durable est d’ailleurs encore assimilé à l’environnement. Enfin, je suis très pessimiste quant à la possibilité de négocier en 18 mois des objectifs de développement durable, accompagnés d’indicateurs chiffrés, qui soient compatibles avec la révision des OMD.

El Habib BENESSAHRAOUI :   L’accord de principe concernant les objectifs de développement durable est l’une des avancées majeures de la conférence de Rio+20.

De la salle :  (Roger CANS, journaliste) L’expression « développement durable » provient en réalité d’une mauvaise traduction de l’expression « sustainable development ». On l’a préférée à celle pourtant plus juste de « développement soutenable ». Aujourd’hui, ce concept est en train de perdre son sens, à force d’être trop utilisé.

El Habib BENESSAHRAOUI :   Le développement durable est-il un concept « fourre-tout » ?

De la salle :  (Catherine BERGEAL, Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature – DGALN – du Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie – MEDDE) Les aspects paysagers, architecturaux, etc. du développement durable sont laissés de côté au MEDDE. Par ailleurs, on observe aujourd’hui un retour vers le niveau local, pour trouver des solutions aux enjeux de développement durable. A mon sens, l’intégration des échelles est primordiale dans ce domaine. Il faut traiter chaque problème à l’échelle la plus pertinente.

De la salle :  (Jean-Pierre PIECHAUD, Association Dossiers et débats pour le développement durable – 4D) Le concept de développement durable est en approfondissement permanent. Par ailleurs, le travail en réseau est essentiel pour travailler en matière de développement durable. C’est en application de ce principe que l’association 4D a animé pendant deux ans le collectif Rio+208.

De la salle :  (Christina VON FURSTENBERG, UNESCO) L’UNESCO a beaucoup travaillé sur le concept de développement durable, qui à mon sens, n’a rien d’une notion « fourre-tout ». C’est un concept qui peut sembler insaisissable mais qui devient plus clair une fois que l’on a mené une réflexion épistémologique. A l’UNESCO, nous considérons que le développement durable doit être érigé au même rang que la justice, l’équité, les droits humains, etc.Par ailleurs, alors qu’en 1972, la conférence de Stockholm a réuni des scientifiques et des politiques, la conférence de Rio en 1992 a été caractérisée par l’ouverture de l’assemblée aux ONGs/représentations de la Société civile, un gain démocratique qui forcément rend le dialogue plus complexe. Enfin, depuis la conférence de Johannesburg, on assiste à l’intégration progressive des préoccupations de développement durable dans le secteur privé, mais des progrès sont encore à fournir en matière de respect des droits humains. Pour parvenir à progresser dans les négociations concernant le développement durable, l’UNESCO a mené des recherches ciblées pour analyser les relations entre la production du savoir, y inclus non-scientifique, et les politiques publiques. De fait, afin d’atteindre un objectif de justice sociale, l’élaboration des politiques gagne à être nourrie par les résultats de la science autant que de la pratique. Comment ce savoir est-il répertorié ? Les décideurs obtiennent-ils les informations « adéquates » et les utilisent-ils ? Comment la prise de décision évolue-t-elle à l’ère de la mondialisation et de la dépendance – ou de la méfiance – croissantes à l’égard de la coopération multilatérale et bilatérale ? Des approches nouvelles et alternatives d’une gouvernance pluri-centrique émergent partout, à toutes les échelles. Afin de créer des outils méthodologiques qui facilitent l’utilisation inclusive que feront les décideurs de toutes ces connaissances, nous avons approché le développement durable par trois cadres conceptuels, celui de l’éthique, celui qui s’appuie sur l’analyse scientifique, et finalement, le cadre stratégico-politique qui marie ces deux optiques. Grâce aux outils innovateurs développés par les technologies de l’information, comme par exemple l’analyse sémantique assistée, on parvient à extraire et comparer, selon le besoin de l’utilisateur, des contenus pertinents qui sont d’ores et déjà disponibles dans des banques de données et dépôts institutionnels à accès libre à travers le monde. Les résultats ainsi obtenus peuvent être très étonnants. Enfin, pour que ce croisement des cadres conceptuels impacte les débats politiques, il faut se doter de nouveaux espaces politiques qui décloisonnent les discours, tout en favorisant l’implication des principaux acteurs. L’usage des technologies de l’information permettra de gagner du temps et de rendre plus pertinentes ces grandes négociations internationales. L’OIF pourrait prôner ce type de pratiques.

El Habib BENESSAHRAOUI :   L’une des initiatives proposées dans le cadre du Forum de Lyon concerne l’information. Nous fondons beaucoup d’espoirs sur cette initiative.

De la salle :  (Claude ROY, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts et président du club des bio-économistes) A mon sens, les fondements de la notion de développement durable ne sont pas ceux du rapport Brundtland, mais les problématiques suivantes :

– la croissance démographique

– le changement climatique

– l’accès aux ressources.

Face à ces défis, l’unique solution est de mettre en place des systèmes très productifs, mais aussi sobres et diversifiés.

 

De la salle :  (Marie CHERON, association 4D) Si la dimension sociale du développement durable a tendance à s’estomper de manière générale, plusieurs initiatives en France se distinguent en la matière. Par ailleurs, le rôle des ONG a été défini en 1992 comme celui d’une interface entre les citoyens et le niveau international. Cette position est difficile à assumer, car elle implique de trouver un juste milieu entre expertise et écoute. Enfin, au sein de l’association 4D, je suis en charge d’une étude sur la transition vers une économie écologique à l’horizon 2050. Après avoir établi un état des lieux, l’objectif de cette étude est d’explorer des pistes pour optimiser la gestion des ressources naturelles d’ici 2050. Nous avons notamment retenu la vision de la bio-civilisation. Ce concept a été récupéré par les mouvements sociaux, qui insistent sur d’autres formes de relations sociales et de relations à l’environnement avec des modes de gestion des ressources plus démocratiques. Cela implique des ruptures économiques importantes, notamment en ce qui concerne les droits de propriété, la conception du collectif, etc.

De la salle :  (Dominique MARTIN-FERRARI, journaliste) L’importance croissante de la Chine et du Brésil à l’échelle mondiale bouleverse aujourd’hui l’organisation des relations internationales. Il ne faut pas non plus négliger le rôle des femmes dans les négociations internationales sur le développement durable, car elles étaient très présentes à Rio en juin 2012. Par ailleurs, je regrette l’incapacité à mettre en place une réflexion interscalaire. En matière de développement durable, on se contente de superposer les échelles sans les appréhender dans une vision intégrée.Enfin, ces dernières décennies ont été aussi marquées par la multiplication du nombre de journalistes qui s’intéressent au développement durable. Dans les années 1970, nous n’étions qu’une poignée à nous intéresser à l’environnement, alors que plusieurs milliers de journalistes étaient présents au Sommet de Copenhague en 2009. Or tous ces journalistes ne parlent pas le même langage. Ce manque de communication engendre des problèmes de communication envers le grand public.

De la salle :  (Carole HERNANDEZ ZAKINE, Société des agriculteurs de France – SAF)Le développement durable a toujours été présenté aux agriculteurs sous l’aspect environnemental et comme une contrainte. Toutefois, à la SAF, nous le considérons comme un enjeu crucial, qui nécessite de se préoccuper de la gestion de la rareté des ressources. Nous avons notamment mené une réflexion autour de la gestion de l’eau potable, qui est un enjeu à intégrer dans la production agricole. Ce travail a révélé la persistance de l’administration à cantonner le développement durable à l’environnement et à éviter l’approche locale.

De la salle :  (Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI) Aujourd’hui, on court après l’élévation du niveau de vie sans se préoccuper de sa qualité. La force de notre planète réside dans sa diversité, mais il manque aujourd’hui une unité autour de cet enjeu. Pour atteindre la bio-civilisation, nous ne devons pas faire une révolution de nos modes production et de consommation, mais les métamorphoser. Dans ce cadre, les terroirs sont un levier d’action.

Jacques THEYS :   La conférence de Rio+20 a réuni plus de 45 000 personnes pour produire un texte finalement décevant. N’oublions pas toutefois que les 20 dernières années ont amené des changements historiques en matière de développement durable. Il faut valoriser ces évolutions tout en restant lucide sur le temps qui passe.Ensuite, rappelons qu’un développement soutenable ne concerne pas que l’environnement. Il implique également d’apporter des réponses aux problèmes sociaux, par exemple.Enfin, l’articulation des échelles (celle des villes et celle des Etats notamment) est aujourd’hui fondamentale pour permettre des avancées concrètes.

Christian BORDHAG :   A mon sens, l’environnement, l’économie, la dimension sociale et la culture ne sont pas à situer au même niveau en tant que composants du développement durable. En effet, l’environnement est une condition du développement durable, tandis que le social en est un objectif et l’économie, un moyen. La culture enfin en est l’identité. Par ailleurs, la multiplication du nombre d’acteurs impliqués dans les négociations internationales concernant le développement durable entraîne une complexification de ce processus. A cela s’ajoute la nécessité d’une gestion optimale des biens communs, qui conduit à l’émergence de nouveaux modèles mentaux que porte le développement durable.

Vers un nouveau modèle de développement

Présidence : Hugues de JOUVENEL 

Hugues de JOUVENEL 

président-délégué général de Futuribles International 

Je rappelle qu’en 1972, lors de la première conférence mondiale sur l’environnement, et alors que le premier rapport au Club de Rome sur « Les limites à la croissance » venait d’être publié, la problématique du développement durable (même si ce concept n’était pas encore dominant) était déjà posée. Depuis lors, hélas, se sont écoulées quarante années sans que les mesures adéquates soient adoptées pour nous orienter vers des stratégies de développement plus économes en ressources naturelles et moins agressives vis-à-vis de l’écosystème. Aujourd’hui, les pays en développement s’invitent au banquet de la planète, en suivant le modèle des pays développés. Cette situation ne fait qu’accroître la consommation de ressources rares (eau, terres agricoles, énergies d’origine fossile…) ainsi que la production de pollutions et de nuisances menaçant gravement l’écosystème, le changement climatique étant emblématique de ce phénomène. Cette situation n’est pas tenable et les pays développés, en particulier en Europe, se doivent de jouer désormais un rôle pionnier sur la question des styles de développement et des modes de vie. Il est urgent de relever ce défi sans attendre encore quarante ans et nous trouver alors confrontés à une situation compromettant gravement notre écosystème. L’objet de cette table ronde est donc de dégager quelques lignes d’action pour relever ce défi.

Eau, sécurité alimentaire et bio-civilisation 

Guillaume BENOIT 

Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts et ancien directeur du Plan bleu 

Eau et sécurité alimentaire : deux enjeux interdépendants – La mise en oeuvre de la bio-civilisation implique un changement radical de paradigme. Mais elle est indispensable pour relever le défi de la sécurité alimentaire, particulièrement crucial alors que l’on prévoit que la planète compte 1 milliard d’êtres humains supplémentaires d’ici 2025. L’enjeu de la préservation des ressources en eau est intrinsèquement lié à ce défi, puisque 70 % de l’eau prélevée dans les nappes phréatiques est destinée à l’agriculture. Par ailleurs, malgré une forte urbanisation, la population agricole reste nombreuse à l’échelle mondiale. Elle est néanmoins marginalisée et plus pauvre que la population urbaine.

Les ressources en eau sont inégalement réparties à l’échelle du globe. L’accès à l’eau est d’autant plus difficile dans les zones sèches (Afrique du nord et Moyen-Orient, Afrique subsaharienne et Asie du sud-est notamment) que ce sont celles qui connaissent la plus forte croissance démographique. Cette situation entraîne une dépendance alimentaire accrue pour les pays des zones sèches. Ainsi, l’Egypte importait 30 000 tonnes de blé par an en 1939, contre 10,4 millions de tonnes aujourd’hui. On peut se demander si cette situa tion n’engendrera à l’avenir des déplacements massifs de population.

D’autres problèmes menacent la sécurité alimentaire : l’érosion des sols qui entraîne des pertes de rendement (en Inde et en Chine, par exemple), la salinisation des sols (comme en Irak), la surexploitation des nappes phréatiques qui pèse sur la pérennité de la ressource en eau ou encore l’étalement urbain, qui entra îne la réduction de la surface agricole (en France, par exemple). Des déséquilibres territoriaux existent également à l’échelle des pays, entre des littoraux très urbanisés et des arrière-pays mieux préservés mais marginalisés.

 S’engager sur le chemin d’une nouvelle bio-civilisation

Pour s’engager sur le chemin d’une nouvelle bio-civilisation, le premier impératif est de produire plus et mieux. Plusieurs solutions s’offrent à nous pour atteindre cet objectif. Le Système de riziculture intensive (SRI) s’est par exemple développé dans de nombreux pays d’Asie. Il permet d’accroître de presque 50 % les rendements, d’économiser 40 % d’eau et d’augmenter de 68 % les revenus tirés de chaque hectare. Les méthodes d’agriculture de conservation (couverture permanente, rotation des cultures et minimisation du travail du sol) contribuent aussi à préserver les eaux et les sols. En France, l’agroforesterie contribue à limiter l’érosion des sols et la pollution de l’eau, et à accroître la productivité agricole. (L’agroforesterie désigne l’association d’arbres et de cultures ou d’animaux sur une même parcelle agricole, en bordure ou en plein champ (source : Association française d’agroforesterie). Pour en savoir plus : http://www.agroforesterie.fr/index.php) Ensuite, il est nécessaire de répondre à l’enjeu de gestion de l’eau en tant que bien commun. Les travaux d’Elinor Oström démontrent qu’il est possible d’instaurer une coopération profitable à tous en matière de gestion des communs, sous réserve de l’établir à la bonne échelle. Par exemple, au Cambodge, la ressource en eau dans la région des Prey Nup est gérée par la Communauté d’usagers des polders, qui est élue. Grâce à elle, les rendements des terres agricoles ont été multipliés par 2,5.

De nouvelles politiques agricoles sont également un levier pour atteindre la bio-civilisation. Par exemple, l’Etat vietnamien a mené une politique d’appui aux nombreuses micro-exploitations du pays, qui a permis de doubler leur rendement en 20 ans. Enfin, la bio-civilisation nécessite d’envisager l’emboîtement des échelles (locale, régionale, nationale, macro-régionale et mondiale).

Conclusion

En conclusion, pour répondre aux besoins en alimentation du futur, il est nécessaire de mettre en place des écosystèmes plus productifs, de penser et d’agir en systèmes et d’innover sur tous les plans (agronomique, social, technologique, etc.).

Les terroirs comme modèle de gouvernance des ressources biologiques et naturelles 

Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI 

Ecologue et agricultrice marocaine 

Définition : Un terroir est un ensemble territorial complexe, qui est le fruit d’interactions multiples entre nature et culture (écosystèmes conservés, services écologiques, originalité, typicité, savoir-faire). Il est à la base de la survie économique et culturelle de toute une population en fournissant des ressources (énergies, nourriture, eau, pâturage, sols) pour la subsistance et les revenus. De plus, il repose sur une gestion adaptative et une grande capacité à répondre de façon flexible aux changements. En somme, c’est un espace vivant et innovant, en constante évolution.

Des exemples de terroirs au Maroc : Le premier exemple de terroir concerne le douar d’Aït Tamejjoute, qui est situé dans le haut Atlas, une région où les précipitations sont faibles. Le fonctionnement de ce douar repose sur la solidarité entre agriculteurs. Il présente un système agrosylvopastoral parfait. La production agricole du douar est réservée en priorité à l’auto-consommation, puis le surplus est écoulé dans le souk le plus proche. Ce terroir a été façonné par des hommes et des femmes qui ont su faire preuve de débrouillardise et utiliser à bon escient l’héritage de leurs ancêtres. Ensemble, ils ont créé un terroir diversifié qui assure leur bien-être.

Le deuxième exemple de terroir concerne le terrain privé de Shoul, que j’ai acheté pour y faire renaître un terroir. Ce terrain, au départ complètement aride, se situe dans une région où ont été pratiqués la céréaliculture et l’élevage à outrance. Un travail important de réhabilitation des sols et d’installation d’un système de récupération des eaux pluviales a dans un premier temps été indispensable. Aujourd’hui, ce terrain de 2,5 hectares accueille des cultures diversifiées (céréales, plantes aromatiques et médicinales, etc.) et fait vivre cinq familles rurales. Son fonctionnement repose sur un système d’autogestion et d’autofinancement.

Enfin, le troisième exemple de terroir concerne la zone de Brikcha, située dans la région de Chefchaouen-Ouezzane au nord du Maroc, connue pour être le château d’eau du pays mais aujourd’hui en pleine désertification. En tant que bénévole, j’ai participé à un t ravail d’animation et d’encadrement des agriculteurs, pour les aider à réhabiliter leur terroir. Aujourd’hui, plus de 30 agriculteurs de Brikcha cultivent leurs terrains en suivant les méthodes de l’agro-écologie. La commercialisation de leur production repose sur un système de garantie participative.

Un chemin vers la bio-civilisation

Les terroirs constituent un chemin vers la bio-civilisation, car ils sont des oasis qui permettent d’endiguer la perte de la biodiversité. Ce sont des lieux où l’humain et la nature comptent davantage que le profit et qui participent à la sécurité et à la souveraineté alimentaires des territoires.

Echanges avec la salle 

Hugues de JOUVENEL: Les terroirs peuvent-ils résoudre le problème de l’alimentation d’une population de plus en plus urbaine ? Par ailleurs, qu’est-ce qu’un système de garantie participative ?

Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI : Un système de garantie participative repose sur un contrat moral entre un producteur et un consommateur, lui-même fondé sur une confiance réciproque. Les terroirs assurent l’auto-suffisance alimentaire de leur population. Mais il existe aussi une forte demande d’urbains qui souhaitent se fournir en produits alimentaires dans les terroirs.

Julien DOSSIER : La question d’Hugues de Jouvenel contient deux présupposés : d’une part, la population urbaine restera en ville et d’autre part, il existe une dichotomie profonde entre milieu urbain et milieu rural. Mais rien ne garantit que ces deux hypothèses se confirment à l’avenir.

Jacques THEYS  : Peut-on faire renaître des solidarités pour créer de nouveaux terroirs ?

Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI  :Oui, c’est que nous avons fait à Shoul, grâce à l’animation des acteurs locaux.

De la salle  : Quelle est la moyenne d’âge de la population de ces terroirs marocains ? Les jeunes n’aspirent-ils pas à autre chose que cette vie rurale ?

Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI  : De nombreux jeunes reviennent à l’agriculture après un exode rural, afin de satisfaire une recherche de bien-être.

Guillaume BENOIT  : Dans les Hauts de l’île de La Réunion, pour faire face à l’enjeu de maintien de l’équilibre rural, un travail d’animation des agriculteurs a été engagé dans le cadre d’une commande publique. Aujourd’hui, comme la méthode a fait ses preuves, d’autres agriculteurs souhaitent rejoindre la démarche.

Christian BRODHAG  : La notion de terroir souffre d’oubli. Il faudrait s’en emparer, par exemple dans le cadre de la Francophonie, pour la développer.

Hugues de JOUVENEL  : Est-il vrai que le Maroc exporte des matières brutes et importe des produits manufacturés ?

El Habib BENESSAHRAOUI  : La stratégie du Maroc consistant à exporter des matières brutes et à importer des produits manufacturés a eu des effets pervers, car le pays ne produit pas ce dont il a besoin. En effet, malgré les efforts en faveur du développement agricole, le Maroc doit encore importer des céréales pour nourrir sa population. En outre, les tomates et les clémentines sont deux produits d’exportation qui ont donné lieu à de très lourds investissements agricoles, mais dont les bénéfices profitent aux consommateurs étrangers.

De la salle (Catherine BERGEAL) : Les paysages des Causses et des Cévennes sont inscrits depuis 2011 à la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Pour y parvenir, nous avons dû montrer qu’il existe sur ce territoire un engagement de la société à faire préserver le caractère exceptionnel de ce site. Il faut désormais inscrire cet engagement dans la durée, notamment au travers de son appropriation par la population locale.

De la salle (Jean-Pierre PIECHAUD) : Bénéficiez-vous d’un appui politique pour développer ces terroirs au Maroc ?

Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI  : C’est avant tout la société civile qui porte ces projets. Celui de Shoul a été engagé à titre privé, tandis que celui de Brikcha a bénéficié du soutien de l’Agence française de développement (AFD) et du programme de micro-financement du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Les collectivités locales se réjouissent de la réussite de ces initiatives mais n’y participent pas.

Guillaume BENOIT  : Je m’inscris en faux de cette vision selon laquelle le Maroc a abandonné la production de céréales. Comme d’autres pays du sud, il a été très protecteur envers la production de céréales. En revanche, il est exact que les politiques agricoles ont favorisé le développement de la culture de l’huile de graines au détriment de celle de l’huile d’olive, ce qui entraîne une perte de la culture méditerranéenne.

Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI  : Les producteurs sont très attachés à la culture des céréales, car ces dernières sont l’ingrédient de base du pain.

Villes post-carbone : l’exemple de Fontainebleau 

Julien DOSSIER 

Directeur de Quattrolibri 

En France, depuis 1990, les émissions de carbone ont diminué de 53 millions de tonnes. Mais l’essentiel du chemin reste encore à parcourir, puisque pour atteindre les objectifs du facteur 4 d’ici 2050, les émissions CO2 devront encore diminuer de 354 millions de tonnes. Dans ce contexte, le BETA Programme®11 vise à mobiliser l’ensemble des parties prenantes des villes satellites de métropoles dans une perspective de relocalisation des filières d’emplois et afin d’optimiser la valorisation durable des ressources locales.(Pour connaître tous les détails du BETA Programme® : http://betaprogramme.org/)

Le BETA Programme® s’appuie sur une recherche-action menée sur le territoire de Fontainebleau, qui est une ville satellite de Paris. Elle regroupe 50 000 habitants, mais draine aussi un flux touristique important : son château attire 400 000 visiteurs et la forêt qui l’entoure environ 17 millions de promeneurs par an. Sur le plan du développement durable, cette fréquentation touristique pose problème puisqu’une consommation accrue de carburant en est la première conséquence. En outre, Fontainebleau souffre de l’attractivité de la capitale. Elle manque de dynamisme et ses habitants sont donc contraints de s’éloigner de leur domicile pour trouver un emploi. Mais, le fait de devoir se rendre en voiture sur son lieu de travail crée une dépendance par rapport à ce mode de déplacement, auquel on recourt alors également pour aller faire ses courses, par exemple. Les petits commerces de proximité sont alors délaissés au profit des supermarchés qui offrent davantage de possibilités de stationnement. Mais il en résulte un déclin supplémentaire du commerce local, la perte d’emplois locaux et donc la nécessité pour les habitants de Fontainebleau de s’éloigner encore davantage de leur lieu de résidence pour travailler.

Pour rompre le cercle vicieux dont les villes-satellites comme Fontainebleau sont prisonnières, mais aussi pour atteindre les objectifs du facteur 4, le BETA Programme® propose de mobiliser l’ensemble des parties prenantes du territoire autour de quatre domaines fortement émetteurs de CO2 : les bâtiments, l’emploi, les transports et l’alimentation. Ce programme part du principe que les villes-satellites peuvent porter la dynamique de transition vers un monde post-carbone car elles sont très nombreuses. Les actions mises en place dans ces villes peuvent en effet avoir un effet aussi important que celui des actions portées par les grandes villes, qui concentrent en général tous les efforts.

Le BETA Programme® se veut accessible à tous, inclusif et transposable12. Il s’articule autour d’actions dont la mise en oeuvre est prévue selon trois échelles de temps (0-1 an, 1-5 ans et 5-10 ans). Tous les acteurs du territoire peuvent s’impliquer dans le BETA Programme®, mais une première action des grands comptes locaux garantit des retombées significatives et peut avoir un rôle d’entraînement. A Fontainebleau, ce rôle pourrait être joué par l’hôpital qui est le premier employeur de la ville.

(Dans une perspective de réplication du BETA Programme®, Quattrolibri a formé un échantillon de 144 villes-satellites en s’appuyant sur deux critères : le nombre d’habitants (entre 10 000 et 50 000 personnes) et la discontinuité urbaine avec l’agglomération).

Le sujet alimentaire au coeur du développement durable 

Jean-Pierre DARDAUD 

Collectif « Alimentons 2012 », membre du réseau JINOV 

En France, on perçoit depuis peu un regain d’intérêt de la jeunesse pour la production alimentaire. Par exemple, en Bretagne, plus de 500 jeunes attendent d’avoir la possibilité de s’installer en tant qu’agriculteurs. Plus qu’un projet professionnel, ces jeunes font du développement durable un enjeu également personnel et citoyen. Par ailleurs, en Inde, plus de 50 000 personnes ont participé en octobre 2012 à la marche des paysans sans-terre, pour demander au gouvernement une redistribution équitable des terres. Sans lopin de terre à cultiver, ces paysans ne peuvent pas subvenir à leurs besoins alimentaires. En raison de leur mode de vie simple et économe en ressources, ils sont porteurs d’une culture de développement durable. En France, comme en Inde, on pourrait s’attendre à ce que les institutions accordent un minimum d’attention à ces acteurs porteurs du développement durable, mais ce n’est pas le cas. La présence d’obstacles à surmonter par ceux qui souhaitent devenir agriculteurs pose donc la question de la démocratie, au travers de la problématique du droit d’accès à la terre et à ses métiers. Par ailleurs, la démocratie est stratégique pour le développement durable, puisqu’il serait profitable que de plus en plus de personnes s’y intéressent. Or les grandes rencontres institutionnelles consacrées au développement durable sont aujourd’hui déconnectées de la vie quotidienne des populations. Le développement durable a donc tout intérêt à porter la démocratie, pour élargir la base sociale qui elle-même le porte.

De plus, la démocratie permet de construire des compromis durables, à l’échelle collective, pour articuler les problématiques environnementale, économique et sociale du développement durable. La démocratie est aussi un espace d’accueil pour la diversité qui découle notamment de la nécessité de s’adapter à chaque contexte. Enfin, le développement durable ne pourra se réaliser qu’avec des acteurs responsables, capables de faire la synthèse entre intérêt personnel et intérêt général, bien privé et bien commun, etc. Or la démocratie participe a créé une dynamique de réflexion et d’action qui va dans ce sens. 

Si la démocratie participe à l’essor du développement durable, ce dernier, notamment au travers de l’alimentation, peut également contribuer à renforcer la démocratie. En effet, l’alimentation est source de « nous », car c’est un sujet qui nous concerne tous, au travers de la faim mais aussi de savoir-faire, de goûts, de souvenirs, etc. Ensuite, l’alimentation en tant qu’enjeu vital, est capable de questionner les ressorts d’autonomie de chacun d’entre nous. La souveraineté alimentaire peut ainsi s’envisager à tous les niveaux : de l’Etat à l’individu. Enfin, l’alimentation en tant qu’elle assure le maintien de toute espèce, est peut-être ainsi l’une des bases les plus durables de tout engagement. On peut alors voir dans l’alimentation un levier de mobilisation en faveur du développement durable.

Biomasse et bio-économie 

Claude ROY 

Ingénieur général des ponts et des forêts, président du club des bio-économistes 

Outre l’accroissement démographique mondial, le 21e siècle confrontera l’humanité à trois défis majeurs : celui de l’eau et de l’alimentation13, celui de l’énergie14 et celui du changement climatique. Seules trois solutions mises en oeuvre simultanément permettront de relever ces défis. Tout d’abord, il est nécessaire de réduire les consommations d’énergies et de matières premières dans tous les domaines. Ensuite, il est indispensable de remplacer les sources d’énergie et de matières premières fossiles, notamment par les bioénergies, les biomatériaux, etc.. Enfin, il est impératif d’accroître la séquestration du carbone, grâce à l’action de la filière bois, de celle des agro-matériaux, etc.

La valorisation accrue, intelligente et durable des fruits de la photosynthèse, c’est-à-dire de la biomasse, et donc de l’agriculture, de la forêt et des biodéchets, intervient pour la mise en oeuvre de ces trois solutions. Autrement dit, une agriculture et une sylviculture productives, sobres et diversifiées, constituent les meilleurs remparts contre le changement climatique, aux côtés des économies d’énergie et des innovations technologiques et organisationnelles. La bio-économie permettra en effet de parcourir un tiers du chemin qui nous sépare de l’ère de l’après-pétrole et un tiers de celui qui nous sépare de l’atteinte du facteur 4. La biomasse regroupe six types de ressources : les biodéchets et les sous-produits organiques ; les déchets et les sous-produits cellulosiques fatals ; le bois et ses assimilés ; les productions cellulosiques dédiées, agricoles, ou forestières ; les cultures alimentaires ; et la biomasse aquatique et marine. En face des ressources se trouvent huit marchés qui répondent à des usages primaires non directement énergétiques (l’amendement organique des sols ; l’alimentation ; les matériaux renouvelables traditionnels ; les néo-bio-matériaux, et la chimie du végétal) ou à des usages énergétiques (les bio-carburants ; la bio-chaleur et le biogaz ; et la bio-électricité cogénérée).

Aujourd’hui, en France, la biomasse représente 5 % des marchés de l’énergie, des matériaux et de la chimie. L’objectif est d’atteindre une proportion de 10 % en 2020 puis de 20 % en 2050. La réalisation de cette feuille de route repose à 60 % sur la filière forêt et bois, à 30 % sur l’agriculture et à 10 % sur les biodéchets. L’enjeu sera donc de mobiliser ces ressources et d’assurer leur renouvellement, grâce à un comportement sobre et diversifié. Par ailleurs se pose également la problématique de l’espace disponible pour produire la biomasse : en France, d’ici 2050, il faudrait consacrer 5 millions d’hectares d’espaces agricoles et forestiers à des productions économiques dédiés et environ 2 millions d’hectares de surfaces essentiellement agricoles à la chimie du végétal, dans une Surface agricole utile (SAU) de 30 millions d’hectares. Il s’agit finalement de recomposer une situation déjà rencontrée dans le passé, puisqu’au début du 20e siècle, les « cultures énergétiques » (fourrages pour les animaux de trait) représentaient plus de 20 % de la SAU française.

Enfin, notons que les filières de la bio-économie sont porteuses d’emploi non-délocalisables. Par exemple, la filière bois-paille représente un potentiel de 30 000 emplois supplémentaires d’ici 2020. De plus, ces filières créent une double valeur : la valeur du produit et la valeur des émissions de CO2 évitées. Malheureusement, la filière du carbone vert reste aujourd’hui mal comprise. Les expressions « forêts productives » et « agriculture énergétique » choquent à tort encoure beaucoup de personnes.

Echanges avec la salle 

De la salle :  (Henri JAFFEUX – Association pour l’histoire de la protection de la nature (AHPNE)) Votre raisonnement ne tient pas compte de la pression que subiront les écosystèmes dans votre modèle.

Claude ROY : Le modèle de la bio-économie ne porte pas préjudice aux écosystèmes, car il repose sur la diversité et la sobriété des méthodes mises en place. En outre, la nature est faite pour être cultivée et maîtrisée.

Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI  :Quel est le coût de la perte en biodiversité induite par la bio-économie ?

Claude ROY : Le modèle de la bio-économie n’a pas un impact négatif sur la biodiversité, au contraire il contribue à l’enrichir.

Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI : A mon sens, la bio-économie n’implique pas de rupture de notre mode de vie. Pourtant, aujourd’hui, nous devons transformer nos habitudes. Si nous nous organisons autrement, si nous partageons l’espace et les ressources dont nous disposons de manière équitable, alors nous pourrons toujours vivre tous ensemble sur la Terre.

Claude ROY : Ce ne sera pas possible avec 9 milliards d’habitants sur la planète.

Guillaume BENOIT  : A mon sens, les terroirs et la bio-économie ne sont pas des solutions incompatibles. Elles permettent toutes deux d’allier productivité et diversité. Par ailleurs, il est certain que l’on ne pourra pas relever le défi de la sécurité alimentaire sans créer une nouvelle alliance entre productivité et écosystèmes.

Claude ROY  : Il ne faut pas hésiter à valoriser la nature, à condition de respecter certaines règles de bon sens (sobriété et diversité).

Hugues de JOUVENEL  : Je remercie les participants et les intervenants de cette journée pour leur présence, mais aussi l’OIF pour son accueil et l’association Serge Antoine pour l’organisation de cet évènement.

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L’éducation au développement durable

source : Comité 21

Auteur : Serge Antoine

 

                                                                                                             Serge ANTOINE[1]

Le développement durable ne se décrète pas. Ce n’est pas non plus un label à coller sur un bon produit. Sa définition [2] est  très ouverte ; elle se fait en marchant ; sa lisibilité est un  peu  celle de « L’Homme invisible » de Wells où le corps ne se perçoit qu’une fois revêtu de bandelettes. C’est sa mise en œuvre qui lui donne sa force.

Le développement durable est d’abord une démarche, un changement volontaire dans la culture habituelle du développement. Il n’y a pas, pour lui, de modèle tout fait. Il se taille « sur mesure ». Au plus, les pouvoirs publics peuvent-ils arroser les fleurs ou, mieux, lorsqu’ils sont intelligents, faire germer les graines car il  s’agit d’un fruit de la société civile où entreprises, associations, collectivités, professions, consommateurs se donnent la main.

C’est dire que l’éducation au développement durable est au cœur de sa  propagation et même de son mûrissement.

A la condition d’abord de ne pas en faire un objet de récitation. A la condition de multiplier les travaux pratiques. A la condition aussi – et c’est ce que nous examinerons ici – de bien identifier certains parcours qui, souvent, sont à l’inverse de ceux empruntés par l’éducation classique.

Mais au paravant, convenons que l’une des difficultés vient de ce que le développement durable est  souvent porté par ceux qui militent – ou ont milité – pour l’environnement.  Ce n’est, bien entendu, pas une tare mais  c’est sans doute, pour l’éducation, un handicap. L’environnement est, certes, une des composantes fortes du développement durable, et c’est une belle et utile porte d’entrée. Il ne s’agit donc pas de tourner la page. Mais le vrai défi est de recomposer le livre. Nous l’avons déjà dit au lendemain de la Conférence mondiale de Rio :[3] Ce serait une erreur ou une facilité que de prolonger l’énorme acquis de la pédagogie de de l’environnement par le simple ajout d’un volet social ou d’un volet économique.

 

Voyons, quelles sont donc les vertèbres spécifiques de l’éducation du développement durable ?

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le sens du temps

Parce qu’il est d’abord relais de génération, le développement durable doit s’appuyer sur une pédagogie du temps, du temps long, du temps-contenu. C’est une condition indispensable, mais c’est aussi, chacun le sait, l’une des grandes difficultés pour les jeunes que de saisir non la longueur mais la densité du temps. Ce n’est pas un sens que les jeunes cultivent aisément ; ils découvrent l’espace avec plus de facilité,. Mais la durée n’est pas leur instinct.

 

On peut avec les jeunes pousser le curseur de la prospective et les faire parler de 2050,  ou de 2100 puisque, dit-on, c’est leur avenir et non plus le nôtre. Mais la prospective, quand elle est entrevue, est, chez eux, de l’ordre de l’anticipation synchronique et de la futurologie. Que va-t-il se passer en 2050, en 2100 ? Or le vrai support du raisonnement pour le développement durable est  diachronique : l’évolution par effets d’entraînement en  est un ressort. Que va-t-il se passer en chaîne si je modifie telle donnée ? Combien de temps après ? Quel histeresis ? Le jeune, quand il évoque l’avenir, le fait comme un saut.

Plus difficile encore est, pour lui, de relier le futur et le passé ; la rétrospective n’est pas à sa portée et les références au monde, même s’il change de plus en plus vite  ne sont pas dans l’univers familier qui peut faire appel à sa perception..

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Le risque

Deuxième vecteur, deuxième difficulté : l’indispensable apprentissage  du risque. Dans un monde sécuritaire qui aspire de plus en plus à un modèle de « risque zéro », la pédagogie devient de plus en plus difficile. Des guerres sans pertes humaines , des préventions impossibles de pollution zéro, des accidents à éviter, des épidémies conjurées par la vaccination. La réintroduction du risque dans l’éducation ne peut se faire que si l’on donne plus de poids aux confrontations, aux contradictions, aux conflits et qu’on rejette l’angélisme d’un monde meilleur. Il n’y a pas d’énergie douce : elles sont toutes polluantes, d’une manière ou d’une autre. Il faut éviter d’enseigner le monde à la manière d’un bonbel pasteurisé. C’est pourtant le premier fromage qu’aiment les enfants.

 

Certes il ne faut pas tout darwiniser par plaisir mais il n’est pas simple de faire comprendre qu’il faut, hélas, choisir entre les risques. L’avènement mal digéré du « principe de précaution » n’est pas un bon auxiliaire alors qu’on devrait davantage cultiver « le principe de responsabilité » dont la Conférence de Rio en 1992 a pourtant souligné la vertu, se substituant au « principe de souveraineté » encore très présent, vingt ans avant, lors de la Conférence de Stockholm sur l’environnement.

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L’apprentissage de la vie

Faut-il aussi rappeler que la place faite au vivant et à l’enseignement de la vie est un vecteur essentiel de l’éducation au développement durable. Avec ce qu’elle comporte de germiné, d’inattendu et, pour une part, de non programmé.  La place doit être faite à l’aléatoire et à la riche déperdition des graines.

« Développement viable » disent les Canadiens plutôt que « développement durable ». Développement de la vie porté par un humus à fertiliser, une fertilisation qui est bien la clef de la « soutenabilité ». « Sustainable » est meilleur que « durable ». D’ailleurs que n’écoute-t-on, avant d’adopter sans  broncher l’anglicisme des conférences internationales, le bon vieux français si prémonitoire : l’édit royal de Brunoy de 1347 qui recommandait « qu’on limite l’exploitation des forêts à ce qu’elles puissent perpétuellement se soutenir en bon état ».

 

L’enseignement d’aujourd’hui fait trop peu de place à la vie. C’est pourtant une des conditions d’une vraie culture du développement durable.

 

Le patrimoine : une dimension-clef 

 

Le patrimoine est, bien sûr, lui aussi, au cœur de la notion de développement durable. Or  lui, non plus, n’est pas dans les réflexes habituels.  Il est trop assimilé à l’avoir possédé par l’aïeul quand il s’agit de transmission aux générations futures.

On est ici face à un véritable manque dans l’éventail des instruments dont nos sociétés se sont dotées pour  percevoir leur logique. L’un de ces instruments est la comptabilité patrimoniale. Or elle est encore embryonnaire [4]. Et pourtant c’est elle seule qui peut chiffrer  le qualitatif à peine effleuré à grands traits par les comptes  actuels. La comptabilité patrimoniale est attendue comme le messie pour dépasser la comptabilité  deniers qui, au XVIIIe siècle, s’est acharnée à affiner l’immédiateté des comptes d’exploitation.. Or elle ne nous nous permet pas d’appréhender toutes les dimensions du capital naturel et humain à transmettre. La comptabilité patrimoniale gagnerait à être apprise à l’école pour permettre, un jour, à celle-ci de pousser convenablement dans la société trop adulte.

 

L’approche patrimoniale apporte aux générations présentes la perception du renouvelable et du non renouvelable, de plus en plus essentielle dans la gestion des ressources, la mise en valeur des gisements que peuvent valoriser des politiques de maîtrise ou de recyclage. Elle fait comprendre aussi que l’attention portée à l’équipement ou à l’investissement doit se doubler par une plus grande attention au renouvellement, à l’entretien et à la gestion tout court. Elle peut permettre d’identifier les équipements inutiles ou les suréquipements dans des sociétés trop enclines à chercher, par l’artefact nouveau, des réponses aux problèmes.

**

La protection et le changement.

Parce qu’il s’agit de transmettre un patrimoine (intact ?) aux générations futures, le développement en plus, qualifié de « durable », apparaît sous un jour à priori conservationniste que renforce encore le poids du souci de la protection de l’environnement. Ce serait une grave erreur que d’accréditer l’idée que le développement durable est  « protecteur ». Bien sûr, il se doit de souscrire à la conservation au sens intelligent du terme lorsqu’en particulier, l’irréversible est en jeu. Mais il doit aussi faire appel à l’innovation, aux modèles alternatifs, aux nouvelles technologies, au changement. N’ayons pas peur de le dire, le développement durable est  changement. La pédagogie doit insister sur cette dimension, plutôt que de décliner – ce qui est plus facile à expliquer – la protection ; elle doit faire appel à des décisions nouvelles, des options à risques, des références d’anticipation résolument tournées vers l’avenir.

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Le systémique

Une autre dimension tout à fait indispensable à une bonne éducation du développement durable est la vertu du « systémique ». Or et elle est très exceptionnelle dans l’éducation, en tout cas en France, où l’on caresse l’agrégation mais pas de la manière où on doit l’entendre ici.

Le développement durable est – chacun finit par le savoir- d’une convenable lecture élargie à l’économie, au social, à l’environnemental. Le premier effort consiste non à l’admettre mais à aller plus loin dans le combinatoire au delà d’une trop facile  une énumération ou d’une juxtaposition. Il n’est pas suffisant de dresser une check-list où l’on trouvera après, heureusement, la problématique de la pauvreté ou celle de l’emploi. Mais il faut effectivement croiser davantage ce qui est plus que des éléments. C’est dire qu’on doit aller bien au-delà du réflexe analyste d’une bonne classification. L’analyse systémique, la globalisation sont des exercices absolument nécessaires et, qui plus est, en prospective et, en tout cas en dynamique évolutive ; le développement durable n’est pas un état, il est un devenir.

A cette fin, la première précaution consiste à choisir les bonnes  frontières  [5] et à rechercher les enchaînements organiques, les interfaces, les filières. Il me plaît à rappeler le réflexe de ceux qui pratiquent l’initiation au bois où l’on se contente d’emmener les élèves en forêt alors qu’il faudrait leur faire comprendre tout le cycle de l’abattage, du sciage, de la transformation, du transport, de la consommation, du recyclage. C’est à dire, la pédagogie de la filière qui  fait saisir des problèmes du développement durable  au  delà de la seule pédagogie de la nature.

 

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Le jeu des acteurs.

Autre point : L’éducation traditionnelle n’a pas l’habitude quand elle parle de mécanismes, de l’embarrasser du jeu des acteurs. Elle présente le plat cuisiné en occultant le cuisinier.

Ce fut un grand mérite du Sommet de Rio en 1992 d’avoir, alors qu’il s’agissait  d’ une Conférence mondiale des nations (unies), mis en plein jour ceux que les anglo-saxons ont appelé les « major groups », qui forment ce que nous qualifions de « société civile ».  Cette reconnaissance n’est pas seulement un signe de politesse : elle est essentielle pour comprendre le rôle des différents partenaires que sont les entreprises, les associations, les collectivités, les consommateurs, les agriculteurs. Tous sont à la table du développement durable mais il faut voir comment les mettre davantage dans la course ; et de penser à ceux qui sont trop souvent hors jeu : c’est le cas, par exemple, des consommateurs et de leurs associations.

 

Sans expliquer le rôle moteur des acteurs comment expliquerait-on l’utilité de la participation ou de la transparence, concepts de choix pour l’éducation ? Ce sont des points de passage obligés du développement durable et non des déclinaisons de la vertu démocratique. La société civile a besoin de la transparence et de la participation pour que le développement durable prenne la route. Les acteurs doivent être au cœur de cette éducation ; il faut bien décrire leur  pouvoir d’intervention dans la préparation des choix dans la formulation du consensus.  Ce consensus etait d’ailleurs bien présent à Rio[6] comme l’essentiel de l’agenda 21 local.

Sans un jeu nourri d’acteurs, le développement durable n’est qu’un masque.

Mais le jeu ne s’arrête pas au consensus. Le « suivi » est souvent plus important que le coup d’envoi. Le développement durable est fait d’une continuité que l’éducation classique a trop tendance à occulter ou à sub-découper. L’après vente est une attention aussi décisive que la vente. On ne l’enseigne pas assez. Il faut donc  tout faire pour identifier le rôle des acteurs  et leur intervention  le plus en amont possible mais  aussi en aval dans un réel « suivi ». C’est dire l’importance des « indicateurs » du développement durable qui ne sont pas là pour la beauté des statistiques, pour l’enregistrement des bilans ou pour la mesure du passé. Ce sont des outils indispensables.

 

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La multicitoyenneté

Un autre « pont aux ânes » de l’apprentissage du développement durable est celui de la compréhension de la pluralité des mondes et de l’échelle à laquelle on travaille. Cette échelle est bien souvent, pour l’environnement, le petit pays de proximité. Et c’est bien ainsi car l’environnement ne se comprend que bien encadré dans l’échelle de perception directe. C’est indispensable à l’âge d’une communication qui met chacun en relation avec les antipodes, d’une manière apatride à en perdre ses racines. Mais il est nécessaire aussi de se référer à d’autres échelles : celle des continents, celle des régions institutionnelles comme l’Europe ou celle plus transversales des « éco régions » comme la Méditerranée, L’enseignement doit faire comprendre cette nécessité des échelles multiples. Mais inconsciemment, et influencé par les institutionnalistes, ne construit-il pas son architecture en forme de structures gigognes ? Un peu à la manière des poupées russes que tout enfant a reçu en cadeau. Cette conception du monde gigogne qui s’emboîte  est pourtant fausse et conduit à beaucoup de démissions. On entend souvent les maires dire : « nous pouvons nous occuper des déchets : c’est à l’ONU de s’occuper des climats ». Non ! C’est pourquoi l’apprentissage de la multi-citoyenneté est vital.Trois fois plutôt qu’une.  Etre en même temps citoyen de son pays et citoyen de la planète. En ce sens, comment par exemple ne pas mesurer l’intérêt de démarches qui mobilisent plusieurs échelles : par exemple, promouvoir des programmes municipaux de lutte contre l’effet de serre[7].

 

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L’éducation des incertitudes

Enfin  – mais  ne faudrait-il pas le mettre en tête de tout enseignement – le développement durable appelle la modestie ; son éducation aussi. Il doit faire apparaître autant d’incertitudes que de certitudes. C’est d’ailleurs la meilleure manière de faire participer les jeunes que celui de bien montrer que les équations ont beaucoup d’inconnues et que les non connaissances doivent prendre leur place dans l’enseignement des connaissances. Si l’on veut mettre en route un vrai développement durable qui est de l’ordre de l’alternatif, ne faut-il pas arrêter de privilégier le tendanciel ?


[1]    Serge Antoine est actuellement membre de la Commission Méditerranée du Développement Durable qui regroupe 20 États et 15 ONG. Il est président d’honneur du Comité 21 (comité français pour l’environnement et le développement durable) qu’il a fondé en 1994. On lui doit aussi d’être à l’origine de la création de la Datar en 1962, du Ministère de l’Environnement en 1971 et d’avoir été l’un des artisans des régions françaises et des parcs naturels régionaux.

[2]    Rappelons que le concept est né sous le vocabulaire « d’éco-développement » lors de la réunion de Founex en 1971 organisée par Maurice Strong à laquelle participaient  des économistes du Nord et du Sud : par exemple Gammani Correa, Mabharb Hack, Samir Amin, Marc Nerfin, Ignacy Sachs, Serge Antoine…  Plutôt que de réciter celle résumée du Rapport de la Commission mondiale présidée par Mme Grunstland en 1987 nous préférons celle-ci : « le développement durable c’est formuler, faire connaître et mettre en œuvre des choix à la fois économiques, sociaux et écologiques assurant, par l’investissement et la gestion,

  • le renouvellement des ressources et des activités,
  • la protection des milieux et du vivant
  • l’épanouissement sociétal et l’équité sociale,

avec la peine participation des habitants et la référence constante aux générations futures à qui le patrimoine est légué »

[3]  Serge Antoine, Martine Barrère, Geneviève Verbrugge, « La planète terre entre nos mains », La Documentation Française, 442 p., Paris 1994..  Voir le chapitre sur l’enseignement p. 158 écrit par la Ligue de l’enseignement : M. Daniel Lebioda.

[4] Elle a été lancée en France lors d’un groupe de travail que j’avais mis en place avec le Ministère des Finances (direction du Trésor) en 1971 puis reprise dans un comité présidé par M. Claude Gruson, Inspecteur Général des Finances et ancien directeur général de l’INSEE.

[5]  prenons une expression de la vie courante : ne pas découper un poulet comme on le fait parfois en tranches avec un « gefluegel sheere ».

[6] Le chapitre 28 sur les agendas 21 locaux tel que publié à Rio et le consensus des populations en tête de l’exercice.

[7] Ce vecteur a été proposé lors d’une réunion en septembre 2001 à Beyrouth à l’initiative d’une association libanaise.

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Le développement durable c’est quoi ?

Source : Comité 21. 2003

Auteur : Serge Antoine

La montée en puissance du concept de « développement durable » aura mis en France quelque 20 à 30 ans pour se faire sentir et à peine une petite risée sur une mer d’indifférence sympathique, douze ans après le Sommet Mondial de Rio sur la planète en 1992 qui a vraiment lancé le mouvement, c’était encore il y a 6 mois.

Mais aujourd’hui, cela galope ; aux 100 villes qui préparent des programmes de « développement durable » s’en ajoutent plus d’une trentaine depuis le début de l’année ! Le Département des Hauts de Seine depuis un an est entré dans le jeu ; l’Essonne vient de le faire avec beaucoup de « communication ». Versailles vient de rejoindre le Comité 21 pour lancer ce que l’on appelle «l’ agenda 21 ». Issy-les-Moulineaux aussi. Et toutes les grosses entreprises ont maintenant leur Direction de développement durable. Les enseignements et les formations se multiplient. Le Gouvernement vient de lancer fin 2002 un programme avec tous les Ministres et de créer un Conseil National du Développement Durable. Mais le français normal est sans doute le moins informé.

Il faut dire que le jargon est très anglo-saxon. On a, à tort, traduit « sustainable development » (qui veut dire un développement auto-porté et qui ne va pas droit dans le mur (social, économique ou écologique) par « développement durable « . Ce qualificatif de « durable » a, certes, une vertu : montrer qu’il y a un relais de générations. (St Exupéry disait : « rendons à nos petits enfants, en bon état, la planète qu’on leur a empruntée »). Mais il y a un défaut : pousser à l’immobilisme et à la simple conservation. Autre mauvaise traduction : « l’agenda 21 » est, en fait, un programme global pour une entreprise, une collectivité, un espace (par exemple un parc régional) suivi d’une série d’actions bien préparées ; le mot d’agenda est inapproprié.

Le « développement durable » n’est pas une science ou un label ; c’est un vrai changement culturel pour tous ceux qui ont une part de responsabilité ; il consiste à regarder plus loin qu’à 5 ou 10 ans (ce que font au mieux quelques rares élus), à relier les thèmes ensemble en logique « systématique » (cela veut dire qu’au lieu de traiter séparément de l’eau, des déchets, de l’emploi, de la pollution de l’air ), à travailler la main dans la main avec la population ; et de ne pas hésiter à examiner ses responsabilités par rapport aux voisins, à l’Europe et même à la planète.

Tout cela dépend de la bonne volonté des collectivités concernées : en tout cas, en France. Car, en Suisse, la loi l’a rendu obligatoire avec des documents précis à remplir, pas ici, en tout cas, pas encore !

La Conférence Mondiale de Johannesburg qui a réuni plus de 180 Chefs d’Etat en août 2002 suivie par de nombreux rendez-vous onusiens où, quoi qu’on en dise, les choses avancent et où des engagements sont pris. Il y en aura, par exemple, sur l’effet de serre qui est l’un des grands problèmes qui contraint à une politique de développement durable (la Terre risque vraiment un réchauffement de la température : 5 à 6 degrés dans le siècle) et à une discipline non seulement pour les pays avancés et riches (les USA dépensent 20 fois plus d’énergie par tête que les Français et 200 fois plus qu’un Africain), mais aussi pour les pays en développement qui ne pourront voir pousser leur économie et leur urbanisation comme nous l’avons fait depuis plus d’un siècle. Contrairement à ce que disent certains maires (« nous nous occupons de l’eau, des déchets, des transports mais l’air et les climats cela relève de l’ONU »), les communes ont chacune, avec leur municipalité et les habitants, une part de responsabilité au regard du monde et donc de chacun d’entre nous ; les jeunes le comprennent très bien.

Alors ici, en vallée de Bièvre, que pouvons-nous faire pour entrer, nous aussi, dans le développement durable ?

• D’abord, continuer à nous battre pour un bon environnement. Certes, le développement durable s’intéresse aussi à la dimension sociale (la pauvreté, les emplois) et à la vie économique (on ne peut pas aller vers le développement durable avec une économie en stagnation ou à risques). Mais l’environnement et la bonne gestion de l’espace sont une priorité.

• Ensuite, chacun chez nous doit tendre à être un bon « écocitoyen ». Même dans un pays qui en manque moins que d’autres, il faut économiser l’eau ou faire profiter quelqu’un d’un trajet de voiture si on l’utilise pour le travail, s’en passer pour faire des courses au village ou accompagner systématiquement les enfants à l’école, recycler le maximum de déchets chez soi (les végétaux pour le jardin), porter ses bouteilles et ses papiers à recycler, utiliser des lampes économiques et couper la veilleuse de ses machines (la télévision par exemple est vorace et coûteuse), éviter les pesticides au jardin, etc…etc…

• Quant à nos communes, ne demandons pas qu’elles s’engagent toutes dans des « Agendas 21 locaux » ou se lancent dans la procédure très minutieuse des « ISO 14001 » qui obligent à passer en revue et à agir sur plus d’une centaine de points (Le Pecq, en Ile de de France s’est engagée dans cette voie) mais plus simplement à voir ce qui peut être fait dans les 25 points dont nous donnons ici une liste.

25 MANIERES D’ENTRER DANS LE DEVELOPPEMENT DURABLE DANS UNE COMMUNE.

1. Pour chaque décision municipale, s’efforcer de prendre en compte, de manière globale (et systémique) les préoccupations :

– de gestions économe
– d’équité sociale
– de respect de l’environnement et du vivant
– et de prévoir l’impact des décisions en chaîne.

2. Promouvoir le relais de générations.

Le développement durable veut dire léguer le patrimoine « emprunté par une génération à celle qui la suit » : associer les générations futures à leur avenir, faire participer les jeunes aux orientations ou actions à engager dès aujourd’hui, faire la place aux jeunes dans les prises de responsabilité.

3. Allonger l’horizon.

Le développement durable suppose d’allonger l’horizon (10 ans, 50 ans, voire un siècle ou davantage pour l’analyse) et de relier le futur avec le présent ; des exercices de « scénarios » sont utiles et doivent être présentés de façon telle que le public et les acteurs y soient bien associés : et quand on tient la trajectoire, afficher des objectifs à 10, 15 ans, par exemple ou même davantage est utile pour faire participer la population.

4. Economiser les ressources, recycler.

Le développement durable, c’est économiser les ressources, surtout celles qui sont peu renouvelables : faire plus pour le recyclage, les économies d’énergie, les économies d’espace, de matériaux, etc… Le problème n’est pas traiter les déchets mais diminuer leur volume.

5. Consommer mieux.

Le développement durable fait appel aux habitants, aux consommateurs et aux commerçants pour que de nouveaux comportements évitent le gaspillage. Se soucier de l’origine et de la trajectoire des produits : c’est la « traçabilité ».

6. Réduire les rejets et tendre à la « pollution zéro ».

Le développement durable doit éviter les pollutions qui blessent, les déséquilibres qui coûtent. S’inspirant du principe « pollueur payeur », les initiatives des entreprises mais aussi de chacun d’entre nous doivent tendre à la « pollution zéro ».

7. Eviter de transférer aux autres.

La pollution, les charges, ne doivent pas être transférées à autrui ; l’amont n’a pas à se débarrasser vers l’aval de ses déchets ou même de ses problèmes.

8. Réduire les risques.

Nous ne pouvons pas prétendre à une société à risque zéro, mais nous pouvons, par la connaissance et la prévention des risques, les réduire d’un tiers, de la moitié même dans certains cas.

9. Décliner le « principe de précaution ».

Le « principe de précaution » c’est ne pas se précipiter à agir quand on ne connaît pas les conséquences de ses actions par exemple pour la santé. La prévention des risques qui pourraient déclencher des catastrophes, grandes ou petites, à effets durables est essentielle.

10. Créer des emplois durables pour une activité durable.

Créer des emplois durables, c’est évidemment un des premiers soucis dans les pays qui ne bénéficient plus du plein emploi et dont l’économie est, de plus en plus, faite d’accidents de parcours, de décisions de grands groupes, de la « mondialisation ». Les emplois à créer devront s’inscrire dans un contexte régional, national et de compétition internationale bien analysés.

11. Prendre appui sur les ressources locales et les valoriser.

Le développement durable, c’est tirer parti de ressources régionales et locales non encore exploitées ou insuffisamment valorisées ; c’est s’ancrer dans le terroir ; c’est privilégier les ressources locales renouvelables.

12. Ménager le territoire.

C’est s’inscrire, à la fois, dans la géographie d’aménagement du territoire et de « ménagement du territoire », évitant les sur-densités, les désertifications, les friches et gardant des espaces « ouverts », etc….

13. Porter attention aux zones fragiles.

Les « zones humides », par exemple, doivent être traitées dans l’esprit de ce qui précède, avec les caractéristiques propres aux espaces fragiles. Il faut les traiter, comme telles, sur mesure, les protéger fortement.

14. Maintenir la diversité.

Le développement durable implique de ne pas voir se réduire l’éventail des patrimoines et de faire attention au maintien des diversités, et, bien plus, de promouvoir les ressources (naturelles, culturelles, humaines…) d’un territoire concerné afin d’en assurer le développement local. La diversité biologique doit être plus que protégée, même en ville où la nature est encore très présente. La diversité culturelle, elle aussi, doit être respectée ; elle doit pouvoir s’exprimer.

15. Promouvoir une agriculture attentive à la qualité, aux milieux.

Travailler la terre de manière durable, planter pour demain , maîtriser les « intrants », gérer les sols : l’agriculture n’est pas seulement une activité économique, c’est un moyen de conserver et d’entretenir l’ espace (bien moins cher qu’un espace vert) etc… C’est faire de « l’agriculture durable .

16. Gérer la cité dans la durée.

Le développement durable ne concerne pas seulement les plans et l’urbanisme mais toute la vie sociale. La cité doit être traitée comme un organe vivant.

17. Lutter contre la pauvreté et l’exclusion.

La prise en considération des populations pauvres, marginalisées ou exclues est au cœur du développement durable qui implique l’équité ; car l’effet induit de la pauvreté est dur pour la vie économique et même pour l’écologie.

18. Assurer une pleine participation : la citoyenneté.

Bien associer des populations. Les femmes, les populations défavorisées, les associations, les jeunes, sont encore trop à l’écart. Le faire c’est mettre toutes les chances de son côté pour que le développement soit vraiment durable. Les entreprises, les syndicats, toute la société civile doivent être aussi parties prenantes à la gestion de la cité.

19. Eviter le suréquipement.

Etre un acteur du développement durable, c’est alléger ou même éviter des équipements coûteux ou ceux dont les coûts de gestion ultérieurs seraient élevés parce que peu ou mal utilisés.

20. Une gestion « patrimoniale ».

Quant on parle de développement, on pense aux investissements ou aux équipements sans se soucier de la gestion, des coûts répétitifs… La gestion patrimoniale « en bon père de famille » est pourtant souvent décisive.

21. Aménager le temps.

« Aménager le temps » dans une ville est important pour l’économie, pour la qualité de la vie. C’est éviter les pointes et les encombrements et réduire les périodes « creuses » coûteuses pour l’économie et l’environnement.

22. Recourir à de nouvelles technologies appropriées.

L’appel à des nouvelles technologies plus « appropriées, plus efficaces, plus respectueuses de l’environnement est une composante à bien prendre en considération. Le développement durable doit ainsi miser sur l’innovation. Il faut se tenir au courant des nouvelles techniques et choisir les bonnes.

23. Assurer le suivi : avec des « indicateurs » et des mesures.

Une politique de développement durable implique un suivi des tendances et des politiques engagées. Le recours, par exemple, à des « indicateurs » chiffrés pertinents est une bonne démarche. Un tableau de bord doit être fourni sur la situation proche et pas seulement nationale sur l’eau, l’emploi, l’air, les déchets, etc….

24. Se situer en international.

Le développement durable se mesure dans la responsabilité : locale, mais aussi régionale et planétaire. Une commune, par exemple, peut aider une commune de pays défavorisé, une entreprise de la localité peut en créer une autre dans le monde ou former des professionnels. Certaines communes s’emploient aussi à encourager le « commerce équitable » surtout pour aider les pays du Sud. Il ne peut y avoir le développement durable s’il n’est pas jaugé à l’aune de la planète. L’effet de serre est un bon exemple, pour relier gestion locale et responsabilité mondiale : un programme territorial d’effet de serre est une bonne initiative.

25. Et le « développement durable ».

Ce n’est pas se glorifier d’en faire ou d’utiliser le mot à chaque discours : c’est y travailler avec soin et en participation avec la population… Ce n’est pas coûteux . A long terme on gagne ; c’est ce que l’on appelle le « win win ».

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Les sept vertus du développement durable

Source :La revue Française du marketing. 2004

Auteur : Serge Antoine

Madame Grö Brundtland, que l’on suppose, à tort, avoir été la mère du développement durable (mais qui a eu le mérite d’en avoir fait une utile promotion à la veille du Sommet de Rio en 1992) a placé ce concept sur le registre du relais de génération. Pourquoi pas ? C’est, en effet, l’une de ses grandes composantes et celle-là même qui justifie un peu le mot de « durable » des traductions francophones de la chose. Mais ce n’en est qu’une et le mot de « sustainable » porte d’autres dynamiques dont le mot peut en faire son profit.

Car c’est bien pour le monde entier qu’il y a eu éclosion. Au fait, peu de gens savent qu’en 1992, à Rio, le concept avait déjà 20 ans. L’origine ? une trentaine d’économistes et d’environnementalistes conviés par Maurice Strong en 1971 dans la cave d’un motel suisse avant réfléchi sur l’indifférence des pays en développement au concept d’environnement, considéré par eux comme une complainte de pays riches ; j’ai eu la chance d’y participer. Maurice Strong, le chef d’orchestre de la conférence de Stockholm de 1972, avant d’être devenu celui du Sommet de Rio se devait de trouver un langage juste et porteur en évitant de laisser la moitié du monde sur le chemin. Le développement durable a donc une naissance planétaire et tiers mondiste.

La vertu du développement durable n’a pas été celle du mot ; ni même celle d’un concept bousculeur; mais celle d’une ambition motrice capable de mobiliser autant les Etats que les entreprises, les collectivités territoriales et les acteurs de la société civile à qui la conférence de Rio a fait une large place (les « majors groups »). Près d’un quart de siècle après, on se rend compte de l’actualité utile de ce véhicule. Pourquoi ?

· Sa première vertu est, dans un monde verticalisé, de forger la réunion de quatre dimensions déclinées généralement de manière séparée : l’économique, le social, et l’environnemental, dont la confrontation systémique est un apprentissage, surtout pour nous, français ; s’y ajoute le pilier le plus difficile à prendre en compte : le volet culturel introduit à Johannesburg en 2002 pour faire comprendre que les pays et les sociétés ont chacune leur identité et n’ont pas très envie d’être remorqués par un «modèle occidental » passe-partout. Les francophones réunis pour leur Sommet du développement durable vont le réaffirmer, à coup sûr, à Ouagadougou en décembre 2004.

· La deuxième vertu du développement durable est l’affirmation du principe de responsabilité, bien plus abondamment cité à Rio que le principe de précaution dont on a , il est vrai, beaucoup parlé en France ces temps-ci à propos de la Charte jointe à la Constitution. Le développement durable responsable n’est pas le fruit d’une loi, de normes ou de labels : il est celui de l’initiative volontaire de tout un chacun et des actions qu’il engage. Dans les relations entre Etats, le principe de responsabilité se substitue au principe de souveraineté.

· Le développement durable est, par essence, décentralisé et décentralisateur et les Agenda 21 locaux de quelque 3 000 collectivités européennes et méditerranéennes qui les ont effectivement lancés, sont l’illustration de ce que chacun peut entreprendre dans sa géographie avec ses objectifs et ses moyens. Il ne faut pas craindre la multiplication des initiatives, leur superposition et même leur maquis. Ce qui compte n’est pas le résultat ou la médaille, c’est l’exercice. Tous doivent en faire. Et ne pas rechercher l’ordonnance.

· La quatrième vertu du développement durable est son ouverture à la planète autrement que par une mondialisation subie. Cette ouverture est indispensable et aucun exercice à son endroit ne peut s’enfermer sur la réussite en vase clos. Ce qui est bon pour Ford n’est pas automatiquement bon pour le monde. Là est sans doute la difficulté et le handicap, pour les PME-PMI, dont le marché n’est pas celui des multinationales et qui n’ont pas les moyens d’étalonner leurs efforts au regard des autres. Leur intérêt est pourtant d’anticiper la norme ou l’oukase du donneur d’ordre. Les grandes entreprises pourraient davantage aider les petits. Certains les y poussent, comme Schneider, PSA, EDF en France incitant fournisseurs, notamment les PME, à adhérer au « Global Compact » de Kofi Annan. Nous devons encourager l’échange entre les expériences et organiser la contagion. La dernière épreuve du parcours d’ISO 14001 ou de l’EMAS devrait être de donner la main à ceux qui ne s’y sont pas encore mis et qui hésitent à plonger dans l’eau froide.

· La cinquième vertu du développement durable (mais c’est plutôt une condition), c’est d’appeler à l’évaluation avant et après. Il n’y a aucun salut sans instruments de mesure et sans la rigueur du calcul de la comptabilité patrimoniale. Oh combien de regrets peut-on avoir d’être, en France, restés au bord de la route tracée, en 1960-70, par Claude Gruson ! Il faut réinventer les instruments, en partie rétrospectifs et en partie prospectifs, pour choisir les bonnes actions.

· La sixième vertu du développement durable bien sûr c’est l’action. L’exercice n’est plein que s’il propose et engage des actions. Pas une panoplie de check list mais un petit nombre en même temps de manière que les populations, les salariés, les sous-traitants, puissent en comprendre le sens. Car il s’agit d’abord de mobiliser l’adhésion.

· Et la septième c’est, bien sûr, l’appel aux acteurs donc à l’éducation : celle des jeunes mais aussi, celle des consommateurs et des habitants, qui ont été mis hors jeu depuis un siècle de ce qui est notre destin.

Serge Antoine

Président d’honneur du Comité 21

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Ignacy Sachs Directeur d’études honoraire à l’École des hautes études en sciences sociales

Ignacy Sachs
Directeur d’études honoraire à l’École des hautes études en sciences sociale

Journée d’hommage à Serge Antoine le 4octobre 2006
La seconde rencontre providentielle fut celle de Serge Antoine. C’était en 1971, à une réunion informelle convoquée au palais des Nations à Genève par Maurice Strong, canadien, secrétaire du futur programme des Nations unies sur l’environnement.
Nous avons sympathisé et il m’invite à collaborer avec lui. Il est à l’époque le bras droit du ministre d’État de l’Environnement français, Robert Poujade. Le ministère n’a pas encore ses propres locaux. Il siège dans un local cédé par le ministère de la Marine. Il manque des bureaux et Serge, membre du cabinet du ministre, officie derrière un paravent dans une grande salle avec une très belle vue sur la place de la Concorde. Il commence à m’associer à ses initiatives. Il y a le Haut comité à l’environnement auprès duquel je deviens un moment expert associé.
En quittant les Nations unies en 1974, Maurice Strong nous invite tous deux dans son chalet alpin près de Saint-Gervais, à un colloque privé pour discuter à bâtons rompus de l’avenir du monde. Il loue l’hôtel du village afin de loger la vingtaine d’invités. Parmi les participants se trouvent le successeur de Strong au PNUE, l’Égyptien Mustapha Tolba, Marc Nerfin, son ancien chef de cabinet… Ahmed Ben Salah, le ministre tunisien de la Planification déchu qui s’est échappé de prison et qui se cache en Europe. Ce dernier prépare le couscous pour tout ce beau monde.
Sur le chemin du retour, nous faisons un détour par le château de la Ripaille au bord du lac Léman, les propriétaires de ce château acceptent de mettre leur demeure à la disposition du programme des Nations unies pour l’environnement à condition toutefois que le gouvernement français paye les travaux nécessaires à sa rénovation. Nous sommes tous emballés par ce projet. Nairobi est devenu le siège principal du PNUE, mais par souci d’efficacité, le programme aurait besoin d’un siège en Europe. Malheureusement, le gouvernement ne se précipite pas et l’opération n’aura pas lieu. Serge ne se décourage pas pour autant, il a bien d’autres fers au feu ! Il est l’âme du Centre d’étude sur le futur dans la Saline royale d’Arc-et-Senans. Il se passionne pour les montgolfières, sa femme le suit en jeep pour récupérer le pilote et le ballon… Il organise de merveilleuses fêtes de la fraise à Bièvres dont il est maire adjoint. Il s’occupe d’une revue de prospective et aide à renflouer Futuribles après la mort de son fondateur Bertrand de Jouvenel. Serge s’apparente à un volcan d’idées toujours en activité. Il s’occupe encore des parcs naturels régionaux, dont il fut un des créateurs, des villes et des communautés locales. C’est lui qui pilotera en 1992 à Curitiba la fusion des quatre principales associations de maires dont le mariage officiel se fera que douze ans plus tard.
Entre Serge et moi, la complémentarité se fait par affinité, nous avons le même tempérament. […]

Extrait du livre d’Ignacy Sachs, La troisième rive, à la recherche de l’écodéveloppement, Paris, Bourin Éditeur, 2008, chap. « Paris carrefour du monde », sous-chap. « … Et Serge Antoine », p. 236-238.

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Danielle Poliautre Maire-adjoint de Lille, chargée du développement durable sur Serge Antoine

Journée d’hommage à Serge Antoine le 4 octobre 2006

La dernière fois que j’ai vu Serge Antoine, c’était lors des dix ans du Comité 21. J’étais assise près de lui parce que, souvent, nous bavardions quand nous nous rencontrions, j’appréciais beaucoup. Il était affaibli, mais pas amoindri et toujours dans une joyeuse combativité. J’ai été vraiment surprise, quelques mois plus tard, quand Anne-Marie Sacquet m’a annoncé son décès. J’ai d’ailleurs envoyé un petit mot qui résume un certain nombre de sentiments que j’avais dans cette relation avec Serge Antoine que j’ai découvert plus tard ainsi que nombre d’entre vous.
Je disais : « C’est avec beaucoup de peine que je viens de prendre connaissance de la disparition de Serge. Je le considérais un peu comme mon père spirituel du développement durable et j’avais toujours avec lui beaucoup de complicité. Par-delà sa réflexion qui ouvrait toujours les questions et les possibles, sa gentillesse et sa modestie en faisaient un vrai pédagogue, un sage qui contribue à nous construire. »
J’avais souhaité transmettre le message à sa famille et j’ai eu une réponse de son fils, Emmanuel Antoine, que je connaissais sans avoir jamais fait le lien avec Serge que j’avais connu un certain nombre d’années auparavant. Nous n’avions pas eu l’occasion d’en parler.
J’ai commencé à découvrir Serge Antoine lors de la préparation de Rio. À l’époque, j’étais – comme on dit, dans la société civile – animatrice d’un collectif de préparation de la conférence de Rio, participant d’ailleurs aussi à un collectif national animé, à l’époque, par Patrick Legrand, de France nature environnement, le collectif « Environnement et développement international ». C’est donc à cette occasion que je l’ai rencontré et, au fur et à mesure des années, puisque le développement durable est aussi pour moi un combat très important, je l’ai croisé de plus en plus souvent, de plus en plus régulièrement, dans ce qui a été l’évolution à travers la constitution de réseaux, les réseaux nationaux (Comité 21, 4D) mais aussi des réseaux européens, voire internationaux, auxquels d’ailleurs la France participe encore trop faiblement.
C’est vrai que j’avais toujours avec lui une relation presque filiale. Pour moi, il était un peu celui qui m’apportait une tranquillité dans la réflexion et, en même temps, l’ouvrait très fortement. Ce lien s’est fait aussi beaucoup sur mon histoire, parce qu’il appréciait beaucoup la place de la société civile, et l’importance de la démocratie, pas seulement parmi les élus et les administrations qui évidemment ont un rôle important, mais aussi à travers le rôle de chacun pour apporter le meilleur de lui-même dans cette recherche d’un nouveau développement durable et solidaire dans cette coconstruction qui est en cours et, encore aujourd’hui, trop faible.
Depuis 2001, je suis adjointe au développement durable dans l’équipe de Martine Aubry. J’avais participé à l’animation et l’élaboration d’un Agenda 21 lillois qui a été signé en 2000, et Serge était très attentif à ce qui se passait à Lille et le suivait avec beaucoup d’intérêt. Les collectivités locales sont devenues, depuis quinze ans, parmi les acteurs les plus actifs dans la mise en œuvre du développement durable. Elles sont les premiers maillons du territoire, au plus près des citoyens, pouvant au mieux peut-être les impliquer non seulement dans la compréhension des enjeux, mais aussi dans leur rôle, dans ce que l’on appelle aujourd’hui la nouvelle gouvernance. Cette notion, auprès des citoyens, de solidarité dans le temps et dans l’espace qui est constituante du développement durable, au-delà de la démocratie, était très forte chez Serge. Nous avons parlé tout à l’heure de la prospective, et non de la prospective en tant qu’étude, mais bien de la façon d’inscrire le court terme dans le long terme. Et nous savons combien aujourd’hui, notamment autour des questions de la ville durable, ces questions sont importantes. À Lille, nous travaillons sur des notions d’éco-quartiers, dans le cadre du renouvellement urbain. Comme le dit Martine Aubry : « Comment construire un nouvel art de vivre ensemble ? » Selon moi, cette notion de solidarité dans le temps, avec les générations futures, est extrêmement importante. La difficulté est de savoir comment concilier démocratie, inscrire le temps de la démocratie, avec l’urgence des réponses à apporter. Dans les villes, nous avons de vraies questions concrètes à traiter, et comment avoir les moyens de construire la ville durable en impliquant fortement les citoyens ?
Cette notion de temps est donc une question forte, comme celle de la solidarité dans l’espace. Là aussi, c’était quelque chose de très important pour Serge, notamment avec cette notion d’empreinte écologique. À Lille, nous menons une étude pour analyser flux, matière, énergie pour voir ce que nous prélevons sur d’autres territoires. Nous savons que 20 % de la population mondiale consomme 80 % des ressources et nous ne pourrons pas continuer, si nous voulons un développement durable, à consommer sur nos territoires sans penser à l’évolution des autres territoires, qu’ils soient autour de nous, dans les intercommunalités, mais aussi à l’échelon mondial.
Ces deux notions de solidarité dans le temps et l’espace étaient des notions très fortes et nous avions eu l’occasion d’en parler, notamment dans le réseau de la francophonie, puisque j’étais avec lui à Beyrouth en 2001. Cela conciliait pour lui, encore une fois, deux notions importantes : celle de la citoyenneté, d’ouverture au monde, et cet aspect de la culture.
Je finirais sur un des derniers aspects qui m’a beaucoup émue chez Serge Antoine. Nous étions à Paris dans une préparation de l’Agenda 21 parisien et j’ai annoncé que Lille, qui a été capitale européenne de la culture en 2004, avait intégré un volet consacré à la culture dans son Agenda 21. On aurait dit qu’il savourait un bon gâteau ou un bon vin, d’une manière gourmande ! Il était très joyeux, il avait beaucoup apprécié. On peut toujours avoir le débat pour savoir si la culture est un pilier supplémentaire ou si c’est le tout, on parle de « culture de développement durable ». Selon moi, nous sommes dans un carrefour de changement de civilisation et effectivement, tout cela est très culturel et il avait, là encore, peut-être anticipé.
L’intérêt de Serge Antoine est qu’il savait être dans la pratique quotidienne, sur le changement de comportements avec des citoyens, mais il savait aussi être critique dans les différents niveaux d’organisation de la société. Je suis aussi tout à fait d’accord sur l’idée qu’il est essentiel que les citoyens changent de comportement, l’écocitoyenneté est une notion importante, mais on ne peut pas seulement renvoyer aux citoyens les changements qui appellent aussi des changements aux différentes échelles, depuis notre territoire local jusqu’au territoire national, européen ou mondial. Ceux qui ont des responsabilités importantes doivent aussi être cohérents, nous ne pouvons pas continuer à demander aux citoyens de la cohérence si les pouvoirs publics, en tant que tels, ne montrent pas cet exemple de cohérence. À quelques jours de la « Journée sans voitures », quand on pense que l’on continue à construire des infrastructures qui sont des appels d’air pour le développement de la voiture, je pense qu’il faut que l’on montre aux citoyens que la cohérence ce n’est pas seulement au niveau de leur vie quotidienne, mais qu’il y a des responsabilités à prendre.
Pour terminer, je saluerais l’homme. En effet, tout ce qu’il a fait a été largement présenté, mais je saluerais l’humaniste. Parce que le développement durable, finalement, c’est croire en l’homme, en sa capacité d’organiser l’intelligence collective. Je le dis souvent, mais selon moi, la ressource la plus renouvelable, la plus abondante et peut-être la moins bien utilisée c’est l’intelligence humaine, l’intelligence collective ; comment cette intelligence collective va être mobilisée, appelée, il y a là un gros challenge et c’était vraiment au cœur de ce que pensait Serge Antoine.
Il était aussi un intellectuel, et combien de pistes intéressantes a-t-il ouvertes et qui, heureusement, se sont aussi concrétisées.
Mais il était également un militant joyeux. En effet, quand on parle de développement durable, on parle de problèmes, mais lui parlait de solutions, avec beaucoup de joie, de passion. C’est bien d’avoir de l’espérance à vingt ans, mais quand on arrive en fin de vie et qu’on continue à transmettre l’espérance dans le futur, l’espérance d’un avenir futur commun qui peut être plus durable et plus solidaire, je crois qu’il nous a laissé là un beau message.
J’espère, en tout cas, que sa trace sera indélébile et que tout ce qu’il a suscité et permis de mettre en place trouvera des prolongements et des amplifications. C’est tout ce que je souhaite.

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Christian Garnier Vice-président de France nature environnement sur Serge Antoine

Journée d’hommage à Serge Antoine le 4 octobre 2006

Serge Antoine aurait certainement été amusé et c’est une espèce de clin d’œil qu’Anne-Marie Sacquet et moi-même nous retrouvions parmi les derniers participants de cette réunion. En effet, finalement, nous avons la place qui nous revient, celle des agitateurs, de ceux qui essayent de brasser les idées dans la société civile et qui ont permis, comme l’a dit Madame la ministre, à ce ministère même d’exister, et avec qui Serge Antoine a su tisser les liens qui font qu’aujourd’hui, nous sommes de ce côté-ci alors que vous êtes de ce côté-là. L’inverse aurait pu être vrai pour nombre d’entre vous.
Avant le ministère de l’Environnement, avant même le rapport Armand dont Serge Antoine a bien voulu tirer un petit coup de chapeau amical aux auteurs, il y a eu une vie pour l’environnement, notamment ces années 1960 qui ont été la genèse de l’environnement. Pour ma part, à l’aube des années 1960, à la fin des années 1950, j’avais envie de trouver un métier dans la protection de la nature et je ne savais pas encore que je voulais travailler dans l’environnement. Aujourd’hui, je suis professeur dans une école d’architecture qui a créé, depuis déjà deux décennies, le premier pôle « architecture-environnement-développement durable » en France. Ceci m’aurait peut-être permis de recroiser Serge Antoine parce que j’ignorais, à l’époque où avec mes étudiants, dans les années 1973-1974, nous étions en train de remettre la Bièvre à ciel ouvert dans Paris sur l’îlot Poliveau qu’il avait cette passion pour son territoire, sous cette forme-là.
Pour ma part, j’ai fréquenté les milieux qui portaient cette pensée à l’époque, les milieux scientifiques, le service de conservation de la nature du muséum et bien d’autres, mais aussi les associations qui allaient former ce qui devait devenir la Fédération que j’ai l’honneur de vice-présider, France nature environnement, le réseau territorial profond de la protection de la nature et de l’environnement dans ce pays. Avec une poignée d’amis, j’ai eu la chance, en mars 1964, de fonder le centre interdisciplinaire de socio-écologie. Évidemment, quand la nouvelle est arrivée jusque sur les bureaux de la Datar, quand nous sommes entrés en relation par l’intermédiaire du Muséum national d’histoire naturelle, le tissu associatif qui portait l’environnement à l’époque dont personne ne parlait puisque ce mot n’existait même pas dans la langue française, a très vite retrouvé le chemin de tous les pionniers, notamment au sein de l’administration. Sur ce point, je ne vais pas refaire le récit de ce qu’a fait Serge Antoine.
Pour avoir pu participer aux fameuses journées de Lurs qui ont été ce bouillonnement extraordinaire qui a été le moment où la politique de l’environnement a commencé à s’écrire dans le paysage français médiatique et institutionnel, j’ai pu mesurer les nombreuses qualités de Serge Antoine, et je vais en souligner quelques-unes parce qu’aujourd’hui, elles sont en danger dans la société internationale et dans la société française. Nous ne vivons plus du tout dans le même monde que celui où nous vivions à l’époque de ces années 1960-1970.
Ce qui était tout à fait extraordinaire chez Serge Antoine c’était son immense curiosité, le fait de s’intéresser beaucoup aux jeunes, et l’âge moyen de cette salle, auquel je participe aussi, fait que c’est une interrogation importante et ce, même si beaucoup de jeunes s’investissent dans des associations de terrain. À cette époque, nous avons aussi énormément apprécié l’impertinence institutionnelle de Serge Antoine, et sa capacité à parler des choses difficiles, ce que l’on évacue bien souvent dans le débat social et politique. Je ne reviens pas sur son intérêt, sur la diversité et le respect qu’il portait aux personnes, mais il ne se contentait pas d’écouter, il intégrait. Il était à l’écoute au sens le plus profond du terme, et c’était un extraordinaire alambic du développement durable, en ce sens qu’il nourrissait beaucoup les autres et il savait énormément se nourrir des autres en les écoutant. Par rapport aux questions de politique d’environnement, de développement durable et de vie en société, c’est un message tout à fait important. Il avait l’intelligence des bons compromis, le sens de la transversalité, il savait comprendre l’équilibre entre ménager et aménager le territoire. J’ai fait un mémoire d’ingénieur, dans les années 1960, sur le thème de l’agriculture citadine et la colère d’Orsay me rappelle qu’il avait apporté sa vision des choses à propos des projets d’Orsay.
Je ne vais pas reprendre tous les messages importants qu’il me paraît devoir être repris et portés par nous dans la société et sur la scène publique, mais il y a une chose dont nous avons assez souvent parlé avec Serge, notamment dans sa petite voiture qui le ramenait des très nombreux réunions et colloques où nous avions l’occasion de nous croiser, à savoir que la société française oppose un certain nombre d’obstacles structurels profonds à la dynamique du développement durable, même s’il y a des gens formidables qui font des choses formidables. Je n’ai pas le temps de développer, mais je crois qu’il va falloir poser les questions qui seront très difficiles à résoudre dans notre société et qui n’existent pas dans d’autres sociétés européennes qui ont leurs propres problèmes selon leur identité et leur histoire. Serge était très conscient de ces problèmes structurels et cela ne le rendait pas toujours gai.
Je garde aussi en mémoire son amitié pour les francs tireurs, son goût du risque et sa confiance. Il se trouve que dans l’équipe de Maurice Strong et de Marc Nerfin qui préparaient la conférence de Stockholm, j’étais en charge du premier document sur les dimensions socioculturelles des politiques de l’environnement. Pendant qu’Ignacy Sachs, avec son équipe, travaillait sur « environnement et développement », une autre équipe dont je m’occupais travaillait sur cette dimension. Ce rapport soulevait quelques questions difficiles sur la dimension culturelle, notamment sur les minorités et la question de leur prise en compte. Nous avons vu les dictatures les plus dures de la planète à l’époque se lever ensemble pour que nous retirions des passages de ce rapport introductif, d’une part l’empire soviétique, d’autre part la dictature des généraux brésiliens. Serge Antoine, évidemment, est venu à la rescousse, a fait de la diplomatie. Nous pouvions compter sur son soutien, non seulement pour faire de beaux discours sur la diversité culturelle, mais aussi pour s’affronter aux problèmes réellement durs et difficiles.
Il a aussi – ce qui pour nous, associatifs et professionnels, représente un intérêt certain – fait preuve d’un engagement personnel. Il l’a fait en tant que professionnel, mais aussi en tant que citoyen, avec beaucoup de bonne humeur et un sens de toutes les difficultés du monde. Je me souviens avoir visité avec lui quelques banderoles comme celles qui se promenaient sur le pont de Galata en 1996 quand il y a eu la grande manifestation au moment de la conférence « Habitat II » sur les questions de droit au logement pour tous.
Je n’ai jamais pu vraiment l’interviewer sur cela, mais je crois que Serge Antoine avait une certaine sympathie pour un terme lancé lors d’une conférence internationale à Barcelone en 1991, autour de cette Méditerranée qui lui était chère, de « développement durable et désirable ». Par rapport à une vision culturelle, solidaire et chaleureuse, c’était sa conception du développement durable.

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