Les sept vertus du développement durable

Source :La revue Française du marketing. 2004

Auteur : Serge Antoine

Madame Grö Brundtland, que l’on suppose, à tort, avoir été la mère du développement durable (mais qui a eu le mérite d’en avoir fait une utile promotion à la veille du Sommet de Rio en 1992) a placé ce concept sur le registre du relais de génération. Pourquoi pas ? C’est, en effet, l’une de ses grandes composantes et celle-là même qui justifie un peu le mot de « durable » des traductions francophones de la chose. Mais ce n’en est qu’une et le mot de « sustainable » porte d’autres dynamiques dont le mot peut en faire son profit.

Car c’est bien pour le monde entier qu’il y a eu éclosion. Au fait, peu de gens savent qu’en 1992, à Rio, le concept avait déjà 20 ans. L’origine ? une trentaine d’économistes et d’environnementalistes conviés par Maurice Strong en 1971 dans la cave d’un motel suisse avant réfléchi sur l’indifférence des pays en développement au concept d’environnement, considéré par eux comme une complainte de pays riches ; j’ai eu la chance d’y participer. Maurice Strong, le chef d’orchestre de la conférence de Stockholm de 1972, avant d’être devenu celui du Sommet de Rio se devait de trouver un langage juste et porteur en évitant de laisser la moitié du monde sur le chemin. Le développement durable a donc une naissance planétaire et tiers mondiste.

La vertu du développement durable n’a pas été celle du mot ; ni même celle d’un concept bousculeur; mais celle d’une ambition motrice capable de mobiliser autant les Etats que les entreprises, les collectivités territoriales et les acteurs de la société civile à qui la conférence de Rio a fait une large place (les « majors groups »). Près d’un quart de siècle après, on se rend compte de l’actualité utile de ce véhicule. Pourquoi ?

· Sa première vertu est, dans un monde verticalisé, de forger la réunion de quatre dimensions déclinées généralement de manière séparée : l’économique, le social, et l’environnemental, dont la confrontation systémique est un apprentissage, surtout pour nous, français ; s’y ajoute le pilier le plus difficile à prendre en compte : le volet culturel introduit à Johannesburg en 2002 pour faire comprendre que les pays et les sociétés ont chacune leur identité et n’ont pas très envie d’être remorqués par un «modèle occidental » passe-partout. Les francophones réunis pour leur Sommet du développement durable vont le réaffirmer, à coup sûr, à Ouagadougou en décembre 2004.

· La deuxième vertu du développement durable est l’affirmation du principe de responsabilité, bien plus abondamment cité à Rio que le principe de précaution dont on a , il est vrai, beaucoup parlé en France ces temps-ci à propos de la Charte jointe à la Constitution. Le développement durable responsable n’est pas le fruit d’une loi, de normes ou de labels : il est celui de l’initiative volontaire de tout un chacun et des actions qu’il engage. Dans les relations entre Etats, le principe de responsabilité se substitue au principe de souveraineté.

· Le développement durable est, par essence, décentralisé et décentralisateur et les Agenda 21 locaux de quelque 3 000 collectivités européennes et méditerranéennes qui les ont effectivement lancés, sont l’illustration de ce que chacun peut entreprendre dans sa géographie avec ses objectifs et ses moyens. Il ne faut pas craindre la multiplication des initiatives, leur superposition et même leur maquis. Ce qui compte n’est pas le résultat ou la médaille, c’est l’exercice. Tous doivent en faire. Et ne pas rechercher l’ordonnance.

· La quatrième vertu du développement durable est son ouverture à la planète autrement que par une mondialisation subie. Cette ouverture est indispensable et aucun exercice à son endroit ne peut s’enfermer sur la réussite en vase clos. Ce qui est bon pour Ford n’est pas automatiquement bon pour le monde. Là est sans doute la difficulté et le handicap, pour les PME-PMI, dont le marché n’est pas celui des multinationales et qui n’ont pas les moyens d’étalonner leurs efforts au regard des autres. Leur intérêt est pourtant d’anticiper la norme ou l’oukase du donneur d’ordre. Les grandes entreprises pourraient davantage aider les petits. Certains les y poussent, comme Schneider, PSA, EDF en France incitant fournisseurs, notamment les PME, à adhérer au « Global Compact » de Kofi Annan. Nous devons encourager l’échange entre les expériences et organiser la contagion. La dernière épreuve du parcours d’ISO 14001 ou de l’EMAS devrait être de donner la main à ceux qui ne s’y sont pas encore mis et qui hésitent à plonger dans l’eau froide.

· La cinquième vertu du développement durable (mais c’est plutôt une condition), c’est d’appeler à l’évaluation avant et après. Il n’y a aucun salut sans instruments de mesure et sans la rigueur du calcul de la comptabilité patrimoniale. Oh combien de regrets peut-on avoir d’être, en France, restés au bord de la route tracée, en 1960-70, par Claude Gruson ! Il faut réinventer les instruments, en partie rétrospectifs et en partie prospectifs, pour choisir les bonnes actions.

· La sixième vertu du développement durable bien sûr c’est l’action. L’exercice n’est plein que s’il propose et engage des actions. Pas une panoplie de check list mais un petit nombre en même temps de manière que les populations, les salariés, les sous-traitants, puissent en comprendre le sens. Car il s’agit d’abord de mobiliser l’adhésion.

· Et la septième c’est, bien sûr, l’appel aux acteurs donc à l’éducation : celle des jeunes mais aussi, celle des consommateurs et des habitants, qui ont été mis hors jeu depuis un siècle de ce qui est notre destin.

Serge Antoine

Président d’honneur du Comité 21

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