Meriem Houzir sur Serge Antoine

Journée d’hommage à Serge Antoine le 4 octobre 2006

C’est une double responsabilité pour moi d’intervenir en fin de journée : la première étant qu’il me sera difficile de prendre la parole après des témoignages aussi riches en personnalités et en contenus ; la deuxième responsabilité concerne les trentenaires que je me permets de représenter, et dont on a beaucoup parlé depuis ce matin, étant donné qu’ils sont chargés de prendre la relève par rapport à tous les engagements initiés et menés par Serge Antoine.
Pour commencer, je tiens à dire que je suis privilégiée d’être parmi vous aujourd’hui pour témoigner en hommage à Serge Antoine, surtout privilégiée de l’avoir rencontré il y a presque dix ans. C’était lors d’un séminaire organisé par l’association 4D sur le thème « Le développement durable, bonne idée ou fausse route ». En tant que jeune chercheur, lors de ce débat, j’avais pris la parole. Pour moi, le développement durable représentait une nouvelle révélation, un nouveau combat, et je me suis exprimée en disant que le développement durable était encore un concept trop jeune pour l’enterrer, tant que nous n’avions pas exploré toutes les pistes pour le mettre en œuvre et lui laisser tout de même le temps de mûrir. Nous, jeunes, avions besoin d’un concept comme celui du développement durable pour continuer à croire à un monde meilleur et solidaire et il fallait donc nous laisser cette chance d’aller jusqu’au bout avant de juger de la pertinence ou non du développement durable, notamment à des échelles régionales comme la Méditerranée qui représente un intérêt commun avec Serge Antoine et dont je suis issue.
À la fin de ce débat, Serge Antoine est venu me voir et, depuis, j’ai eu l’immense plaisir de l’accompagner à travers diverses missions, autour de thématiques liées au développement durable. Il m’avait en particulier confié une étude sur les objectifs du Millénaire pour le développement durable en Méditerranée, et c’était vraiment passionnant de pouvoir mener une recherche en collaboration avec Serge Antoine, bien qu’il fût souvent difficile de suivre son rythme de travail. Ce qui l’intéressait le plus c’était de remonter un peu le temps pour voir l’évolution en termes de progrès pour la mise en place des objectifs du Millénaire, une approche rétrospective. Et il souhaitait une approche prospective afin de dégager des tendances et de comprendre, d’analyser et d’évaluer les perspectives de réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement durable par les pays du nord, du sud et de l’est de la Méditerranée. À son grand regret, une des difficultés résidait dans les défaillances en termes de statistiques, pour essayer d’élaborer des scénarios sur la base d’une évolution du passé. Il voulait absolument que je trouve des chiffres, des données sur vingt ans concernant les cibles des objectifs du Millénaire, ce qui s’avérait laborieux et a engendré une grande frustration pour nous deux. L’enjeu était encore plus grand dans la mesure où Serge Antoine avait l’ambition de présenter les résultats de cette étude lors d’une rencontre des chefs d’État de la Méditerranée suite aux engagements qu’ils avaient pris au sommet de Johannesbourg en 2002.
Par la suite, j’ai eu le plaisir d’accompagner Serge Antoine à Barcelone, Nice, Marseille… notamment lors de réunions de la Commission méditerranéenne du développement durable sur les villes, le patrimoine, le tourisme et bien d’autres thèmes. J’ai eu aussi l’honneur qu’il ait répondu à mon invitation à ma soutenance de thèse de doctorat. C’était un grand privilège pour moi, jeune thésarde, d’avoir parmi les participants, à côté de Christian Brodhag qui était membre du jury, une grande personnalité comme Serge Antoine qui s’est rendu disponible et donnait beaucoup d’importance à mon travail de recherche. Je précise que c’était sur une thématique qui l’intéressait beaucoup : L’approche territoriale du développement durable dans les villes du Sud.
Il a toujours été présent pour m’encourager à continuer et croire à notre combat autour du développement durable, notamment ce qui nous liait beaucoup c’était la dimension de solidarité internationale Nord-Sud et la lutte contre la pauvreté, deux dimensions du développement durable dont il était très sensible.
Pendant toute cette période où je l’ai côtoyé et ai travaillé avec lui, Serge Antoine représentait pour moi le visionnaire ou, plutôt et surtout, le passeur. J’aime beaucoup ce terme, et pour moi, il représentait le passeur dans toute sa splendeur. Il m’a appris l’importance de l’articulation et de la conciliation entre différentes échelles : échelles temporelles à travers l’approche rétrospective et prospective, l’articulation entre les échelles spatiales et géographiques et donc entre le local et l’international. Dans toutes les missions que j’ai faites avec lui, à chaque fois, il fallait traduire les engagements internationaux au niveau national, régional et local. Il m’a appris également l’importance pour aller vers le changement de l’articulation des niveaux de décision, des grandes institutions à la société civile. Il m’a appris aussi la nécessité de toujours confronter la pertinence des concepts, la théorie, aux réalités du terrain.
Dans le domaine de la recherche, il regrettait amplement le manque d’une approche interdisciplinaire qui, pour lui, paraissait indispensable pour aller dans le sens du développement durable. Il critiquait beaucoup l’Académie française, dans l’enseignement, dans la mesure où effectivement, cela reste cloisonné, sectoriel. Pour lui, en termes de développement durable, nous ne pourrons pas aller de l’avant tant que nous n’aurons pas orienté la recherche vers des approches interdisciplinaires, au-delà de la pluridisciplinarité.
Ce que j’admirais également chez Serge Antoine, c’est qu’il croyait profondément à la transmission intergénérationnelle. Il savait valoriser et surtout donner leur place aux jeunes qui avaient la chance de le côtoyer. C’est un immense privilège de le connaître, notamment en début de parcours, parce qu’il permet de redonner l’optimisme et l’ambition nécessaires pour aller au bout de ses convictions.
Enfin, pour conclure, pour moi, Serge Antoine incarne, à travers son parcours personnel, professionnel et militant, les principes mêmes du développement durable que nous essayons de défendre tous, chacun à son niveau ici présent.
Quand on a eu la chance de rencontrer Serge Antoine, on n’en sort pas indemne, on est incarné, imprégné de plein de valeurs qui nous permettent d’aller de l’avant et continuer à croire au changement. En termes de valeurs, ce que je garde en mémoire de Serge Antoine c’est sa simplicité, son humanisme, sa grande écoute – portant intérêt à tout ce qu’on disait, quelle que soit la personne qui le disait, et quel que soit le contexte où cela se disait –, sa grande générosité, sa disponibilité – alors qu’il était sur d’immenses chantiers –, sa passion pour ce qu’il faisait, sa joie de vivre, sa persévérance. Quand on est jeune et qu’on commence à rencontrer toutes les difficultés inhérentes à la complexité du développement durable, on a tendance à laisser tomber ou à abandonner alors que, lui, quand on voit son parcours, on ne peut que continuer à y croire, à la ténacité. Surtout, ce qui m’a beaucoup marquée, ce sont ses exigences intellectuelles, son utopie réaliste. Pour moi, autant de grandes qualités d’un grand homme qui représente pour les jeunes, dont je fais partie, les qualités du parrain, du père idéologique dont on a tous rêvé.
Ce qui me désole, puisque nous sommes dans les perspectives, c’est que la plupart des jeunes n’ont pas eu l’occasion, la chance de connaître et de côtoyer Serge Antoine. Aujourd’hui, autour de moi, plusieurs jeunes qui sont dans le combat du développement durable ne connaissent pas Serge Antoine. La piste que je voudrais lancer concerne un projet auquel il avait participé, qui lui tenait à cœur mais que nous n’avons pas pu mener au bout, en collaboration avec Farid Yaker, Christian Brodhag et Michel Mousel. Il s’agit d’un film sur les Mémoires du développement durable. Le film se ferait à travers des témoignages auprès des penseurs-pionniers, des officiels-précusseurs, des témoins-passeurs, toutes ces personnalités qui ont contribué à l’émergence, à l’évolution et à la promotion du concept de « développement durable » car peu de supports visuels autour de ces personnalités existent aujourd’hui. Ce serait, en fait, un moyen de transmettre aux générations futures un éclairage sur les parcours, les motivations, les convictions qui les ont amenées vers le chemin du développement durable.
Pour finir, j’ai eu le plaisir aussi d’être accueillie par Aline Antoine à son domicile pour essayer de reconstituer la bibliographie de Serge. Pendant trois jours, j’ai planché sur une partie de ses archives et c’est extraordinaire de découvrir le nombre de dossiers, de thèmes, de problématiques sur lesquels il a pu écrire depuis 50 ans et qui restent aussi peu connus, et par les pairs et les experts du développement durable.

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