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Thierry Chambolle Ancien conseiller du président du groupe Suez pour le développement durable sur Serge Antoine

Journée d’hommage à Serge Antoine le 4 octobre 2006

J’ai rencontré Serge Antoine virtuellement, pour la première fois, en 1975 quand je suis entré à la Datar. En effet, il n’y était plus, mais notre premier séminaire s’était passé à Arc-et-Senans et la maison Datar était encore toute pleine de ses idées.
Peu de temps après, je suis entré au cabinet de Michel d’Ornano, au ministère de l’Environnement, à l’époque ministère de la Culture et de l’Environnement, et c’est là que je l’ai rencontré et que nous avons commencé à travailler ensemble, chargés d’une tâche un peu bizarre : la préparation d’une charte de la qualité de la vie. D’ailleurs, Jean-François Saglio me disait : « Comment quelqu’un de sérieux comme toi peut travailler sur un document aussi gazeux ? » Heureusement, Serge Antoine était là et nous avons pu travailler ensemble sur ce sujet. Nous avions préparé un grand nombre de mesures dont certaines ont été appliquées et, grâce à lui, nous avions prévu deux mesures qui, naturellement, n’ont pas été retenues par le gouvernement. La première était d’autoriser les radios libres, elles ne l’étaient pas à cette époque et le sont devenues depuis, mais c’était une proposition qui figurait grâce à lui dans notre document. La deuxième proposition, peut-être un peu plus farfelue bien qu’elle commence à se réaliser, était de prévoir des vestiaires dans les entreprises pour que les gens puissent venir à vélo et se changer après leur trajet. J’entendais encore, tout récemment sur France Inter, un certain nombre de déclarations sur ce sujet.
C’était une période joyeuse pour lui, comme pour nous. C’était en 1977, nous avions appris par une indiscrétion qu’il avait cinquante ans à ce moment-là, nous avions acheté un gros gâteau d’anniversaire pour le partager avec lui dans l’hôtel de Sully, pendant la préparation de cette charte. C’est vraiment un souvenir qui reste.
Au ministère de l’Environnement, c’était un très bon camarade, un très bon ami pour tout le monde parce que, comme l’a très bien dit Bettina Laville, au fond, il ne guignait le poste de personne. Il était persuadé, de toute façon, que l’exercice de l’autorité et de la gestion, à un certain degré, était l’ennemi mortel de l’innovation et de l’imagination. Par conséquent, ce n’était pas vraiment sa tasse de thé et donc, les relations avec lui étaient sans aucune ambiguïté, sans difficulté.
Je voudrais apporter deux témoignages parce que, parmi les gens qui travaillaient dans cette direction de la prévention des pollutions et qui avaient un rapport avec lui, il y avait Jacqueline Aloisi de Larderel. Elle m’a envoyé un long courriel pour me dire combien, étant aux États-Unis, elle était désolée de ne pas pouvoir participer à cette journée et elle me chargeait de vous transmettre toute l’affection qu’elle avait pour lui. J’ai reçu un autre courriel de quelqu’un que vous connaissez peut-être moins, qui s’appelle Jean-François David. Il avait échangé une correspondance avec Serge Antoine qui lui avait renvoyé un petit mot sur lequel il avait écrit :
Les droits de l’homme sont de même nature que l’environnement, bien fragiles.
Cela représente bien sa pensée, il n’a jamais essayé d’opposer l’homme et l’environnement, et a toujours regardé cela comme un ensemble. Les droits de l’homme et l’environnement, c’était pour lui un peu le même combat.
Au fond, à force de fréquenter les hommes politiques, il aurait pu s’en lasser et il aurait même pu penser qu’on ne pouvait rien attendre d’eux. Cela n’a jamais été le cas et, quels que soient ces hommes politiques, qu’ils soient de droite ou de gauche, il les a toujours interpellés démocratiquement, il a toujours manifesté vis-à-vis d’eux une impertinence ou une exigence démocratique. Même si je reste persuadé qu’à la maison ou en lui-même, il bougonnait contre pas mal de gens, notamment d’hommes politiques, il avait un respect démocratique pour eux. Pour ma part, c’est le souvenir que je garde de lui, de ces années que nous avons passées à travailler ensemble.
Comme nous avons révélé ce matin son amour pour la poésie, amour que je partage, je lui dédis ce vers d’Hölderlin : « Il faut habiter poétiquement la Terre. » Selon moi, c’est ce qu’il a voulu faire.

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Christian Garnier Vice-président de France nature environnement sur Serge Antoine

Journée d’hommage à Serge Antoine le 4 octobre 2006

Serge Antoine aurait certainement été amusé et c’est une espèce de clin d’œil qu’Anne-Marie Sacquet et moi-même nous retrouvions parmi les derniers participants de cette réunion. En effet, finalement, nous avons la place qui nous revient, celle des agitateurs, de ceux qui essayent de brasser les idées dans la société civile et qui ont permis, comme l’a dit Madame la ministre, à ce ministère même d’exister, et avec qui Serge Antoine a su tisser les liens qui font qu’aujourd’hui, nous sommes de ce côté-ci alors que vous êtes de ce côté-là. L’inverse aurait pu être vrai pour nombre d’entre vous.
Avant le ministère de l’Environnement, avant même le rapport Armand dont Serge Antoine a bien voulu tirer un petit coup de chapeau amical aux auteurs, il y a eu une vie pour l’environnement, notamment ces années 1960 qui ont été la genèse de l’environnement. Pour ma part, à l’aube des années 1960, à la fin des années 1950, j’avais envie de trouver un métier dans la protection de la nature et je ne savais pas encore que je voulais travailler dans l’environnement. Aujourd’hui, je suis professeur dans une école d’architecture qui a créé, depuis déjà deux décennies, le premier pôle « architecture-environnement-développement durable » en France. Ceci m’aurait peut-être permis de recroiser Serge Antoine parce que j’ignorais, à l’époque où avec mes étudiants, dans les années 1973-1974, nous étions en train de remettre la Bièvre à ciel ouvert dans Paris sur l’îlot Poliveau qu’il avait cette passion pour son territoire, sous cette forme-là.
Pour ma part, j’ai fréquenté les milieux qui portaient cette pensée à l’époque, les milieux scientifiques, le service de conservation de la nature du muséum et bien d’autres, mais aussi les associations qui allaient former ce qui devait devenir la Fédération que j’ai l’honneur de vice-présider, France nature environnement, le réseau territorial profond de la protection de la nature et de l’environnement dans ce pays. Avec une poignée d’amis, j’ai eu la chance, en mars 1964, de fonder le centre interdisciplinaire de socio-écologie. Évidemment, quand la nouvelle est arrivée jusque sur les bureaux de la Datar, quand nous sommes entrés en relation par l’intermédiaire du Muséum national d’histoire naturelle, le tissu associatif qui portait l’environnement à l’époque dont personne ne parlait puisque ce mot n’existait même pas dans la langue française, a très vite retrouvé le chemin de tous les pionniers, notamment au sein de l’administration. Sur ce point, je ne vais pas refaire le récit de ce qu’a fait Serge Antoine.
Pour avoir pu participer aux fameuses journées de Lurs qui ont été ce bouillonnement extraordinaire qui a été le moment où la politique de l’environnement a commencé à s’écrire dans le paysage français médiatique et institutionnel, j’ai pu mesurer les nombreuses qualités de Serge Antoine, et je vais en souligner quelques-unes parce qu’aujourd’hui, elles sont en danger dans la société internationale et dans la société française. Nous ne vivons plus du tout dans le même monde que celui où nous vivions à l’époque de ces années 1960-1970.
Ce qui était tout à fait extraordinaire chez Serge Antoine c’était son immense curiosité, le fait de s’intéresser beaucoup aux jeunes, et l’âge moyen de cette salle, auquel je participe aussi, fait que c’est une interrogation importante et ce, même si beaucoup de jeunes s’investissent dans des associations de terrain. À cette époque, nous avons aussi énormément apprécié l’impertinence institutionnelle de Serge Antoine, et sa capacité à parler des choses difficiles, ce que l’on évacue bien souvent dans le débat social et politique. Je ne reviens pas sur son intérêt, sur la diversité et le respect qu’il portait aux personnes, mais il ne se contentait pas d’écouter, il intégrait. Il était à l’écoute au sens le plus profond du terme, et c’était un extraordinaire alambic du développement durable, en ce sens qu’il nourrissait beaucoup les autres et il savait énormément se nourrir des autres en les écoutant. Par rapport aux questions de politique d’environnement, de développement durable et de vie en société, c’est un message tout à fait important. Il avait l’intelligence des bons compromis, le sens de la transversalité, il savait comprendre l’équilibre entre ménager et aménager le territoire. J’ai fait un mémoire d’ingénieur, dans les années 1960, sur le thème de l’agriculture citadine et la colère d’Orsay me rappelle qu’il avait apporté sa vision des choses à propos des projets d’Orsay.
Je ne vais pas reprendre tous les messages importants qu’il me paraît devoir être repris et portés par nous dans la société et sur la scène publique, mais il y a une chose dont nous avons assez souvent parlé avec Serge, notamment dans sa petite voiture qui le ramenait des très nombreux réunions et colloques où nous avions l’occasion de nous croiser, à savoir que la société française oppose un certain nombre d’obstacles structurels profonds à la dynamique du développement durable, même s’il y a des gens formidables qui font des choses formidables. Je n’ai pas le temps de développer, mais je crois qu’il va falloir poser les questions qui seront très difficiles à résoudre dans notre société et qui n’existent pas dans d’autres sociétés européennes qui ont leurs propres problèmes selon leur identité et leur histoire. Serge était très conscient de ces problèmes structurels et cela ne le rendait pas toujours gai.
Je garde aussi en mémoire son amitié pour les francs tireurs, son goût du risque et sa confiance. Il se trouve que dans l’équipe de Maurice Strong et de Marc Nerfin qui préparaient la conférence de Stockholm, j’étais en charge du premier document sur les dimensions socioculturelles des politiques de l’environnement. Pendant qu’Ignacy Sachs, avec son équipe, travaillait sur « environnement et développement », une autre équipe dont je m’occupais travaillait sur cette dimension. Ce rapport soulevait quelques questions difficiles sur la dimension culturelle, notamment sur les minorités et la question de leur prise en compte. Nous avons vu les dictatures les plus dures de la planète à l’époque se lever ensemble pour que nous retirions des passages de ce rapport introductif, d’une part l’empire soviétique, d’autre part la dictature des généraux brésiliens. Serge Antoine, évidemment, est venu à la rescousse, a fait de la diplomatie. Nous pouvions compter sur son soutien, non seulement pour faire de beaux discours sur la diversité culturelle, mais aussi pour s’affronter aux problèmes réellement durs et difficiles.
Il a aussi – ce qui pour nous, associatifs et professionnels, représente un intérêt certain – fait preuve d’un engagement personnel. Il l’a fait en tant que professionnel, mais aussi en tant que citoyen, avec beaucoup de bonne humeur et un sens de toutes les difficultés du monde. Je me souviens avoir visité avec lui quelques banderoles comme celles qui se promenaient sur le pont de Galata en 1996 quand il y a eu la grande manifestation au moment de la conférence « Habitat II » sur les questions de droit au logement pour tous.
Je n’ai jamais pu vraiment l’interviewer sur cela, mais je crois que Serge Antoine avait une certaine sympathie pour un terme lancé lors d’une conférence internationale à Barcelone en 1991, autour de cette Méditerranée qui lui était chère, de « développement durable et désirable ». Par rapport à une vision culturelle, solidaire et chaleureuse, c’était sa conception du développement durable.

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