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Gouvernance mondiale-Du retard à l’allumage,

Source : Territoires, la revue de la démocratie locale n°462, cahier 2, pp.22-24, 2005

Auteur : Serge Antoine

Pour renouveler la gouvernance mondiale, il serait irréaliste de compter sur les seules institutions. La mondialisation doit être portée, voulue et, en partie, mise en œuvre par les populations et leurs sociétés civiles.

La manière dont on s’y prend pour rénover la gouvernance mondiale n’est pas la bonne. Le dernier rendez-vous, à New-York, en septembre, n’était pas plus probant. On se trompe d’un métro en se focalisant sur la réforme du Conseil de sécurité de l’Onu: course à l’échalote pour faire entrer tel ou tel État de plus dans le cénacle des « grands ». L’enjeu est totalement dépassé, si ce n’est de reconnaître que le tiers-monde n’a pas voix au chapitre comme il le devrait.

S’obstiner à revoir le mandat des grandes institutions n’est pas non plus la bonne méthode. Sans doute peut-on y gagner à disposer, par exemple, d’une plus forte institution pour l’environnement. Mais à la racine, qui est vraiment l’interlocuteur du programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), même réformé? Des ministères de l’Environnement qui, partout dans le monde, ont la faiblesse de leurs moyens ou de leur autorité?

Il serait préférable, plutôt que de se focaliser sur tel ou tel compartiment, de faire travailler en synergie les morceaux que sont le Pnue, la FAO et l’Unesco; toutes ces entités qui ont tendance à vivre leur propre vie pendant que règne en maître sous la bannière de la compétitivité mondiale l’Organisation mondiale du commerce. Ce n’est pas tel outil, morceau de la gouvernance mondiale qu’il convient de réformer, mais la cohérence du système vers la gouvernance planétaire.

Une dimension de la réforme de cette gouvernance mondiale a été peu explorée: il s’agit de l’échelle « régionale ». La planète est, en effet, un gros ballon un peu glissant que l’on arrive difficilement à saisir, même si la mondialisation sous toutes ses formes rend cette approche globale nécessaire. En jouant d’entités plus réduites, on parvient à avoir prise. Ces entités régionales peuvent être (elles tendent à l’être), comme l’Union européenne, institutionnelles. D’autres formes apparaissent qu’il faut encourager, s’il ne s’agit pas seulement de grands «marchés» du type Alena pour l’Amérique du Nord et le Mexique ou de Mercosur pour l’Amérique latine.

Le seul exemple pratiqué jusqu’ici – celui d’une « écorégion »- a été lancé en 1975 pour la région méditerranéenne qui, avec ses 450 millions d’habitants, est composée de quelque vingt États riverains. Elle a, à Barcelone, en 1975, scellé avec l’Union européenne un accord, renouvelé en 1995, sur le thème « le développement durable et ses institutions (le Plan d’action pour la Méditerranée, le Plan bleu …) s’inscrivent sous l’égide des Nations unies»; elle travaille au consensus sans trop de problèmes. Il y a aussi l’entité des Caraïbes et celle qui regroupe, dans le Pacifique, de nombreuses îles menacées par l’effet de serre. On pourrait songer à quelques autres ensembles parmi lesquels l’Afrique sahélienne.

CIVISME MONDIAL

« Le civisme mondial commence à être une composante de poids. Il est significatif d’une nouvelle morale que les jeunes perçoivent beaucoup mieux que leurs aînés. »
La mondialisation voulue, maîtrisée et même salvatrice, ne s’en sortira pas par les seules institutions. Elle doit être portée, voulue et, en partie, mise en œuvre par les populations et leurs sociétés civiles. Il y a là un terreau tout à fait vital. Mais il manque les courroies de transmission et l’embrayage. Il y a, de ce côté, fort à faire pour que les acteurs de toute nature se mobilisent et soient incités à le faire.

Le point de départ, c’est le civisme mondial, et il progresse à pas de géant: les catastrophes, le constat d’une indispensable solidarité, le réchauffement des climats, la médiatisation des antipodes constituent autant de facteurs éminemment moteurs. On se rappellera ici les appels, encore un peu solitaires, des années 70 dans lesquels « l’écologie, la défense de l’environnement, tendent à devenir les fondements d’une nouvelle éthique de l’espèce, fondée sur la connaissance: le moment n’est pas loin où la pollution de la nature deviendra un sacrilège, un acte criminel, même et surtout pour l’athée, du seul fait que l’avenir de l’humanité est impliqué. » (Cheick Anta Diop, Civilisation ou barbarie, 1981) Ou celui de Paul-Émile Victor: « Bientôt, le monde se dotera d’un sens civique planétaire. »

Le civisme mondial commence à être une composante de poids, et lui-même est significatif de l’avènement d’une nouvelle morale que les jeunes perçoivent beaucoup mieux que leurs aînés. Les religions n’ont pas encore pleinement pris la pleine mesure de ce vent porteur, les politiques non plus… La mobilisation de la société civile est une clef tout à fait essentielle pour faire avancer le système. Mais il manque, on l’a dit, l’embrayage.

À commencer par les États. Les sommets internationaux sont des occasions manquées. On fait des États des signataires d’accords, au mieux de « déclarations ». On ne les invite pas à être là pour souscrire à des accords autres que consensuels et unanimistes. Or, il serait bon que chaque État, à son propre rythme, soit invité à s’engager à tel ou tel niveau pour 2015, 2025 ou 2030, par exemple, et à l’afficher clairement de manière publique et mesurable pour se mettre sous l’œil démocratique. Ce serait un progrès formidable.
Et puis il y a tous les autres acteurs, hors des conférences mondiales: énumérons-les rapidement.

INCITER LES COLLECTIVITÉS À SORTIR DE LEUR PÉRIMÈTRE GÉOGRAPHIQ.UE DE COMPÉTENCE

– La vie associative est de plus en plus porteuse de nouvelles aspirations et leurs initiatives sont là pour en témoigner: il y a de nombreuses associations de développement durable, d’environnement, de justice, de paix, et surtout de solidarité – pas seulement humanitaires. Elles sont plus dotées de bonne volonté que de moyens.
– Les collectivités territoriales sont des centaines de milliers dans le monde. On ne s’appuie pas assez sur elles non plus, on reste trop fidèles aux structures centralisées. Pourtant, les collectivités se mobilisent de plus en plus pour des causes planétaires, mais elles pourraient décupler leurs actions. Les « programmes locaux contre l’effet de serre » ne sont pas légions de par le monde, et même la solidarité entre villes en cas de catastrophe est un réflexe bien rare. Il faudrait encourager leur envie récente de sortir de leur périmètre géographique de compétence et les inciter à travailler à plusieurs sur des projets concrets.

DES CONSOMMATEURS DE PLUS EN PLUS INFLUENTS

– Les entreprises sont de vrais acteurs, même si l’on peut contester leur appartenance à la société civile: leur « civisme mondial » est sincère, même s’il n’est pas toujours de bon aloi, et leur action est vraiment très performante quand elles le veulent et quand elles sont poussées par le champ de leurs compétences ou de leurs ambitions. Quelque 2 500 de par le monde, dont 358 pour la France, ont signé le « Global compact », engagement proposé par Kofi Annan; 90 000, dont 3 000 pour la France, ont passé leurs épreuves ISO 14001, mais e ne sont que les entreprises à vocation mondiale qui sont présentes à cette échelle. Il y aurait un gros effort à consentir pour déclencher un effet d’entraînement et associer pleinement tout le monde des industries, et surtout des services.
– Les consommateurs sont aujourd’hui de plus en plus influents et les initiatives en faveur du commerce équitable en sont un signe évident. Mais a-t-on réellement fait, comme on le doit, la place aux associations de consommateurs qui, pourtant, peuvent apporter beaucoup?

La mobilisation des acteurs est un véritable défi: et si l’on veut ajouter à l’ambition, n’y a-t-il pas aussi celle de faire travailler ensemble plusieurs types d’acteurs? C’est ce qu’on appelle le « multipartenariat ». Il en existe peu d’exemples dans le monde.
Cette « mobilisation » ne peut être ordonnée, régentée ou réglementée: elle passe par le volontariat, sans lequel rien ne peut véritablement se jouer en profondeur. Elle donne la main à la démocratie, mais pas n’importe laquelle. La démocratie représentative n’est que l’une des branches. Les formes nouvelles de communication en permettent d’autres. Mais la question est surtout celle de la volonté politique et des lois pour rendre possible l’éclosion d’une vraie participation. Et surtout la focalisation sur des projets, qui réunissent le réalisme possible et l’ambition.

On manque de «fabriques d’utopies concrètes », selon l’expression qu’affectionnait Philippe Viannay. Ce qui signifie fabriquer aussi des courroies d’incitation.

1. Le Plan bleu assume les fonctions de centre d’activités régionales du Plan d’action pour la Méditerranée (PAM), lui-même placé sous l’égide du Programme des Nations unies pour l’environnement.
2. Cheick Anta Diop, Civilisation ou barbarie, Paris, Présence africaine, 1981.

 

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« Environnement et développement »

Source: Coopération technique N°72, 7 pages (8-15),1972

Auteur: Serge Antoine

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Pendant de nombreuses années, dans la plupart des pays, les responsables du développement ont essentiellement mesuré le succès de leur politique à l’aide de quelques chiffres qui expriment en unités monétaires la valeur du produit national et le revenu disponible par habitant. Une valeur absolue est encore accordée à ces nombres dont la comparaison mesurait une part seulement de l’efficacité des différents pays dans la course au progrès. Sans doute, attachait-on quelque intérêt aux tableaux de la mortalité infantile, de l’espérance de vie, de l’adduction d’eau, de la possession de téléphone ou d’automobiles, mais c’est, avant tout, en pourcentage d’accroissement du produit national que se définissaient les objectifs des gouvernements désireux de développer leur nation. Les controverses que soulève encore dans beaucoup de pays le choix d’un taux d’expansion pour la durée d’un plan témoignent que cette attitude n’a pas totalement disparu.

La conception que l’on se fait du progrès dans le monde se modifie toutefois rapidement : l’on tend à raisonner de moins en moins en termes de niveau de vie et à penser de plus en plus à la qualité de la vie et même à la vie tout court. Les revendications actuelles vont dans ce sens : elles ne se limitent pas au changement social ou à la juste répartition des revenus. Dès lors que l’amélioration de la qualité de la vie devient un objectif principal du développement, les exigences et les objectifs de l’environnement doivent nécessairement être intégrés dans toute politique du développement.
Si l’évolution a pu malheureusement dissocier les notions de développement et d’environnement, il ne semble pas qu’il y ait, à cet égard, d’impossibilité à concevoir un rapprochement. Bien au contraire, des politiques de développement et d’environnement peuvent, à certaines conditions, s’épauler l’une l’autre de façon efficace et se lier davantage jusqu’à l’intégration.
L’environnement ne s’oppose pas au développement
Au cours de l’histoire, le développement et l’environnement n’ont d’ailleurs pas toujours été séparés. Des réussites comme celles du paysage rural français ou l’édification de villes européennes bien adaptées à leur région, montrent que l’environnement a pu être spontanément réalisé en même temps que le développement. Les gouvernements ne s’étaient toutefois jamais donné l’amélioration de l’environnement comme objectif explicite. Sans doute, chaque fois qu’ils entreprenaient un programme de santé publique, d’éducation ou d’agriculture, les responsables des différents pays contribuaient, dans une certaine mesure, à l’amélioration de l’environnement de l’homme. Mais il manquait à ces actions une vue d’ensemble, une claire conscience des objectifs et un sens de la prospective, ce qui nuisait à l’efficacité des mesures et en faisait parfois des armes à double tranchant : une politique sanitaire qui ne s’accompagne pas d’une politique de la natalité, d’une politique des ressources agricoles et d’une politique de l’emploi ne court-elle pas le risque de conduire non au développement mais plutôt à une dégradation de la qualité de vie des hommes ?
Cette dissociation a été souvent tellement poussée qu’on en arrive à la limite à considérer l’environnement comme un luxe que seuls peuvent s’offrir des pays ayant le temps et les moyens de penser à autre chose qu’au développement économique, priorité des priorités. Aujourd’hui même, il peut arriver que les préoccupations relatives à l’environnement soient considérées par certains comme une tentation pour les sociétés riches d’éluder le développement des moins favorisés, aussi bien à l’intérieur des frontières d’un État qu’à l’échelle du monde, et de calmer ainsi l’impatience de ces derniers tout en se donnant bonne conscience.
Un tel état d’esprit ne se justifierait que si l’environnement était considéré comme un choix au regard du développement. Il ne s’agit pas en fait d’une alternative. La notion d’environnement est une dimension nouvelle donnée aux objectifs de toute politique de développement. Cette dernière a toujours eu le souci de s’inscrire dans une structure d’objectifs : mais la production de biens unitaires pour la satisfaction des besoins et des aspirations de la société doit désormais se référer à d’autres valeurs, celles de l’environnement. La prise en considération de la qualité d’une ville ne s’oppose pas, bien entendu, à la construction des logements suffisants pour le plus grand nombre : les préoccupations de santé qui ont été celles des générations passées se trouvent simplement renforcées par le souci d’une politique de l’environnement soucieuse de l’homme. La prise en considération de l’environnement conduit à repenser la politique de développement dans quelques-unes des orientations de sa politique de production de biens comme aussi dans la multiplication des « antivaleurs » qui l’accompagnent (les déchets de toute nature). Elle ne s’inscrit pas dans une alternative à une politique de développement.
Une analyse économique rigoureuse permettrait d’affirmer qu’une politique de développement qui négligerait les exigences de l’environnement conduirait, à plus ou moins longue échéance, à un échec économique. Inversement, la conception d’une politique coordonnée de développement et d’environnement peut être génératrice d’économie pour les deux.
Intégrer les exigences de l’environnement dans la politique du développement, c’est renoncer à considérer un taux de croissance économique comme le seul critère du progrès et à raisonner uniquement en termes de rentabilité financière ou d’accroissement du revenu monétaire disponible par habitant. C’est réviser la politique du développement en y incluant peu à peu la notion de gestion patrimoniale à long terme, en acceptant de mesurer le progrès à l’aide d’indicateurs plus diversifiés de satisfaction des besoins sociaux et en prenant des mesures en faveur de la promotion de la qualité de la vie et de la lutte contre les pollutions.
L’insuffisance du critère financier en matière de développement a été largement démontrée dans le domaine de l’exploitation des ressources naturelles renouvelables, notamment en matière agronomique où l’exploitation excessive des terres, conjuguée à la monoculture, peut conduire à la fois à la stérilisation du sol et à des crises économiques très brutales.
Sans aller jusqu’à ces excès, une mise en valeur maladroite ou trop intensive des ressources renouvelables se traduit souvent par une amputation progressive du capital naturel et, sur une longue période, se révèle finalement moins productive qu’une gestion qui normalement prélève chaque année les revenus du patrimoine en s’efforçant de l’améliorer et de l’augmenter.
Concevoir le développement uniquement en termes de profit monétaire immédiat aboutit à une situation où les possibilités du marché sont exploitées avec un énorme gaspillage de ressources. La production de biens utiles ou les investissements nécessaires peuvent être retardés au profit de toute une série de biens de moindre urgence. Des besoins collectifs comme la santé, l’eau, l’air ou la qualité des paysages peuvent n’être même plus satisfaits. Un processus de production indispensable à l’obtention de bas prix s’accompagne, en effet, le plus souvent d’une série de nuisances dont le coût a été très imparfaitement calculé pour l’économie en raison de la multiplicité des retombées : renchérissement des biens devenus rares, coût des programmes sanitaires nouveaux, perte de valeurs des biens souillés, sans parler des nuisances dont on ne songe pas à chiffrer le préjudice économique, car certains s’y résignent (laideur, odeurs, pertes de temps, banalisations, entraves). Autant d’effets secondaires d’un développement mal entendu et qui viennent, en fin de compte, en déduction du niveau de vie.
L’amélioration de la qualité de la vie n’est pas seulement un objectif à long terme. Elle peut offrir dès aujourd’hui à ceux qui travaillent des conditions d’existence adaptées à leurs besoins. Il serait donc fallacieux d’opposer le développement à court terme à une politique d’environnement à longue échéance.
Environnement et développement peuvent s’épauler
Le souci de ne plus penser le développement sans l’inscrire dans une politique de l’environnement s’accompagne d’une égale nécessité de prendre en compte l’environnement dans toute politique de développement. S’il ne doit être ni un alibi, ni un phantasme d’évasion, l’environnement ne doit pas non plus être considéré comme une technique ou comme une discipline particulière. Son amélioration aurait dû, normalement et depuis toujours, faire partie des activités humaines. On ne le distinguerait pas du développement dans un pays parfaitement équilibré et l’on n’aurait pas de raisons de le traiter en tant que tel. Cette situation est malheureusement rarissime et des désordres ou des menaces de désordres rendent le plus souvent nécessaire une action spécifique sur l’environnement.
Encore ne peut-on dans cette hypothèse fonder l’action envisagée sur les seuls concepts statiques ou défensifs, isolés de leur contexte comme la conservation de la nature ou la lutte contre les pollutions. Toute la politique des parcs régionaux français par exemple vise, au contraire, à dégager de nouvelles possibilités de développement dans des régions menacées d’un retour à une économie extensive de cueillette et de déprédation, alors que de trop nombreux citadins préoccupés par un « retour à la nature » oublient les liens profonds qui ont existé et existeront entre le paysage et les structures économiques et sociales (agricoles en particulier) qui le supportent et le créent. C’est toujours à l’aide d’une prospective du développement que doit être envisagée l’action sur l’environnement. Ainsi, dans de nombreux pays tropicaux, la tâche de développement ne saurait méconnaître la nécessité d’une amélioration des conditions naturelles sans laquelle tout aménagement se révélerait inefficace (lutte contre les endémies, éducation de base, infrastructures vitales).
À l’aide de ces exemples, on sent combien serait artificielle la tendance qui consisterait à réduire ou à bloquer le taux de croissance sous prétexte que la pression sur l’environnement se relâchera. Ce serait oublier que la volonté de croissance est sans doute le trait le plus caractéristique de tous les organismes vivants ; la croissance économique est la plus nécessaire des tâches pour de nombreux pays. Ce qui importe est plutôt d’adopter un rythme et un style de développement en rapport avec la capacité d’assimilation et d’adaptation de chaque pays, et de préserver le plus grand nombre de possibilités de développement dans les directions les plus larges. Il serait tout à fait erroné de vouloir transférer dans un pays une politique de l’environnement sécrétée par un autre. Tout dépend de la capacité et de la volonté d’adaptation du pays considéré auquel on ne peut apporter à bon escient que les moyens de choisir une orientation propre.
Dans la mesure où l’on sait maintenant que négliger l’environnement peut aboutir à limiter la croissance, il importe dans chaque pays de repenser complètement les objectifs du développement. Il faut admettre également que la gamme des richesses à prendre en considération est beaucoup plus large et nuancée qu’on ne pourrait le penser et qu’elle déborde de beaucoup le domaine du quantifiable. Si l’on commence à savoir pour certains cas ce que coûte une nuisance – en évaluant notamment le coût du rétablissement de l’état antérieur – il est beaucoup plus difficile de trouver une correspondance monétaire à la plupart des améliorations de l’environnement. De nouveaux instruments doivent être dégagés pour que la qualité de la vie puisse être prise en compte dans les processus de décision sans qu’il soit nécessaire de la quantifier ni d’accroître le recours à l’analyse de systèmes.
L’environnement à chaque stade du développement
On ne peut faire appel à des solutions générales de développement pour répondre aux grands objectifs de l’environnement. Une telle attitude serait, en effet, contraire à la conception de l’environnement telle qu’elle vient d’être exprimée. Si l’on admet que la qualité de la vie doit devenir l’objectif principal de toute politique de développement, on doit accepter que cette qualité puisse être formulée de façon originale par les divers peuples et dans les différentes régions du monde. Il est déjà difficile de concevoir des modèles de développement applicables à un grand nombre de pays lorsque l’objectif est d’accroître chaque année le produit national. Il est a fortiori impossible de préconiser des recettes universelles quand il s’agit d’améliorer la qualité de la vie d’une région ou d’un pays, qualité que chacun des groupes en cause apprécie à l’aide des critères les plus variés. Dans ces conditions, on préférera, plutôt que de proposer des moyens, appeler l’attention sur quelques difficultés et suggérer quelques orientations.
1 – La mise en œuvre d’une politique de l’environnement peut prendre appui sur une réglementation conçue en fonction de cet objectif ou sur une politique de formation autant que sur une politique financière. Il n’est pas toujours facile d’opérer une distinction entre une action réglementaire (s’appuyant sur des normes) et une politique économique et financière du développement. Mais il est évident que l’environnement ne suppose pas une individualisation des dépenses dites « exogènes ». Bien au contraire, l’efficacité tendra à intégrer les coûts supplémentaires, quand ils existent, aux autres dimensions de la vie économique et sociale.
2 – Le coût d’une politique de développement doit être approfondi. Divers chiffres ont été avancés et certains experts ont allégué que, dans les pays industrialisés, il conviendrait de réserver à l’environnement un pourcentage du produit national. Une telle position est contraire à la spécificité des divers pays selon leur stade de croissance au regard de l‘environnement. Au demeurant, elle tend à isoler les dépenses de l’environnement alors qu’une bonne part peut être intégrée dans le processus de développement. Enfin, elle passe sous silence les désutilités créées par une politique incontrôlée du développement.
Toute tentative de faire des économies en négligeant systématiquement un aspect de l’environnement se traduit par des pertes dans un autre domaine : par exemple, négliger la pollution des eaux entraîne des risques sanitaires, des pertes dans le cheptel piscicole, une moins-value touristique des rivières polluées, des coûts supplémentaires pour les industries obligées d’épurer les eaux qu’elles utilisent. Une hypothèse plus pessimiste encore serait de considérer qu’il existe dans ce domaine une sorte de multiplicateur de la dégradation.

Dans cette perspective, une saine gestion consiste bien davantage à entretenir le patrimoine de façon rationnelle et régulière, à pratiquer au moment le plus judicieux des investissements modérés intégrés dans une conception d’ensemble. La gestion des richesses de l’environnement demande finalement autant une attention constante et une persévérance dans l’effort que d’importants crédits.
On peut même considérer qu’à elle seule la mobilisation des esprits en faveur de l’environnement peut constituer, dans certaines régions, une stimulation nécessaire pour amorcer un développement jusque-là impossible. L’environnement peut être créateur d’une dynamique du développement, la planification doit en tenir compte pour renforcer le caractère évolutif et la pluralité des situations d’avenir.
3 – Quand il y a lieu, la répartition des dépenses à consentir en matière d’environnement appelle une injection de crédits dans le circuit monétaire plutôt par le biais d’investissements de la collectivité que par la recherche d’une augmentation du pouvoir d’achat des particuliers. Sans doute la possession d’un niveau de vie élevé a-t-elle, jusqu’à présent, garanti à une minorité l’accès à une haute qualité de vie. Mais, outre qu’il est illusoire de penser que dans les trente prochaines années la génération nouvelle pourra dans le monde entier atteindre ce haut niveau de vie, nombre de richesses de l’environnement présentent, entre autres caractéristiques, celles d’être limitées, rares ou uniques, ou bien, par leur nature matérielle ou juridique, de ne pouvoir faire l’objet d’une appropriation, quelque élevé que soit le niveau de vie de ceux qui voudraient y prétendre.
4 – Une des difficultés d’une politique de développement tient au fait que la recherche de qualité industrielle a été trop étroitement liée à la grande production alors que la qualité de vie peut exiger une personnalisation et une adaptation plus poussée des objets à leurs utilisateurs.
De même, dans un monde sur lequel pèse un mouvement démographique de plus en plus lourd, c’est entre la personnalisation et la production à bas prix que passe la voie de la politique de l’environnement ; les trois fonctions de la vie courante : l’habitat, le travail et le loisir gagneraient à être mieux définies.
Ces fonctions ne doivent pas, en tout cas, être trop séparées, par exemple : le travail et le loisir. Au lieu de les opposer et de les considérer comme le contraire l’un de l’autre, il est possible de les traiter comme deux variantes non symétriques des activités humaines. On s’aperçoit alors qu’elles peuvent comporter les mêmes possibilités d’enrichissement pour la personnalité et des formes identiques de dégradation.
Le développement de la personnalité humaine ne pourrait être assuré que par une plus grande participation aux décisions la concernant, ce qui ne peut se faire qu’au sein de groupements d’effectif relativement réduit.
Ainsi, les formes de travail en communauté et une conception des loisirs faisant davantage appel à la tradition de la fête communautaire devraient accroître le développement, dans la mesure où elles pourront bénéficier du dynamisme des corps intermédiaires et de la très grande variété de leurs interventions. C’est, en effet, dans ces corps intermédiaires que pourront prendre forme, plus aisément, des initiatives visant à préserver le maximum de possibilités et de types de développement.
5 – Par leur spécificité, leur localisation géographique, l’échelle à laquelle ils se posent, la relative modicité des crédits qu’exige leur solution à condition d’être traités assez tôt, les problèmes d’environnement peuvent, la plupart du temps, être résolus à l’échelon local.
Il peut toutefois se trouver des cas où des négligences peuvent avoir des conséquences débordant largement cet échelon et où les auteurs de désordre peuvent échapper aux conséquences de leurs actions : c’est le cas de la pollution de l’air et de l’eau et celui du dégazage des pétroliers en mer. Il devient alors nécessaire, dans ces cas bien précis, d’organiser le financement de la protection de l’environnement, de sorte que ces charges ne pèsent pas sur les victimes du désordre causé mais sur ses auteurs. D’autres considérations doivent également entrer en ligne de compte. Il arrive que certains pays n’aient pas les moyens de sauver des richesses qu’eux-mêmes et la communauté internationale tiennent à conserver. Alors un effort particulier de solidarité internationale doit être entrepris, comme l’UNESCO a su l’encourager pour les temples de Nubie ou pour Venise.
Mais quels que soient les niveaux croissants de solidarité interrégionale ou internationale, il est important de mettre l’accent sur les responsabilités dans la pédagogie et l’action des collectivités locales les plus en contact avec les sites et avec les habitants. Les collectivités locales traditionnelles peuvent trouver là une occasion de revoir leurs structures : de nouvelles institutions bien adaptées à la géographie peuvent naître d’une meilleure appréhension de l’environnement.
6 – La politique de l’environnement ne trouvera sa véritable dimension que située dans un contexte évolutif à long terme. La prospective est donc une dimension essentielle de la réflexion. Les recherches prospectives doivent être développées en s‘appuyant sur les techniques nouvelles dont on dispose maintenant à cet égard : l’analyse de système, au sens large, peut être ici un outil décisif pour une meilleure prise en compte des éléments non quantifiables, pour une bonne part, de la qualité de la vie.
Les méthodes de planification devront être revues pour que les calculs ou les arbitrages simplifiés n’éludent pas les problèmes de l’environnement. La planification est d’autant plus essentielle ici que les planificateurs ne créeront pas de frontières entre l’action du présent et la politique à dix, vingt ou trente ans. Elle devra se réadapter dans la mesure où elle tirait une partie de sa vertu des arbitrages un peu frustes auxquels elle procédait. Il y aura lieu de veiller à ce qu’elle puisse se reconvertir en gardant sa force, en particulier au regard des régions à développer.
7 – Les stratégies géographiques du développement comme celles de l’environnement se rencontrent au niveau de l’aménagement du territoire qui constitue précisément un lien très décisif avec la planification. Il donne à cette dernière la possibilité de s’incarner correctement dans un territoire. L’aménagement du territoire prend une importance accrue en raison de la rareté de bien des ressources naturelles et de l’espace.
8 – Une des orientations de la politique de l’environnement pourra consister à rechercher le développement d’une industrie de l’environnement. Tous les pays ont vocation à voir naître ces activités nouvelles qui n’ont pas de raison d’être le privilège de quelques-uns ; cette tendance ne peut qu’être renforcée par la prise en considération d’une politique de l’environnement convenablement replacée dans des contextes géographiques contrastés et se refusant aux moyennes systématiques.
9 – Plus encore que la création d’industries de l’environnement surajoutées aux processus industriels, il conviendra de porter la plus grande attention à la réorientation, du fait de l’environnement, des structures économiques existantes ; celles-ci devront être davantage soucieuses de nouvelles frontières et tenter, à la fois d’éviter les ruptures et de réduire les déchets. Leurs productions peuvent être également appelées à subir de sensibles modifications. Un pays qui ne serait pas attentif à ces mutations pourrait se trouver isolé du contexte international.
10 – La politique de l’environnement ne peut rester étrangère à l’innovation : celle-ci doit être surveillée de plus près quant aux produits nouveaux en particulier. Mais elle constitue une très importante dynamique sur laquelle il convient de prendre appui. Une convenable politique de recherche-développement tirant un plus grand parti des informations qui doivent être davantage échangées dans le monde à ce sujet, peut aider à mettre en relief l’innovation.
11 – L’innovation ne sera efficace que si l’expérimentation peut être multipliée : il s’agit moins d’additionner des essais technologiques en vraie grandeur que de relier les techniques nouvelles aux nouvelles aspirations du cadre de vie. Il est regrettable à cet égard que les expériences dans le domaine de l’urbanisme ou de la pédagogie par exemple, soient si limitées en nombre et en qualité. Des expériences menées dans un pays et donnant lieu à des observations approfondies peuvent être riches en enseignements pour d’autres pays ou régions.
Il apparaît que toute tentative qui consisterait à vouloir imposer des modèles passe-partout pour régler les problèmes de l’environnement, ne pourrait aboutir qu’à l’échec. Il ne peut appartenir qu’aux groupes humains directement concernés de rechercher et de proposer des solutions aux difficultés qu’ils rencontrent pour assurer leur développement dans une ligne qui permette l’épanouissement de leur personnalité propre.
Dans un monde où l’information circule de plus en plus vite, on ne peut que constater la prise de conscience d’une exigence nouvelle relative à la qualité de la vie. Désormais on ne pourra plus envisager les problèmes du développement de la même façon que par le passé. Dans la mesure où il est toujours difficile de prévoir quelle sera l’évolution du monde, une des tâches essentielles d’une politique de l’environnement consistera à préserver pour les hommes de demain le plus large éventail de possibilités et d’orientations.
Si cette condition est remplie, le développement de l’humanité pourra conserver le maximum de plasticité et s’enrichir de nouvelles potentialités.

*Revue Coopération technique (Centre de formation des experts de la coopération technique internationale), 1973, no 72, p. 8-13. Serge Antoine est alors secrétaire général du Haut comité de l’Environnement, chargé de mission auprès du ministre.

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Ce que l’on peut attendre de la conférence de 1992 de Rio ‘Environnement – développement’

Auteur : Serge Antoine

Source : note  février 1991

La Conférence mondiale de 1992 de Rio de Janeiro sur l’environnement-développement, se tiendra au niveau des Chefs d’Etat ou de Gouvernement.
Elle ne peut pas se contenter d’adopter des déclarations ou des conventions de caractère juridique. On attend d’elle une avancée de la solidarité mondiale, particulièrement entre le « Nord » et le « Sud » et une mise en place décisive de systèmes pratiques de gestion de la planète, tant il est vrai que, depuis 1972 à Stockholm, on constate un saut énorme dans l’évaluation de la fragilité de la terre.
Ce que l’on attend de la Conférence est, avant tout, la mise en route d’outils opérationnels sur lesquels les scientifiques, les gouvernements et leurs autorités, mais aussi les entreprises et les associations pourront, comme les populations, travailler en connaissance de cause.

La présente note énumère quelques « produits éventuels de cette Conférence.

Serge ANTOINE

-I- FAIRE LE POINT

1992 est une occasion de faire le point : la connaissance globale des problèmes de l’environnement dans leurs liaisons avec le développement économique et social, comporte, certes, quelques lacunes (qu’il faudrait recenser pour orienter la recherche). Mais il conviendrait, pour la CNUED, de ne pas passer trop de temps à faire préparer par la communauté scientifique des rapports de référence.

Cependant, deux éléments seraient utiles :

1. Un rapport sur l’évolution 1970-1990-2100
Un bon « état mondial 1992 de l’environnement » sera, certes, préparé. Mais l’important, ce n’est pas la photographie de la situation actuelle ; on a besoin d’un rapport sur l’évolution depuis vingt ans (1) et pour les vingt prochaines années sur les relations entre environnement et développement.
L’horizon 2000 du rapport Bruntland était court : 2010 permet d’allonger la période étudiée. Un séminaire sur 2010 avec des indications à l’horizon 2050 et au-delà serait utile ; il pourrait être lancé par la CNUED avec des prospectivistes, environnementalistes et économistes du Nord et du Sud.

2. Les rapports de diagnostic et de problématique, sont plus nombreux que ceux qui s’attachent à proposer de réponses et des voies et moyens. C’est d’autant plus dommage que la remontée planétaire des problèmes a, aujourd’hui, un effet pervers : celui d’encourager la démobilisation des Etats, des institutions, des « sociétés civiles » (entreprises, ONGs, collectivités locales, etc.) et des populations.
« Le problème est mondial, alors que puis-je y faire ? »
Il est proposé que soient réunis, avant 1992, des ateliers de travail écorégionaux à qui il ne serait demandé que des propositions concrètes de mise en œuvre. Ces ateliers – une demi-douzaine de groupes restreints (30 à 40 experts) – fourniraient « l’humus » de la Conférence de 1992.

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(1) Stockohlm 1972

Enfin, il serait bon que le monde dispose d’un véritable observatoire indépendant fonctionnant après 1992.
La planète est de plus en plus sujette à des problèmes qui doivent être mesurés avec soin. Un observatoire mondial du développement dans ses relations avec l’environnement s’impose, bénéficiant des outils les plus contemporains, en particulier, à partir de l’observation spatiale.
Cet observatoire ne sera pas une création ex nihilo ou centralisée : il sera conçu comme une tête de réseau prenant appui sur de institutions spécialisées, publiques ou privées, nationales ou déjà partiellement internationales (par exemple, le GEMS, l’agence européenne pour l’environnement). L’observatoire mondial sera donc fait d’un réseau d’observatoire.
Cet observatoire pourraît être l’occasion de mettre en place, au plan mondial, un Conseil de Surveillance de la Planète comprenant des scientifiques (ne pas oublier les sciences de l’homme), des ONG et des « ingénieurs » de l’environnement-développement. Ce Conseil donnera à l’Observatoire et à l’information qui en sortira, l’indépendance nécessaire. Le Conseil produira tous les cinq ans un rapport sur l’état du monde et veillera à publier tous les ans un résumé des séries statistiques essentielles et des éclairages sur les points clés encore peu explorés ; il mettra au point des « clignotants ».

II. UNE CHARTE

Elle sera concise :

On se gardera de souligner la prééminence de l’environnement per se. Mais on affirmera dans cette charte :

• Le droit au dévelopemment.
Ce droit, pour chaque pays, s’accompagne de devoirs, internes (par exemple, maîtrise de la démographie, formulation de stratégies à long terme, etc… ou astreinte à un développement rigoureusement « propre » pour les pays de fort niveau de développement) et externes (solidarité, pour aider les pays qui ont des difficultés à trouver de voies respectueuses de l’environnement, relations avec les voisins …).

• L’importance de la problématique sociale.
Rio ne doit pas être d’abord une conférence écologique, mais d’abord une conférence pour les hommes dans leurs rapports avec leur environnement : à ce titre, par exemple, créer des emplois qui favorisent l’environnement, est une exigence. Il faut parler de celles des grandes pauvretés qui sont liées à l’environnement.

III . UNE FETE DE LA FRATERNITE

A Rio et off Rio, et, si possible en simultané dans toutes les régions du monde, une fête de la solidarité mondiale pour le développement et l’environnement sera non un feu d’artifice éphémère de la fraternité mais l’engagement d’une affirmation d’optimisme au-delà des problèmes dramatiques du monde contemporain.

Fête et manière de présenter de nouvelles relations entre environnement et développement, seront décisives pour le succès populaire de la Conférence de Rio.
Cette Conférence s’adresse au grand public, aux milliards d’hommes de cette terre, qui n’ont pas encore « bougé » depuis les campagnes parfois un peu moroses sur l’environnement.

IV . DES CONVENTIONS MONDIALES

On recensera tout de suite, organisation par organisation, les conventions (climats-biodiversité-forêts) dont le processus est engagé ou le sera avant juin 1992.
Sauf exception, il est inutile d’en lancer de nouvelles si on veut qu’elles soient prêtes pour Rio.

A Rio de Janeiro même, il ne sera pas concevable que de terminer des conventions ou des protocoles qui en seront à leur dernière phase. Mais on veillera à signer, avec un fort retentissement, celles qui seraient prêtes.

-V- DES OUTILS

Les « outils pratiques » sont certainement les produits les plus utiles de la Conférence de Rio.
On attend pour l’environnement-développement autre chose que des déclarations et des conventions.
Ce sont les moyens concrets d’une politique, en particulier en faveur des pays en développement qui font le plus défaut.

On se limitera ici, parmi d’autres, à huit propositions.

1. Des transferts de technologie
Partout aujourd’hui, est abordé le problème des technologies appropriées ou combinées et du « transfert de technologies » en faveur des pays ou des groupes défavorisés. On se bat sur des formulations (« préférentiel » ou « juste et équilibré »). Mais, aucune organisation internationale n’a encore véritablement pris à bras le corps cette question pour la faire avancer et trouver des outils pratiques et des stratégies de réponse. Il faudra le faire pour 1992.
On devra s’efforcer de traiter le problème dans toute son ampleur, c’est-à-dire en ne limitant pas le sujet aux coûts de l’utilisation des brevets, mais en prenant en compte l’identification, l’information, la dissémination, la formation, l’insertion dans les processus d’activité, les rapports entre technologie et culture ; le recours aux techniques protégées par un droit, est un point, mais l’un seulement d’une longue chaîne.
1992 devrait, sur ce sujet, être l’occasion d’une proposition de structure et de moyens à l’échelle internationale. Cette proposition ne s’appliquera pas en bloc ; elle pourra se mettre en place sur des champs progressivement ouverts de préférence sur les thèmes de l’environnement global : par exemple, pour commencer, sur l’ozone et sur le réchauffement des climats.

2. L’éco développement au-delà des prototypes
Les relations environnement-développement consacrent les notions « d’éco développement » qui ont été dégagées à Founex, en 1971.
Aujourd’hui, 20 ans après, le concept est admis, mais la pratique est encore loin de répondre aux soucis de la fertilisation croisée environnement-développement. Pour aller plus vite, en particulier pour les pays en développement, on s’efforcera d’identifier les expériences réussies (ou les impasses) bien enracinées dans l’économie. Dans chaque pays, une dizaine au moins d’expérience pourraient aider à constituer un stock de références utiles à partir desquelles une collaboration Nord-Sud et surtout Sud-Sud pourrait avancer.
On pourrait, dans le monde, sous les auspices du PNUD, du PNUE et de la Banque Mondiale et des ONG, effectuer un recensement des expériences dans chacun des grands domaines et mettre sur pied un système d’information et de transferts et concevoir des systèmes de diffusion et de financement.
Une part importante de la promotion et de l’écodéveloppement sera consacrée au milieu urbain.
Actuellement, la population qui était, il y a 30 ans encore aux 2/3 rurale, est devenue à 50% urbaine et sera, au début du siècle prochain, de quelque 70%. L’environnement couvre un ensemble de milieux, l’eau, l’air, le sol, les forêts, etc.. L’urbain trop souvent n’est pas considéré comme un milieu mais comme une atteinte aux milieux. Pourtant, il fonctionne aussi comme un élément vivant, comme une boucle, avec des intrants et des produits.
La responsabilité de l’environnement urbain est largement décentralisée au niveau des municipalités. L’échelle internationale est donc très loin des situations. Mais on pourrait, au niveau mondial démultiplié à l’échelle régionale, apporter un « plus » . Par exemple :
• La constitution de bases de données d’expériences urbaines
• Un système d’échanges et de formation sur la gestion urbaine

3. Une redevance mondiale pour les problèmes globaux
L’une des premières études de nouvelles formes de financement de l’action internationale pour l’environnement a été lancée en 1971, à la veille de la Conférence de Stockholm sur l’environnement. L’idée de création d’un « Fonds mondial de gestion de la planète » alimenté par des redevances internationales payées par les usagers de l’environnement ou par ceux qui prélèvent sur des ressources (« droits de péage » sur l’utilisation des océans et des airs, ou sur les émissions de gaz à effet de serre) fait son chemin … Peut-être la Conférence de Rio pourrait-elle la voir aboutir ? Il suffirait que le principe et quelques orientations soient arrêtées pour que la Conférence de Rio soit, ici, un succès.
Au plan de la réflexion, les textes se sont multipliés depuis 1971 : 2ème rapport du Club de Rome 1976, Tinbergen, Steinberg et Yager 1978 (écrits à la demande de Maurice Strong), Owen 1987, Brown et Weiss 1989, Mario Henrique Simonsen 1989, Opshoor et Vos 1989.
Ce qui motivait les premières études dans les années 1970, motive encore davantage aujourd’hui ceux qui s’en occupent : les interdépendances globales croissantes appellent des programmes internationaux et donc des financements internationaux importants et durables. L’environnement global est un bon thème pour justifier une redevance mondiale.
Les propositions internationales ou mises en œuvre nationales d’écofiscalité commencent à se multiplie au plan international (Et, au plan national, voir quelques exemples en note.)

➢ 1970 Proposition du Comité de Développement de l’ONU pour financer, sur la possession de biens durables, le développement international
➢ 1971 Création d’un Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures
➢ 1976 Proposition de l’Arabie Saoudite à l’ONU : taxe de 0.01$ par baril de pétrole
➢ 1980 Commission Brandt
➢ 1990 Premières réflexions sur l’écofiscalité à l’échelle régionale : l’Europe
communautaire
L’analyse des types de ressources financières est une chose : celle de leur affectation en est une autre. Certains ont pensé que la priorité serait le financement d’une agence mondiale de l’environnement (le PNUE, par exemple, reçoit 50 à 60 milliards de dollars/an). Mais d’autres estiment qu’il faut éviter tout financement institutionnel et que l’essentiel doit être affecté à des projets précis liés à l’environnement global, par exemple, les travaux de prévention contre les risques dus au réchauffement des climats.
De là, toute une réflexion se fait jour, sur les financements volontaires et des contributions, qui permettraient aux populations et aux entreprises de participer, par des « obligations » aux opérations de notre terre.

4.Renforcer l’échelon régional : les écorégions
La planétarisation des problèmes de l’environnement et la mondialisation des échelons de décision qu’appelle leur solution, ne peut convenablement se mettre en œuvre qu’en cultivant l’échelon régional. On ne peut pas se satisfaire d’une « culture sans sol ». Et même si les nations sont des clefs indispensables pour l’action, on ne passe pas, de 160 Etats, sans courroie de transmission, au niveau planétaire, les régions pour l’environnement et le développement, doivent être actives.
Des régions existent : certaines sont polyvalentes, dotées d’institutions appropriées : par exemple, l’Europe communautaire.
D’autres se cherchent, que l’environnement – développement peut révéler : c’est le cas, par exemple, du bassin méditerranéen. Fondées sur un patrimoine commun d’espace, de milieux, de cultures, ces « écorégions » peuvent aujourd’hui prendre un essor. Des premiers pas ont été franchis avec ce que l’on appelle les organisations de « mers régionales ». Il faut les renforcer sur le type de coopération en Méditerranée ou en Asie où travaillent, ensemble et en réseau, de nombreuses institutions.
On peut ainsi s’efforcer de lancer des coopérations au niveau, par exemple :
• Des pays à dominante de désertification
• Des pays de condition tropicale
• Les îles
L’important est que ces régions travaillent en ouverture sur la planète et non comme un système fermé.
Penser planète, agir écorégions
1992 pourrait donner un coup d’envoi aux « écorégions du monde »

5 . Des aires de protection et développement durable pour 5% du monde
Certains espaces naturels ou culturels sont de qualité mondiale, parce qu’exceptionnels, ouvrages humains ou spécimens rares de la diversité biologique. Ils méritent, dans l’intérêt de l’humanité, par leur fragilité, une désignation mondiale et une gestion exemplaire.
Certains espaces comme les mers (70% de l’espace mondial) ou comme l’Antartique (2%) appellent une attention planétaire et un statut approprié facilitant la conservation. Le droit des mers, depuis longtemps international, acquiert peu à peu une dimension planétaire qui ne pourra que se renforcer au cours des années. La mer devient un bien commun. Le statut de l’Antarctique est aujourd’hui au cœur de débats internationaux qui tendent à conférer une place particulière à cette région du monde.

Les autres espaces sont sous la souveraineté d’Etats : certains, relativement restreints en surface, ont été dotés de statuts particuliers ; par exemple de réserve mondiale de la biosphère ou de « patrimoine mondial » accordé par l’Unesco qui a, là, joué un rôle déterminant à partir d’une initiative lancée en 1972 par une convention internationale (1).

Ces opérations constituent un pas en avant, tout à fait décisif en ce sens qu’elles marquent à la fois la nationalité du bien (aucune procédure de classement ne peut être lancée, si ce n’est à l’initiative des Etats), et l’impératif d’une conservation mondiale.

Les réserves de biosphère qui couvrent déjà plus d’1% des zones terrestres donnent lieu à réexamen régulier et en 1990, un premier bilan effectué par l’UNESCO est en cours sur le « patrimoine mondial » (2)
Le « patrimoine mondial » bute sur les problèmes d’arbitrages de moyens et de gestion au quotidien. Il apparaît que, trop souvent, la priorité de protection est mise à mal soit par des choix qui relèvent d’autres priorités, soit parce que mal reliée aux dimensions économiques. La force du titre de « patrimoine mondial » n’est pas suffisante et il n’y a pas, le plus souvent, de directeur ou d’institution pour le gérer. La qualité de patrimoine mondial ne confère pas aux espaces et aux biens les moteurs nécessaires pour une gestion convenable, c’est-à-dire, en particulier, des structures pour une gestion dotée d’une certaine autonomie. De plus, les moyens financiers ne sont pas renforcés en proportion, surtout dans les pays en voie de développement.
Il est proposé pour 1992, d’imaginer et de lancer un nouveau statut pour des terres fragiles d’intérêt mondial.
•Serait affirmé le caractère exceptionnel de l’espace à gérer de manière « durable » : à ce stade, l’objectif serait que ces espaces naturels représentent 1% de l’espace terrestre mondial.
•Serait réaffirmée l’initiative nationale sans laquelle aucune politique internationale ne garderait ses racines.
•Les espaces naturels du patrimoine mondial seraient plus larges que ceux actuellement pris en charge par l’UNESCO soit au titre du patrimoine mondial soit au titre de « réserve biosphère ».
•L’organisation de la gestion des aires mondiales de protection et de développement devra être renforcée et précisée : elle pourra comprendre plusieurs types de statut juridique. Mais tous devront préciser la direction, le conseil scientifique, le budget, la comptabilité, le contrôle.
•Un système de concertation avec les populations locales devrait être monté, afin qu’elles se sentent pleinement associées au destin de l’aménagement et du développement du territoire.
•Ces territoires seraient prioritaires pour des remises de dette.
•Ces territoires pourront avoir une vocation à être de espaces ouverts à la conservation de la diversité biologique et recevoir l’appui du GEF (Global Environment Fund) à ce titre.

6.Des brigades d’intervention rapide
Les responsables de pays se trouvent parfois confrontés très rapidement à des pollutions accidentelles ou de catastrophes mais aussi à des décisions rapides pour l’action. Certains pays sont démunis, à la fois de moyens de diagnostic et d’intervention.
La communauté mondiale pourrait organiser une solidarité envers les pays les moins équipés :
➢ Par la mobilisation rapide d’experts capables d’analyser une situation et de conseiller les autorités sur les mesures à prendre d’urgence ou à court terme : brigades pluridisciplinaires d’analyse de situation et de préparation de l’action.
➢ Par la constitution de brigades d’intervention qui peuvent intervenir rapidement en cas de situation critique.
Ces équipes de diagnostic et ces équipes d’intervention prendraient appui sur des réseaux d’experts et de centres répertoriés au plan de régions ou de sous-régions en complétant, pour les dernières, le travail de l’UNDRO. Faut-il créer pour cela une nouvelle institution ? Le problème n’est, en tout cas, pas au niveau de l’organisation centrale mais de la rapidité de fonctionnement du système.
Du fait de son exploitation en temps réel, l’Observatoire mondial évoqué p.4 pourra aussi servir la surveillance continue, notamment, pour les transports. La surveillance des circulations pourrait être améliorée, en particulier pour les transports maritimes avec l’identification, pour chaque transport, d’une « carte d’identité » des produits dangereux ou à risques. Il est possible de disposer, par les techniques spatiales, d’un système de surveillance qui assurerait le suivi des transports de ce type.

7. Droit, institutions et sanctions
L’efficacité de bonnes relations entre environnement et développement réside dans l’amélioration du système institutionnel, le renforcement du droit international et l’établissement d’un système de sanctions.
• Sur le premier point, les institutions internationales ne sont pas parfaites. On peut les améliorer et, si cela était nécessaire, en créer de nouvelles. On constate que le PNUE existe pour l’environnement mais que des champs ne sont pas couverts ; pour l’énergie par exemple. Faut-il ou non d’autres institutions spécialisées ? Faut-il des coordinations plus efficaces ? Certains l’envisagent. D’autres insistent, non sur les institutions thématiquess nouvelles, mais sur l’autorité mondiale de décision et d’arbitrage qui fait défaut aujourd’hui.
• Le droit international de l’environnement – sauf pour les mers – est très récent : on doit forcer la mesure et aller au plus vite pour créer un droit de l’environnement grâce aux conventions qui se multiplient mais qui souvent, ne sont pas suffisamment précises. On voit combien des règles, pourtant simples, comme celle du « pollueur-payeur » ont été importantes lorsqu’on les internationalise bien dans le droit international ou dans les droits nationaux.
• Le droit international comporte aujourd’hui trop peu de sanctions. Le domaine de l’environnement est à peine concerné et le renforcement du « code pénal international » serait pourtant bien utile. Aussi, encouragera-t’on une réflexion internationale sur ce sujet, afin que, non seulement, quelques critères précis (découlant par exemple, du principe « pollueur-payeur »), puissent être appliqués et que des instances soient désignées pour être saisies des litiges comme des manquements à la solidarité mondiale.

-VI- DES CLEFS POUR IMPLIQUER LA SOCIETE CIVILE

L’amélioration de l’environnement, global en tout cas, ne résultera pas des seuls efforts des institutions internationales, même si on en renforce l’efficacité. Il sera le fruit d’une implication plus complète et plus spontanée (c’est-à-dire sans contraintes et polices excessive) des acteurs économiques et sociaux : associations, entreprises, particuliers, etc.).

1. Une éducation responsabilisante pour la gestion de la terre
Depuis vingt ans, la pédagogie de l’environnement a progressé, mais elle est très nettement en retard dans certains pays et pour certains milieux et certaines espèces ; de plus, elle n’est pas intégrée, comme il convient, dans les programmes et dans les disciplines du développement et réciproquement. Il serait utile, en le reliant bien à l’enseignement et au contact avec la vie et la nature hors les murs, de renforcer l’effort. Il faudra, non seulement des campagnes de sensibilisation et d’éducation, mais aussi des matériels pédagogiques. La pédagogie, en effet, a besoin aujourd’hui, de plus de contact avec la nature et les milieux, mais aussi de matériels pédagogiques pour relier la compréhension des problèmes in situ à ceux du monde.
La pédagogie des problèmes d’échelle planétaire a, elle aussi, grâce à la télévision, a fait des progrès considérables. Mais l’effet pervers de cette mondialisation réside dans le déracinement des problématiques et dans l’absence de jugement relatif que l’on peut porter sur ce qui se passe chez soi, par rapport à ce qui se passe dans le monde.
Or, il faudra resituer l’éducation dans les liens qui existent avec le lieu de vie, la région, le monde. De plus, l’éducation devant la mondialisation, a besoin d’être d’autant plus responsabilisante, que les problèmes à l’échelle mondiale ont pour effet de démobiliser le citoyen ou le futur citoyen. Les problèmes mondiaux sont tels que chacun se dit : qu’y puis-je ?
Aussi, un vaste programme d’éducation responsabilisante devrait être entrepris. Une opération commune à plusieurs organisations des Nations Unies serait utile (UNESCO en particulier). Mais il faudra y associer des partenaires efficaces (ONG, entreprises) et notamment travailler à l’échelle régionale. L’objectif : fabriquer des matériels régionaux d’initiation à l’environnement au sens large bien relié au développement.

2. Les ONG s’engagent
1992 sera, sur place à Rio, un rendez-vous entre les responsables des Etats et ce que l’on appelle les « secteurs indépendants ». Il doit surtout être le prélude à une action durablement efficace.
Le problème est d’aider les ONG à devenir meilleures et plus efficaces pour l’environnement-développement.
Les ONG ont deux fonctions : celle d’interpellateurs des « establishments » qui exercent une part de pouvoir, mais aussi celles d’organes engagés dans l’action.
Agenda 21 leur permettra à cet égard de prendre des engagements précis. Enfin, les ONG, comme d’ailleurs d’autres groupes du corps social, peuvent s’engager dans un partenariat ; il faut les y encourager.
Il convient d’apporter aux associations les facilités qui leur permettent de se projeter dans l’avenir et de mieux afficher la manière dont elles comptent prendre en charge une part de la problématique environnement du monde.
Là encore, la dimension régionale est intéressante : les ONG pourraient jouer un rôle actif à ce niveau.
L’année 1991 pourrait être tout à fait décisive à cet effet, en suscitant des réunions des ONG d’environnement-développement en Méditerranée, en Amérique Latine, en Caraïbes, etc., en complément des grands rendez-vous prévus au plan thématique (industrie à Rotterdam en avril 1999, réunion à Paris en décembre 1991 environnement).

 

 

3. Des incitations pour les acteurs économiques
Les responsables d’entreprises et, plus généralement, les acteurs économiques n’ont pas aujourd’hui de suffisantes incitations pour agir dans le sens d’un bon environnement ou d’un développement « durable ».
Certes des principes existent qui ont eu un réel effet : la règle du « pollueur-payeur », par exemple, mais elle relève plutôt de la dissuasion que de l’incitation. Il faudrait d’autres codes et surtout des codes positifs.
Il faudrait concevoir des systèmes d’encouragement à bien faire.
Pour ne considérer qu’un exemple : les comptes publics et privés n’intègrent pas les coûts de l’environnement. Une comptabilité patrimoniale introduite dans les comptabilités permettrait de revoir le classement des biens, de mesurer les prélèvements pour la protection du patrimoine ou le renouvellement des ressources, de récompenser les « bons » investissements.
Des amortissements ou provisions pour cause d’environnement, s’ils étaient adoptés, feraient beaucoup pour inciter les entreprises. La comptabilité est un élément décisif pour l’économie de marché et pour intégrer l’environnement dans les paramètres de l’économie.
Au plan international, à l’échelle des pays, on pourrait aussi revoir les comptabilités. La référence du PNB, par exemple, qui charrie des notions tout à fait fausses de richesse et de croissance pourrait être réexaminée.
1992 pourrait être l’occasion de soumettre à l’ONU, une identification de la situation des pays, mieux adaptée à leur condition réelle.
Ainsi, la liste des « pays les moins avancés » pourrait être revue à la lumière de pays qui ne survivent qu’en prélevant massivement sur leurs ressources naturelles. Ce nouveau regard ne serait pas fait pour le plaisir du classement mais pour revoir les incitations et les aides internationales liées au PNB.

(1) 51 pays sont impliqués dans cette opération (Amérique 3, Amérique Centrale et du Sud 11, Europe 12, Moyen-Orient 9, Inde et Asie du Sud-Est 5, Australie, Nouvelle-Zélande 2, Asie 1, Afrique 17 (dont 5 Afrique méditerranéenne, 5 sahélienne et 7 tropicale et méridionale). Ce « patrimoine mondial », il est fait de 133 biens culturels et de 72 espaces naturels ; 13 ayant ces deux dimensions.
(2) Il est intéressant pour le patrimoine culturel (environ 150 monuments) mais moins adapté aux espaces naturels (80, de trop faible taille en général). De plus, le choix des espaces est tourné sur le passé (mot anglais « Héritage »).

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C’est après Rio que tout se joue

Un entretien avec Serge Antoine

Source :  Naturellement N°44  1992

Serge Antoine, l’un des initiateurs de la politique de l’environnement en France est responsable de la mission environnement-développement du Ministère de l’Environnement.
Il participait déjà en 1972 à la Conférence de Stockholm à la tête de la délégation des fonctionnaires français.
Durant ces deux dernières années, il a fait partie de l’équipe des Nations Unies qui a préparé le sommet de Rio sous la direction de Maurice Strong.
Il était présent le 8 octobre à Pantin à la première de la série de conférences, comptes-rendus du Sommet de Rio entreprise par le MNLE à travers le pays.
Il répond à nos questions.

• Comment est né le projet de réunir la Conférence de Rio ?

• Le Sommet Planète-Terre de Rio n’était pas la première conférence thématique des Nations Unies à traiter de l’environnement. Elle ne sera pas la dernière. Il s’en tient plusieurs par an, comme par exemple celle qui s’est tenue à Paris, l’année dernière sur les forêts. Mais de grandes comme celle-là, il n’y en a eu qu’une : celle de Stockholm en 1972, il y a vingt ans. Première à traiter de l’environnement, elle fut moins importante que celle de Rio par le nombre des participants et des chefs d’Etats présents. Elle fut surtout différente parce qu’ouverte sur l’environnement et pas sur le développement a priori. Mais un grand mouvement de réflexion était lancé.
A partir de 1984, la commission dite « notre avenir à tous » présidée par Madame Gro Brundtland allait travailler pendant plus de trois ans, montrer les relations entre l’économique et l’écologique, proposer la stratégie du « développement soutenable » et provoquer, en 1988, la convocation de la conférence de Rio par l’Assemblée générale des Nations Unies pour le mois de juin 1992.

• Rio, ça n’était tout de même pas une conférence ordinaire.

• C’est vrai : les chefs d’Etat ou de gouvernement étaient présents eux-mêmes. Pas tous bien sûr. Le premier ministre japonais avait la grippe. Les pays de l’Est, occupés par la crise qu’ils connaissent ont un peu abandonné la vie internationale. Mais il y en eut cent dix ! Quant aux Etats-Unis, si Bush était bien là, on doit dire que durant quatre ans son administration, assez hostile, n’avait rien fait pour aider à la réussite de la Conférence.
Mais ce qui est très important c’est que, pour la première fois, des forces constituées autres que celles des Etats étaient présentes. Trois cent maires de grandes villes sont venus, dont, pour la France, ceux de Lille, de Marseille, de Lyon par exemple ce qui n’est déjà pas mal. De nombreuses entreprises aussi. La présence de certaines n’était certes pas toujours méritée par l’action passée. Mais ce qui compte c’est l’avenir. Prise de conscience de leurs responsabilités ? Recherche de marchés nouveaux ? Elles avaient du moins le mérite d’être là alors qu’à Stockholm, il n’y en avait pas une. Les organisations non gouvernementales (les ONG) enfin. Quasiment absentes de Stockholm parce que, pour la plupart, elles n’existaient pas, elles ont été très présentes à Rio.
Elles se sont beaucoup exprimées, parfois en amateur. Mais elles ont témoigné pour la société civile dans sa diversité. Et, par elles (on en a compté plus de sept cent cinquante) les peuples étaient présents à la Conférence.

• Une conférence à la préparation de laquelle vous avez été étroitement associé.

• Une équipe d’une trentaine de personnes y a travaillé, installée dans une petite maison de Genève. C’est là que je les ai rejoints en tant que conseiller spécial et que j’ai collaboré avec Maurice Strong qui avait reçu des Nations Unies le mandat de diriger cette équipe. Nous devions travailler en même temps sur l’environnement ET sur le développement.
C’est ce qui a conduit la Conférence de Rio, au contraire de celle de Stockholm, à ne pas traiter seulement de la protection de la nature, de la sauvegarde des espèces, de la protection des océans, etc. mais à lier ces problèmes aux phénomènes socio-économiques, par exemple au manque de moyens de subsistance de populations entières : la pauvreté a été au cœur des débats de Rio.

• D’où l’importance de cette idée forte : le développement soutenable.

• Soutenable, durable, viable … le mot anglais « sustainable » est difficile à traduire. Mais ce qui est important c’est la chose. Ce concept ne rentrera pas dans les mentalités en un jour mais il ne faut pas se lasser de l’expliquer.
Il a fallu vingt ans pour s’apercevoir que parler d’environnement constitue une véritable révolution culturelle. On nous disait à l’époque « l’environnement, ce n’est pas une priorité, c’est un mot américain : et dites-nous d’abord ce que ça veut dire. »
Si en 1969, il n’y avait pas eu un académicien (il s’agissait de Louis Armand), qui avait proclamé « droit de cité » pour l’environnement, la France bourgeoise et frileuse aurait continué à refuser le mot avec des haussements d’épaule : « ça ne vient pas de chez nous … »
Maintenant c’est le « développement durable » qu’il nous faut comprendre et apprendre.
Pour donner une image simple du « développement », j’aime bien faire référence à la manière dont la France a cultivé son jardin durant des siècles ; défriché des forêts, aménagé l’espace avec un souci implicite de la durée presqu’incroyable.
Aujourd’hui, en Amérique du Sud, dans l’ex-URSS, en Afrique, des terres sont surexploitées sans que l’on ait conscience qu’il aurait fallu jouer sur un siècle et que la nature ne se plie pas à toutes nos productivités.
Malgré l’ampleur des problèmes mondiaux qui m’effraie, je reste optimiste quand je vois les générations nouvelles mieux prendre en compte cette exigence de la durée que nous il y a trente ans.
Il faut qu’encore plus rapidement les esprits se transforment. C’est aussi une question d’éducation et je regrette que ce problème ait peu été abordé à Rio.

• Est-ce le seul problème qui vous semble avoir été oublié ?

• Un autre problème a été, dit-on, peu discuté parce qu’il n’était pas dans le mandat que nous avions reçu. C’est celui de l’explosion démographique. Mais on s’y est référé plus qu’à Stockholm, il y a vingt ans, et Rio la population mondiale a augmenté d’un milliard et demi d’habitants.
On prévoit que cette population se stabilisera peut-être, vers 2100, à la fin du XXIe siècle, entre dix et quatorze milliards d’individus (en ce moment, nous sommes en train de passer de cinq à six milliards).
La ville n’était pas non plus dan le mandat. Or, cette population mondiale sera, pour plus de la moitié, regroupée dans des villes (chiffre d’ailleurs déjà largement dépassé dans un pays comme le nôtre). On n’arrêtera pas ce mouvement d’urbanisation qui n’et d’ailleurs pas négatif par nature. L’exemple du bassin méditerranéen que je connais bien (1) montre que le progrès des civilisations a été marqué par l’essor des villes. Elles permettent, à population égale et à condition que l’on y mette les moyens, de gérer les pollutions parfois plus facilement que dans les campagnes à l’habitat parsemé. Mais ce qui est terrifiant c’est l’apparition de villes de trente millions d’habitants comme Le Caire, Mexico, Istambul … Leur taille les rend quasi impossibles à gérer. Il faut orienter les mouvements de population vers les villes moyennes, mais cela pose le problème d’un aménagement d’un territoire réellement maîtrisé et efficace, ce qu’aucun pays au monde n’a encore réussi …

• Des raisons peut-être, parmi d’autres, qui expliquent la tonalité très sceptique des commentaires que l’on a pu entendre sur les résultats de Rio.

• C’est vrai. Mais ce qui a le plus manqué à Rio ce sont les engagements financiers des Etats les plus nantis. On aurait pu espérer un peu plus de générosité, de solidarité. Un supplément de deux milliards de dollars a été promis sur les soixante dix espérés. L’important, tout de même, c’est la dynamique qui est née : plusieurs pays ont confirmé qu’avant l’an 2000 ils consacreraient 0.7 % de leur PNB au Tiers Monde. Sur ce point, la France a été « allante » : elle s’est engagée à faire passer son aide publique de 0.56 % actuellement à 1% avant l’an 2000. C’est daté et concret.
Autre point : certains ont regretté que l’on ait « fabriqué du droit » sans pouvoir sanctionner ceux qui ne respectent ni lois ni règlements.
Sans doute est-ce pour tout cela que les media ont été parfois sévères. Mais, pour la création d’un gouvernement mondial ou, en tout cas, d’un système de gestion planétaire ne soyons pas à ce point impatients : il a fallu, plusieurs siècles à la nation pour se forger … On devrait plutôt retenir que cette conférence a été le résultat de quatre ans d’une préparation fantastique comme je n’en ai, moi, jamais vue. Et que l’important c’est l’après Rio. C’est là que va tout se jouer.
Je voudrais bien que les détracteurs de Rio regardent de près les huit cent pages de « l’Agenda 21 ». A côté de quelques vœux pieux, c’est vrai, ce document contient des choses extrêmement précises et importantes sur ce qui devrait se passer dans les vingt prochaines années et sur ce qui devrait être fait. Mais « l’Agenda 21 » n’est pas encore diffusé et j’aimerais que le MNLE essaie de le rendre accessible et de le populariser comme il a su le faire pour le rapport « Notre avenir à tous ».

• Comment voyez-vous se dessiner cet après-Rio ?

• Vous savez qu’en général, quand une grande conférence des Nations Unies se termine, on crée une nouvelle structure. Après Stockholm, par exemple, on a créé le Programme des Nations Unies pour l’environnement (le PNUE) avec environ cinq cent fonctionnaires basés à Nairobi.
Après Rio et face à un sujet aussi vaste, on a compris qu’on ne pouvait pas créer encore une institution spécialisée. Ce qui va être mis en place, c’est un organe politique de coordination, de synthèse et de surveillance. Ce sera la « Commission du développement durable ». Et l’on a eu raison car ce qui va être fondamental, c’est ce qui sera fait au niveau de chaque pays, de chaque Etat, de chacune des agences des Nations Unies. (une main de fer sera nécessaire pour éviter la dispersion !). C’est à ces niveaux que la balle est maintenant lancée.
Un exemple : à peine les bougies de Rio éteintes, j’ai été invité au Ministère de la Recherche. Il a réorienté certains programmes. Des décisions ont été prises et j’y ai entendu ceci « à partir de maintenant les chercheurs français en mission en Amérique Latine, en Afrique ou ailleurs ne travailleront plus que si c’est en liaison étroite avec les chercheurs des pays partenaires ».
Autre exemple : dès le 20 juillet les représentants des grandes villes du monde se sont réunis à Montréal pour regrouper si possible les actions des maires de ces villes et de celles qui ont décidé de lancer des programmes municipaux d’environnement et de développement durable.
Voilà des décisions importantes et concrètes. Comme celle que le MNLE a prise d’organiser des conférences-comptes rendus de Rio et qui me vaut d’être à Pantin ce 8 octobre.
C’est très rare qu’une conférence internationale ait de tels prolongements, et cela me rend plutôt optimiste.

• Optimiste sans conditions ?

• Non ! cela implique plusieurs choses. D’abord, que l’on regarde la réalité en face. Le tiers-monde s’enfonce depuis dix ans dans un système d’échanges de plus en plus dégradé. Les pays développés, le « Nord », reprennent d’une main ce qu’ils donnent de l’autre et contraignent certains pays à surexploiter leurs ressources en y aggravant la pauvreté. C’est un problème absolument énorme qui conditionne tout ce que peuvent faire ces pays.
Ensuite, il faut que des décisions financières concrètes soient prises. Il ne sert à rien de prendre des résolutions, même excellentes, si les moyens ne suivent pas. Enfin, il est important que nous fassions tous l’effort de voir dans notre propre vie, dans nos entreprises, dans nos administrations ce que nous pouvons faire pour corriger l’état de la Planète. Ça n’est pas simple tant, à cette échelle, les problèmes semblent nous dépasser, mais c’est indispensable.
Economiser les ressources, l’énergie, moins polluer même si, à première vue, cela peut sembler contraignant, cela peut aussi beaucoup rapporter ! Ce qui est en jeu, c’est la survie de la Planète et la vie des millions de jeunes supplémentaires qui arrivent, chaque année, sur le marché du travail des pays les plus pauvres … ou les plus frappés par le chômage.

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(1) Serge Antoine est très impliqué dans l’avenir du bassin méditerranéen. Il est à l’origine de l’élaboration du « Plan bleu » et l’un des artisans de la convention de Barcelone entre les 18 Etats riverains (NDLR).

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