Farid Yaker Ancien de ENDA Europe sur Serge Antoine

Farid Yaker
Ancien de ENDA Europe

Hommage du 4 octobre 2006

Je suis heureux d’intervenir après Paloma puisque mon intervention va se situer dans la même veine. Chronologiquement, c’est au cours de la période des années 1992-1995 qu’elle a connu Serge Antoine. Pour ma part, je l’ai connu plus tard, plutôt à partir du milieu des années 1990, Serge était membre du conseil d’administration de ENDA Europe dont je suis le coordinateur.
ENDA Europe étant membre du Comité de suivi des ONG de l’environnement de la Méditerranée qui comprend les sept réseaux principaux des ONG de l’environnement tels que le WWF, le Bureau européen de l’environnement, le Mediterranean Information Office, etc., j’ai été amené à côtoyer Serge dans les enceintes méditerranéennes et, par la suite, dans les enceintes francophones, avec le Comité 21 notamment sur l’Algérie où nous avons mené un projet commun avec Anne-Marie Sacquet.
J’ai donc été amené à découvrir Serge progressivement et je continue à découvrir de multiples facettes de sa personnalité ou de son action, notamment à travers les témoignages apportés aujourd’hui. Ce que j’ai retenu de lui, et ce que j’ai très vite appris à découvrir, c’était qu’il était un militant en puissance. Il était animé par une foi ardente, notamment en faveur du développement durable mais pas seulement, il croyait avec conviction à d’autres causes. Il avait beaucoup d’idées, il était en éveil permanent, en réflexion permanente sur des tas de questions. Et puis, il était orienté vers l’action et pour une ONG, c’est fondamental. Pour cela, très vite, nous avons été amenés à considérer Serge comme une ONG en puissance à lui tout seul, et pas n’importe quelle ONG !
Il avait des traits qui nous rapprochaient, principalement le fait qu’il était un homme d’action. Je citerai deux anecdotes qui illustrent un peu sa personnalité et le genre d’actions que nous avons pu mener ensemble.
La première se passe dans la phase préparatoire de Johannesbourg. Serge s’est très vite aperçu que la Méditerranée, dans le débat, n’était pas couverte parce que c’est une mer régionale et le processus onusien concerne uniquement des zones géographiques : l’Europe, l’Afrique, l’Asie. Du coup, on ne parlait pas de ces espaces interstitiels et il était extrêmement peiné par cela. Il nous a demandé de réagir et d’essayer de faire en sorte que la Méditerranée soit prise en compte. Pour lui, avec sa pensée systémique, c’était un sacrilège que la Méditerranée ne le soit pas, mais malheureusement, nous étions à quelques semaines de Johannesbourg. Il m’appelle, me livre son sentiment. Pour ma part, j’étais sceptique et il me dit : « Il faut absolument faire quelque chose, je reviens à toi. » Je n’y croyais pas trop, mais pour Serge, « impossible » ne faisait pas partie de son vocabulaire. Il me rappelle quelques jours plus tard et me dit : « C’est bon, j’ai vu avec la mairie de Nice. Nous avons un budget, une salle. Tu réunis l’ensemble des ONG du réseau. » Nous nous sommes retrouvés les 11 et 12 janvier 2002, et avons travaillé d’arrache-pied pendant deux jours pour rédiger la déclaration des ONG de l’environnement de la Méditerranée qui a, ensuite, été diffusée par de multiples canaux et a pu s’insérer dans le travail préparatoire de Johannesbourg.
Même chose pour la conférence Africités, une conférence qui réunit chaque année des milliers de collectivités locales africaines. Serge se désolait que le thème du développement durable n’était pas assez pris en compte au niveau d’Africité. Là aussi, très rapidement, il prend contact avec El Habib Benessahraoui de l’IEPF et me rappelle pour me dire qu’il avait l’accord de financement pour faire une plaquette Villes durables pour Africité. Il rédige, en un ou deux jours, une magnifique plaquette que nous avons imprimée et distribuée à Cotonou pour Africité.
Il avait donc cette réactivité, cette capacité d’utiliser son réseau et son relationnel au profit des causes qu’il défendait, qui étaient également nos causes, ce qui nous rapprochait beaucoup de lui. Je retiens également de lui son côté pédagogue, il savait parler du développement durable et nous expliquer ce concept très compliqué, polymorphe, avec des mots simples, en employant des analogies, en l’illustrant de manière intelligente. Très peu de gens comprennent ce que signifie vraiment « développement durable ». Quand on fait des sondages en France, on s’aperçoit que 60 ou 70 % le lient uniquement à l’environnement, et Serge pensait qu’il fallait réellement prendre son temps, user de pédagogie pour expliquer ce concept. Il l’expliquait également dans toute sa complexité, avec l’ensemble des principes qui accompagnent les piliers du développement durable. Il le faisait de la même manière quand il s’adressait à un public instruit que lorsqu’il s’adressait à un public plus simple, il pensait qu’il fallait semer partout des graines qui pouvaient, par la suite, éclore et constituer cette masse critique qui allait permettre au développement durable de pouvoir devenir une réalité. Je me rappelle de lui l’expliquant aussi bien à Lille, dans un séminaire de la francophonie sur les Agendas 21, qu’à Blida en Algérie dans un cadre plus modeste auprès de techniciens de collectivités locales algériennes, avec le même engouement, la même rigueur.
Pour nous, il a été un formateur. Il nous a accompagnés, il a interagi avec nous. Nous l’avons enrichi, mais surtout c’est lui qui nous a amenés à être plus performants, plus incisifs, plus efficaces, à explorer de nouveaux horizons, de nouveaux champs. Serge était une formidable école pour nous. Sur la dimension culturelle du développement durable, par exemple, qui n’est pas très bien comprise ou admise par de nombreuses ONG, Serge m’avait demandé un jour de contribuer à un numéro de Liaison environnement francophone (LEF). J’avais décliné le sujet parce que je n’avais pas suffisamment d’idées sur la question. Il était assez déçu, moi également. Cependant, cela m’a amené par la suite à me questionner, en permanence, sur le lien entre développement durable et culture, jusqu’à m’amener à reconnaître la centralité de cette question sur le développement durable.
Pour terminer sur l’homme, Serge avait un trait caractéristique des Méditerranéens, c’est-à-dire qu’il avait cette attitude qui consiste de toujours prendre la vie du bon côté, à prendre plaisir dans ce que l’on entreprend, et à relativiser les problèmes et les difficultés, et à ne pas se prendre trop au sérieux. Dans le monde dans lequel nous vivons, cette attitude est fondamentale et mériterait d’être plus répandue.

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