Journée d’hommage à Serge Antoine le 4 octobre 2006
Septembre 1966, il y a quarante ans, acte de naissance des parcs naturels régionaux.
C’est donc en septembre 1966, à Lurs-en-Provence, et durant cinq jours, qu’une centaine de personnes, des sociologues, des architectes, des hommes de théâtre, des conseillers d’État, des ministres, des préfets, des présidents de grandes associations, des techniciens, des fonctionnaires se retrouvent à l’initiative de la Datar. Ils se retrouvent avec des personnalités des pays voisins pour réfléchir à une formule différente de celle des parcs nationaux. Ces derniers ont été créés quelques années auparavant sur de vastes espaces pratiquement sans habitants. Il s’agissait de réfléchir à une formule nouvelle qui fait appel à l’initiative des collectivités locales, en particulier régionales.
Parmi les pays voisins, l’Allemagne avait, à l’époque, dix ans d’avance sur la France, avec des parcs dont la direction était décidée au niveau des Länder, et dont les objectifs correspondaient à ce que la Datar recherchait en priorité, à savoir définir des lieux de ressourcement pour les citadins.
Ce colloque était préparé depuis plus d’un an par Henri Beaugé et surtout par Serge Antoine. Il était alors conseiller référendaire à la Cour des comptes, chargé de la mission à la Datar auprès d’Olivier Guichard. Déjà à l’époque, il était visionnaire, et n’avait de cesse de dénoncer les risques que nos comportements, si nous ne les modifions pas, faisaient courir à la planète. Il avait une réelle capacité à mettre en relation les personnalités de tous horizons pour leur permettre de confronter leurs idées. C’est la raison pour laquelle Lurs a été une réussite.
Quelques années après, il disait :
C’était une époque miraculeuse dont je pleure tous les jours la disparition, une époque sans cloisons, ni horizontales ni verticales.
Des réflexions de ce colloque sont sortis quelques éléments de doctrines, exposés dans le décret du 1er mars 1967 qui est l’acte de naissance effectif des parcs naturels régionaux. « Décret gazeux », disait le Conseil d’État, mais signé néanmoins par De Gaulle dans sa DS, sur le parcours Élysée-Orly. Trois idées clés se sont dégagées de ce colloque, je les cite parce qu’elles ne sont plus les mêmes aujourd’hui pour les parcs régionaux :
– équiper les grandes métropoles d’équilibre en aires naturelles de détente pour les citoyens ;
– protéger la nature et les sites sur des ensembles suffisamment vastes ;
– faire face à la revitalisation des espaces ruraux en voie de désertification.
Au fond, ce colloque a jeté les prémices du développement rural. On ne comprendrait pas les parcs naturels régionaux sans Lurs, et on ne comprendrait pas Lurs sans les individualités qui y ont participé.
Les premiers parcs créés l’ont été, non pas par les initiatives de base, mais par la Datar. Leur nombre s’accroît rapidement en 1969, on en compte déjà vingt en 1977, trente en 1995 et quarante-cinq actuellement en 2006. Ces quarante-cinq parcs couvrent 12 % du territoire français, dans soixante-huit départements métropolitains et deux départements d’outre-mer. Ils sont très variés, de 15 000 à 300 000 hectares, et de 15 000 à 250 000 habitants, et concernent plus de trois millions d’habitants. Par ailleurs, de nouvelles demandes sont actuellement en discussion.
Depuis 1967, les parcs naturels régionaux ont bien évolué. Ne peuvent actuellement être parcs naturels que des territoires au patrimoine naturel de grande qualité qui s’organisent autour d’un projet concerté de développement durable, fondé sur la protection et la valorisation de ce patrimoine naturel, culturel et humain. Plus en détail, cela veut dire :
– valoriser le patrimoine naturel, culturel, humain ;
– favoriser un développement économique respectueux de l’environnement ;
– montrer qu’écologie et économie ne s’opposent pas mais sont complémentaires ;
– faire participer les élus et la population ;
– expérimenter et évaluer.
Au fond, c’est un projet de développement durable et un exemple de démocratie participative.
Les parcs naturels ne sont pas, comme l’étaient les premiers, fondés par l’État ou par l’administration. Ce sont des élus de base, des gens sensibles aux objectifs des parcs qui se réunissent, qui expriment leurs préoccupations, généralement avec des organisations professionnelles et des associations locales. Ensemble, ils fixent des objectifs consignés dans un document : la charte. C’est un rapport écrit qui matérialise les grands principes d’intervention, les équipements à créer, les actions à soutenir, à innover, à expérimenter. Toute commune, se trouvant dans le périmètre projeté, est libre d’accepter ou non cette charte, est libre d’adhérer ou non au syndicat à constituer. C’est le ministère de l’Environnement qui décernera le label pour douze ans, après avis de la région, du Conseil national de la protection de la nature et de la Fédération des parcs. Après douze ans, on recommence, on réunit toutes les personnes pour préparer une nouvelle charte. Je préside le parc du Ballon des Vosges, et nous avons organisé 300 réunions avec tous les maires pour essayer de définir une charte et tous les douze ans, on recommence. Aucun autre organisme, en France, ne se remet ainsi régulièrement en cause pour proposer, ensuite, un nouveau projet. Les décisions sont prises par un Conseil syndical qui est composé d’élus, et c’est évidemment ce conseil qui choisit le président qui sera le patron du parc.
Que fait un parc ? La mise en œuvre porte surtout sur l’agriculture, les problèmes d’environnement, de pédagogie d’environnement, de tourisme préservant la nature, de culture, d’activités économiques. Pour se faire, un parc emploie entre trente et soixante personnes. J’ajoute que les parcs gèrent souvent des réserves naturelles, c’est-à-dire des territoires qui ont un grand intérêt écologique et sont strictement protégés.
Nos parcs diffèrent de la plupart des parcs régionaux européens, et je ne vais prendre que deux exemples. En Allemagne, les parcs ne s’occupent que d’environnement, un seul s’occupe aussi d’économie, et n’emploient que de trois à cinq personnes. Et ce sont finalement les Länder qui décident de tout et qui nomment les présidents. En Espagne, chaque région donne son propre label et la qualité des parcs est extrêmement variable parce que les critères de chaque région varient eux aussi. La plupart des pays européens, et je les connais pratiquement tous, aimerait avoir notre mode de gestion, en raison à la fois de la démocratie de base et des lignes directrices nationales qui donnent une certaine unité à l’action des parcs, et parce qu’il est garant de qualité.
C’est au niveau international que des parcs français se développent aussi. Des parcs ont été créés au Brésil, au Chili, en Côte-d’Ivoire, au Bénin, au Maroc et dans bien d’autres pays encore. La Fédération des parcs qui est à l’origine de ces créations a un soutien appuyé du ministère des Affaires étrangères qui y voit un ferment de démocratie.
Serge Antoine serait content, sa semence a bien germé. Les parcs sont de plus en plus nombreux, les parcs étrangers nous envient, des parcs à la française se créent dans le monde. Et quelques jours avant sa mort, il nous adressait le message suivant :
Il y a dans les parcs naturels régionaux un devenir fortement vivant. Ne vous sclérosez pas, restez pragmatiques, continuez à innover et à occuper le territoire !