La qualité de la vie
Source : Reflets essec, n°122, 3 pages(39206), 1975
Une interview de M. Serge ANTOINE
« Monsieur Serge Antoine est au Ministère de la Qualité de la Vie le Secrétaire Général du Haut Comité de l’Environnement ». Par sa connaissance particulièrement approfondie des problèmes de l’environnement et la perspective très large qu’il leur donne, il est considéré en quelque sorte comme un « doctrinaire » de la Qualité de la Vie.
Robert Crouzet et Jean Daniel Colom sont allés l’interroger …
Nous tenons à dire combien les concours que nous avons trouvés auprès du Ministère de la Qualité de la Vie nous ont été précieux pour la réalisation de ce « Reflets ». Nous tenons particulièrement à remercier Monsieur Alain Terrail qui nous a assuré la coopération des différents départements du ministère, Monsieur Serge Antoine qui a bien voulu répondre à nos questions avec le talent que nos lecteurs apprécieront. Monsieur Seguin du Cabinet du Ministre et Monsieur le Ministre lui-même qui a bien voulu préfacer ce numéro ce dont nous le remercions très vivement.
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Q. – Et d’abord qu’est-ce que la Qualité de la Vie?
R. – y a-t-il vraiment une réponse objective ? En tout cas, le Ministère qui a ce nom souhaite garder à cette qualité de vie de chacun sa pleine subjectivité. Le Ministère n’est pas un ministère du bonheur et ne veut pas l’être.
Tout ce que peuvent faire les pouvoirs publics, c’est de jouer sur le « cadre de vie », c’est-à-dire sur les conditions dans lesquelles une qualité de vie meilleure peut éclore ou s’améliorer en fonction des besoins et, mieux, des aspirations des habitants. Mais même pour le cadre de vie on doit faire la part d’une grande subjectivité. Les habitants ne peuvent se contenter de dire: « faites-nous un bon urbanisme, un bon habitat et nous ferons le reste ». Dans les faits, même le cadre de vie doit être réalisé avec l’habitant en fonction de ses besoins et de son psychisme.
La notion de « qualité de vie », comme toute la sémantique de ce type, est d’ailleurs née de la société comme un moyen pour elle de s’exprimer; comme l’environnement, ou l’aménagement du territoire. Nos sociétés secrètent des mots pour lutter contre les contraintes de plus en plus « désappropriantes » de la vie individuelle ou collective. Puis les mots s’institutionnalisent. Comme l’aménagement du territoire qui n’était qu’une idée lorsque dans les années 45, Jean-François Gravier éditait son livre « Paris et le désert français ». L’environnement, quant à lui, est un mot qui nous vient des Etats-Unis mais qui résulte d’une crise de croissance de la société américaine, de la société japonaise aussi. Puis l’Europe dans les années 70 et, grâce à la conférence mondiale de Stockholm en 1972, le Tiers Monde ont adopté ce mot pour formuler une part de leurs aspirations.
La notion de qualité de vie a été largement diffusée dans les instances internationales dès 1972 et elle s’est manifestée en France en 1973, dès avant la guerre du Kippour. La crise du pétrole ne l’a pas choquée. Que traduit-elle? Une répulsion subconsciente à la tendance mécaniste d’un progrès linéaire. Le rejet d’une croissance pipée par le PNB (produit national brut) définie comme un amas de biens. Et surtout une aspiration que certains ont qualifiée de romantique mais qui est, au fond, dans « l’économie des profondeurs », (comme l’a appelé Drouin) un élément de vitalité des sociétés. De sociétés qui sont à la recherche de quelque chose qui n’est pas trop défini. Faut-il définir d’ailleurs cet indéfinissable? Je pense qu’il est utile d’analyser l’aspiration, mais sans la bloquer ou la cadastrer. La Qualité de la Vie n’a pas à être définie d’un seul coup; elle peut l’être chemin faisant « en marchant ». Il est bon, par exemple, que l’on interroge les habitants sur la ville, sur les vacances, sur la sécurité pour voir ce qu’ils veulent réellement ou au moins disent ce qu’ils veulent. Et au-delà des sondages très superficiels où devrait promouvoir plus d’expérimentations en vraie grandeur. Faire naître une société plus expérimentale. C’est ainsi qu’on aura petit à petit, par touche, des éléments vécus de qualité de vie. Il est évident que l’analyse ne doit pas être fixiste ; je ne crois pas à la stabilité de la Qualité de la Vie; elle est évolution, conscience du devenir. La politique de la Qualité de la Vie doit s’entendre comme un processus d’évolution dans une « subjectivation » de la société par rapport à son passé et surtout par rapport à son devenir; et cela aussi bien en termes de vie individuelle qu’en termes de vie collective (les deux étant importants). Je crois que l’aspiration à la Qualité de la Vie est, bien sûr, individuelle; elle doit rester personnelle. Mais il y a la dimension de la vie collective qui, elle aussi, demande à être plus qualitative. Les pouvoirs peuvent, en tout cas, beaucoup pour la favoriser.
Q. – Le Ministère de la Qualité de la Vie existe depuis maintenant 16 mois. Il a pris la succession du ministère de l’environnement; pour le français moyen, l’homme de la rue, quels changements ces ministères ont-ils pu apporter ou alors dans quel délai pouvez-vous prétendre changer la vie?
R. – Rien, en ce domaine, ne se fait en un jour. On a parlé de « guerre de 30 ans » pour les batailles de l’environnement: il en est de même pour la Qualité de la Vie. On ne transforme pas la vie avec un bâton magique, il faut beaucoup de temps pour retransformer une ville (non pas son visage, mais sa réponse à la vie quotidienne). Cela veut dire, comme le disait Liautey, qu’il faut s’en occuper tout de suite. A partir du moment où quelque chose demande 30 ans, cela veut dire qu’il ne faut pas attendre 30 ans pour s’en occuper. Je suis fondamentalement contre une vision du futurologue qui consiste uniquement à définir ce que sera l’avenir dans 30 ans. L’avenir, c’est ce qui se passe entre maintenant et 30 ans: il sera notamment fonction des actions qui sont menées pour transformer cet avenir, si possible le plus rapidement. On ne vit pas que de « surlendemains », on vit d’aujourd’hui et de l’obstination des actions de Qualité de Vie qu’il faudra mener pendant 30 ans.
Voilà la réponse à votre deuxième question. Quant à la première, celle des actions déjà engagées par les pouvoirs publics en France depuis 3 ans, je vous dirai simplement qu’en 1975, six textes de loi ont été présentés par le Ministère de la Qualité de la Vie qui a à peine un an d’âge: c’est remarquable. Surtout si l’on sait que, parmi eux, il y a, par exemple, la loi sur les déchets qui sera aussi essentielle que la loi française sur l’eau, votée à l’unanimité en 1964 par le Parlement.
Or, précisément revenons-en au délai de réponse; les agences de bassin, le système de lutte contre la pollution de l’eau qui est aujourd’hui en place et en plein fonctionnement auront mis 10 ans à exister. Les actions visibles, c’est 10 ans après seulement. Les pêcheurs qui savent qu’un certain nombre de rivières se reconquièrent, commencent maintenant seulement à reprendre espoir.
C’est le meilleur test que celui du bout de la chaîne, mais la reconquête est seulement enclenchée. Cela signifie qu’il y a encore à redoubler d’efforts. Et puis, nous avons des batailles qui sont devant nous: la bataille des océans est à peine entamée, et si nous ne la gagnons pas nous perdrons le Monde; la bataille de la Méditerranée est encore à décider, elle est loin d’être purement française. Pour ce qui est de notre littoral français, nous n’aurons probablement de résultat sérieux, au niveau de l’assainissement, que dans une dizaine d’années. L’action d’un ministère ne se traduit donc pas immédiatement au bout de la chaîne. De plus, trop de français, très centralistes de nature, pensent que toutes leurs affaires se traitent à Paris dans l’administration centrale. La partie visible de la Qualité de la Vie, ce sont les collectivités locales qui s’y engagent. Et croyez-moi, le progrès est très sensible depuis 10 ans. Les maires sont les vrais fantassins de l’environnement, avec les responsables d’associations.
Encore un mot sur l’action du Ministère; dans le travail d’un ministère, outre le travail législatif, il y a des actions directes: elles sont rares parce que ce n’est pas le métier de l’administration centrale; mais il y a aussi ce qui peut être fait pour changer les « règles du jeu ». Par exemple, au travers des concertations avec des collectivités locales ou avec des responsables du secteur économique.
Avec des collectivités locales, ce qui a été le plus sympathique dans l’action de plusieurs Ministères des dernières années, ça a été les accords passés avec des mairies, des contrats de « villes moyennes » dans lesquelles le qualitatif est introduit dans les relations de financement « contractuelles entre Etat et collectivités ». On a pu ainsi financer des réaménagements de places, des conservations de monuments dans le site; pas simplement des opérations ponctuelles d’équipements mais bien un ensemble intégré dans lequel le piéton, le cycliste, retrouvent, par exemple, des cheminements perdus. Et cela par des opérations globalisées; alors que, jusqu’à présent, les systèmes de subventions de l’Etat sont fractionnés, hachés. Autre exemple très important de concertation, la concertation entre l’Etat et les branches industrielles. Les « accords de branche » qui ont été passés entre l’Etat et un certain nombre de branches industrielles pour la dépollution, non seulement d’industries à venir mais pour la réhabilitation d’un certain nombre de situations difficiles, sont très intéressants; le dernier exemple en date, – et c’est nouveau – concerne, non une branche proprement dite, mais un groupe (Pechiney-Ugine Kulhman), les accords de branche ou de groupe sont librement consentis entre deux parties, pour une période de temps de quelques années ce qui permet de remédier aux choses par des virages qui sont économiquement tolérables et financièrement possibles.
« Le qualitatif doit être l’affirmation d’une volonté nationale, d’une volonté culturelle, d’une volonté régionale … »
Q. – Y a-t-il selon vous incompatibilité entre une action en faveur de la Qualité de la Vie et la croissance économique?
R. Non, il n’y a pas incompatibilité, par essence, entre la croissance et la qualité, entre la quantité et la qualité; il y a d’abord des situations différenciées. Il peut y avoir par exemple des stratégies géographiques différentes; il est certain que, la croissance démographique n’a aucune raison d’être uniforme sur l’ensemble d’un pays et cela n’est pas un déshonneur pour certaines régions ou pour certaines communes d’avoir une population stable et même décroissante. Il faut regarder en face sans tristesse des stabilités ou même des décroissances. Il n’y a pas de vision mondialiste de la croissance de population; il n’y a pas une stratégie unique de la population en France, il y a des stratégies qui doivent être très intimement situées dans leur contexte géographique, économique et sociétal; stratégies donc différenciées.
Non, il n’y a pas incompatibilité, par essence entre la croissance et la qualité, entre la quantité et la qualité; mais il y a des problèmes. La croissance économique, même définie par ce très fruste et très sommaire PNB, est intéressante pour l’amélioration de la Qualité de la Vie. Les deux tiers du monde ne démentiront pas ces propos et il faut être riche et nanti pour être malthusien a priori….pour les autres. Mais ce qui compte, ce sont les conditions de la croissance. Là, il peut y avoir conflit entre rythme et qualité, entre quantité et qualité. La croissance à tout prix, la croissance « sauvage » entraîne un train de « biens » (les « goods ») mais aussi de maux (les « bads »). Le bilan peut être même négatif si l’on veut bien tenir une vraie comptabilité de bilan où apparaisse le patrimoine. Et ne pas se contenter d’un compte d’exploitation.
Je ne passerai pas en revue ici toutes les conditions pour que se manifeste une bonne croissance. Mais, j’insisterai surtout sur le souci qu’elle doit avoir de la réponse aux fonctions sociales. La croissance n’a pas pour finalité de produire des objets. Nous avons souvent tendance à donner trop d’emphase aux phénomènes production d’objets avec les risques que cela peut comporter sur le plan de l’encombrement ou des nuisances.
La voiture automobile individuelle par exemple a sa place, une place assez fondamentale dans le système urbain et même dans un système social (dans lequel la voiture est assez souvent synonyme de liberté) ; mais il ne faut pas identifier tout de même l’objet avec la réponse à la fonction; par exemple, la voiture individuelle et le transport. Ce qu’il faut, c’est essayer de dégager un peu les fonctions essentielles, les besoins essentiels, les aspirations essentielles et d’y répondre. Alors, on retrouvera des voies de progrès qui ne sont pas toujours celles de la fabrication d’objets.
On pourrait ainsi revoir aussi la part que nos sociétés donnent à l’entretien qui a été éclipsée par tout ce phénomène de production. La notion d’entretien a été court-circuitée par une société pressée qui a eu tendance à faire des objets de plus en plus éphémères et souvent à ne pas mesurer les vertus de la durabilité. Certes, il ne faut pas généraliser à tous les objets bien sûr, le souci de la durée de vie, mais il y a là des économies possibles. Il peut être répondu à des objectifs de création d’emploi par des mesures autres que celles qui portent strictement sur le stade terminal de la production; encore faut-il là (et c’est difficile) avoir l’imagination et le temps pour mettre en route de nouveaux mécanismes de société; ce qui n’est pas facile du jour au lendemain; les auteurs du rapport Gruson sur le gaspillage se sont bien rendus compte qu’à partir des idées lancées il fallait un temps long de réponse. Nous sommes en train, en ce moment même, de faire le bilan des mesures antigaspillage prises en un an en France; et vu sur un laps de temps court. Il est déjà assez satisfaisant qu’un bon tiers des idées sont, à l’heure actuelle, engagées. Cela montre qu’il y a encore un effort assez important à faire. C’est, encore une fois, une œuvre de longue haleine que celle de raccorder convenablement les deux dimensions de la Qualité de la Vie et de la croissance. Il n’y a pas d’automatisme. S’il y a volonté de les faire se rejoindre, on peut y arriver. En tout cas; c’est important, non seulement-pour nous français, nous européens, mais aussi pour les pays en voie de développement; il est évident que, pour eux, il y a une insolence incroyable à dire qu’il y a incompatibilité entre croissance et Qualité de Vie.
Q. En fait, pour vous la Qualité de la Vie est-elle davantage l’aboutissement d’un nouveau comportement que le résultat d’un confort matériel lui-même conséquence d’un progrès économique?
R. – La Qualité de la Vie est effectivement plus faite de la satisfaction d’un certain nombre de besoins, que l’obtention de la matérialité d’objets. Encore, faut-il faire très attention à rappeler que toute une partie de la population mondiale et, dans un pays donné, tout une partie de la population, n’est pas en état d’avoir les objets élémentaires qui lui permettent de passer à un cran de satisfaction acceptable. Il faut donc, quant on parle de qualitatif, ne pas oublier qu’il y a des gens qui ont besoin de quantitatif.
Ceci étant rappelé, je pense effectivement qu’une meilleure satisfaction des besoins et des fonctions, un meilleur rapprochement entre la vie économique et les données qualitatives de l’environnement passent par un changement dans les comportements. La désacralisation de l’objet, pour y revenir encore, est l’une des clefs qui peut permettre d’insister sur la durée de vie des produits, sur l’entretien, sur le fait que l’emploi, le plein emploi, n’est pas forcément assuré par des éléments strictement industriels. Une nouvelle stratégie de l’emploi peut naître à partir de revendications de Qualité de Vie. Bien entendu, il s’agit pas là, non plus, d’un virage à angle droit de la société; au nom du qualitatif, il ne faut pas, pour autant, tourner le dos à l’industriel. La France vient seulement de commencer son industrialisation: il ne faudrait pas l’oublier.
Q. Cette redéfinition de la croissance vous a-t-elle attiré quelques ennemis ?
R. – Il y a évidemment, dans une société, un certain nombre de gens qui vivent d’une croissance sauvage; ceci dit, ils ne sont pas très nombreux. Et puis, il y a les opposants au changement. Mais ils deviennent encore moins nombreux, ces responsables du quantitatif, qui n’admettent pas une révision de la croissance, si on leur dit que cette révision de la croissance doit se faire suffisamment à l’avance et dans un contexte multinational convenable. Il est évident que si on prend des virages à angle droit, comme Charlot, et que l’on demande à l’industrie X ou Y de se faire harakiri du jour au lendemain, il y ait des réactions; si on lui demande, par contre, de revoir, dans un laps de temps qui peut être de l’ordre de 10 ans, une nouvelle stratégie de sa production, et si tout cela se fait dans un contexte international de pays européens, à ce moment là, la plupart de ceux qui sont « opposants » à des conversions dans la croissance seront tout à fait conduits à être les premiers à jouer de cette nouvelle croissance; donc, là aussi, il n’y a pas d’ennemis a priori. Mais selon l’accrochage que l’on peut faire entre croissance et environnement, dans la manière dont on le mettra en œuvre, on peut avoir peu d’ennemis ou beaucoup d’ennemis.
En poussant au bon moment les véhicules électriques, par exemple, ou en aidant l’énergie solaire à se développer, le Ministère de la Qualité de la Vie n’a aucune raison de se faire des ennemis.
Q. Le Ministère de la Qualité de la Vie en France est quelque chose de nouveau, c’est également quelque chose de nouveau par rapport à l’étranger. Vous faites un peu figure de pionnier?
R. – Il est certain qu’au plan de la structure ministérielle, le Ministère de la Qualité de la Vie français est une structure rare et enviée dans le monde; elle est regardée de près comme l’exemple d’une « structure ministérielle à objectif » alors que la plupart des Ministères, dans les différents pays du monde, ont des « domaines » d’action et sont rarement créés en fonction d’objectifs comme l’est la Qualité de la Vie.
Cela étant, tous les pays commencent, à leur manière, à développer une politique consciente de la Qualité de la Vie. Il est impossible de passer ici en revue, bien entendu, les différents cas et de voir, dans ces pays, ce qui se fait de bien (même si on sait qu’on peut difficilement ensuite le comparer à ce qui peut se passer chez nous, et à fortiori, le transposer). Pour prendre un pays proche, l’Angleterre, il est certain que nous avons à apprendre des anglais un certain nombre de réalisations: la place des enfants dans la ville, les équipements scolaires, l’équilibre des rapports entre la vie urbaine et rurale. Je suis par contre plus interrogatif sur les villes nouvelles anglaises.
De toutes façons, le qualitatif doit être l’affirmation d’une volonté nationale, d’une volonté culturelle, d’une volonté régionale, délibérément mieux située dans le contexte de la culture et de la géographie d’un pays; elle ne peut pas être stéréotypée; en tout cas, je crois que la revendication à la Qualité de la Vie qui se discourt dans les organisations internationales ne s’incarnera valablement que si elle est assumée très profondément par les différents pays, et ce au cœur d’eux mêmes et de leurs régions. Je crois d’ailleurs que c’est une des caractéristiques à l’heure actuelle les plus intéressantes de la sociologie tout court, et de la sociologie politique en particulier des pays développés comme des pays en voie de développement, que cette aspiration à la Qualité de la Vie se traduise comme une expression d’identité et d’existence, d’affirmation d’être, d’affirmation de destin librement choisi par opposition aux tendances mécanistes, à l’extrapolation des modèles occidentaux ou d’un modèle généralisable à travers le monde entier. Cette aspiration à la Qualité de la Vie, donc doit pour être valable, être refaite par chacun et être très profondément personnalisée.
Q. – Et pour nos enfants, la génération qui vient, quelle Qualité de Vie leur souhaitez-vous ?
R. – Ce que je viens de vous dire vous donne la clef de ma réponse; je ne pense pas du tout que ce soit à nous de définir ce que les enfants voudront; ils devront eux-mêmes se faire leur propre définition de qualité de société, en fonction du moment où ils vivront; il ne faut pas qu’ils puissent nous dire, comme Musset l’a dit en 1834: « Nos villes ne sont que des restes, nous ne vivons que des décombres des sociétés passées ».
Mais, cela ne vaut pas dire, bien au contraire, que nous n’ayons pas des responsabilités à l’égard du monde de demain. La vraie solidarité de génération que nous leur devons, c’est de leur léguer un milieu de vie le plus intact et le plus vivant possible: un océan, de l’air pur, de l’eau, des milieux naturels. Ce qu’ils en feront est leur affaire à leur tour. Et après tout, s’ils veulent couvrir les Alpes et les Pyrénées de maisons de verre comme nous la Côte d’Azur avec des villas … L’important, l’essentiel c’est de ne pas leur léguer l’irréversible et de leur laisser la liberté de choisir entre le maximum de futurs possibles. Ne pavons pas leur avenir de notre béton, pas plus que de nos bonnes intentions. Ils doivent pouvoir se faire du « sur mesure » et ne pas enfiler, contraints, notre prêt à porter …