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L’éducation au développement durable

source : Comité 21

Auteur : Serge Antoine

 

                                                                                                             Serge ANTOINE[1]

Le développement durable ne se décrète pas. Ce n’est pas non plus un label à coller sur un bon produit. Sa définition [2] est  très ouverte ; elle se fait en marchant ; sa lisibilité est un  peu  celle de « L’Homme invisible » de Wells où le corps ne se perçoit qu’une fois revêtu de bandelettes. C’est sa mise en œuvre qui lui donne sa force.

Le développement durable est d’abord une démarche, un changement volontaire dans la culture habituelle du développement. Il n’y a pas, pour lui, de modèle tout fait. Il se taille « sur mesure ». Au plus, les pouvoirs publics peuvent-ils arroser les fleurs ou, mieux, lorsqu’ils sont intelligents, faire germer les graines car il  s’agit d’un fruit de la société civile où entreprises, associations, collectivités, professions, consommateurs se donnent la main.

C’est dire que l’éducation au développement durable est au cœur de sa  propagation et même de son mûrissement.

A la condition d’abord de ne pas en faire un objet de récitation. A la condition de multiplier les travaux pratiques. A la condition aussi – et c’est ce que nous examinerons ici – de bien identifier certains parcours qui, souvent, sont à l’inverse de ceux empruntés par l’éducation classique.

Mais au paravant, convenons que l’une des difficultés vient de ce que le développement durable est  souvent porté par ceux qui militent – ou ont milité – pour l’environnement.  Ce n’est, bien entendu, pas une tare mais  c’est sans doute, pour l’éducation, un handicap. L’environnement est, certes, une des composantes fortes du développement durable, et c’est une belle et utile porte d’entrée. Il ne s’agit donc pas de tourner la page. Mais le vrai défi est de recomposer le livre. Nous l’avons déjà dit au lendemain de la Conférence mondiale de Rio :[3] Ce serait une erreur ou une facilité que de prolonger l’énorme acquis de la pédagogie de de l’environnement par le simple ajout d’un volet social ou d’un volet économique.

 

Voyons, quelles sont donc les vertèbres spécifiques de l’éducation du développement durable ?

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le sens du temps

Parce qu’il est d’abord relais de génération, le développement durable doit s’appuyer sur une pédagogie du temps, du temps long, du temps-contenu. C’est une condition indispensable, mais c’est aussi, chacun le sait, l’une des grandes difficultés pour les jeunes que de saisir non la longueur mais la densité du temps. Ce n’est pas un sens que les jeunes cultivent aisément ; ils découvrent l’espace avec plus de facilité,. Mais la durée n’est pas leur instinct.

 

On peut avec les jeunes pousser le curseur de la prospective et les faire parler de 2050,  ou de 2100 puisque, dit-on, c’est leur avenir et non plus le nôtre. Mais la prospective, quand elle est entrevue, est, chez eux, de l’ordre de l’anticipation synchronique et de la futurologie. Que va-t-il se passer en 2050, en 2100 ? Or le vrai support du raisonnement pour le développement durable est  diachronique : l’évolution par effets d’entraînement en  est un ressort. Que va-t-il se passer en chaîne si je modifie telle donnée ? Combien de temps après ? Quel histeresis ? Le jeune, quand il évoque l’avenir, le fait comme un saut.

Plus difficile encore est, pour lui, de relier le futur et le passé ; la rétrospective n’est pas à sa portée et les références au monde, même s’il change de plus en plus vite  ne sont pas dans l’univers familier qui peut faire appel à sa perception..

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Le risque

Deuxième vecteur, deuxième difficulté : l’indispensable apprentissage  du risque. Dans un monde sécuritaire qui aspire de plus en plus à un modèle de « risque zéro », la pédagogie devient de plus en plus difficile. Des guerres sans pertes humaines , des préventions impossibles de pollution zéro, des accidents à éviter, des épidémies conjurées par la vaccination. La réintroduction du risque dans l’éducation ne peut se faire que si l’on donne plus de poids aux confrontations, aux contradictions, aux conflits et qu’on rejette l’angélisme d’un monde meilleur. Il n’y a pas d’énergie douce : elles sont toutes polluantes, d’une manière ou d’une autre. Il faut éviter d’enseigner le monde à la manière d’un bonbel pasteurisé. C’est pourtant le premier fromage qu’aiment les enfants.

 

Certes il ne faut pas tout darwiniser par plaisir mais il n’est pas simple de faire comprendre qu’il faut, hélas, choisir entre les risques. L’avènement mal digéré du « principe de précaution » n’est pas un bon auxiliaire alors qu’on devrait davantage cultiver « le principe de responsabilité » dont la Conférence de Rio en 1992 a pourtant souligné la vertu, se substituant au « principe de souveraineté » encore très présent, vingt ans avant, lors de la Conférence de Stockholm sur l’environnement.

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L’apprentissage de la vie

Faut-il aussi rappeler que la place faite au vivant et à l’enseignement de la vie est un vecteur essentiel de l’éducation au développement durable. Avec ce qu’elle comporte de germiné, d’inattendu et, pour une part, de non programmé.  La place doit être faite à l’aléatoire et à la riche déperdition des graines.

« Développement viable » disent les Canadiens plutôt que « développement durable ». Développement de la vie porté par un humus à fertiliser, une fertilisation qui est bien la clef de la « soutenabilité ». « Sustainable » est meilleur que « durable ». D’ailleurs que n’écoute-t-on, avant d’adopter sans  broncher l’anglicisme des conférences internationales, le bon vieux français si prémonitoire : l’édit royal de Brunoy de 1347 qui recommandait « qu’on limite l’exploitation des forêts à ce qu’elles puissent perpétuellement se soutenir en bon état ».

 

L’enseignement d’aujourd’hui fait trop peu de place à la vie. C’est pourtant une des conditions d’une vraie culture du développement durable.

 

Le patrimoine : une dimension-clef 

 

Le patrimoine est, bien sûr, lui aussi, au cœur de la notion de développement durable. Or  lui, non plus, n’est pas dans les réflexes habituels.  Il est trop assimilé à l’avoir possédé par l’aïeul quand il s’agit de transmission aux générations futures.

On est ici face à un véritable manque dans l’éventail des instruments dont nos sociétés se sont dotées pour  percevoir leur logique. L’un de ces instruments est la comptabilité patrimoniale. Or elle est encore embryonnaire [4]. Et pourtant c’est elle seule qui peut chiffrer  le qualitatif à peine effleuré à grands traits par les comptes  actuels. La comptabilité patrimoniale est attendue comme le messie pour dépasser la comptabilité  deniers qui, au XVIIIe siècle, s’est acharnée à affiner l’immédiateté des comptes d’exploitation.. Or elle ne nous nous permet pas d’appréhender toutes les dimensions du capital naturel et humain à transmettre. La comptabilité patrimoniale gagnerait à être apprise à l’école pour permettre, un jour, à celle-ci de pousser convenablement dans la société trop adulte.

 

L’approche patrimoniale apporte aux générations présentes la perception du renouvelable et du non renouvelable, de plus en plus essentielle dans la gestion des ressources, la mise en valeur des gisements que peuvent valoriser des politiques de maîtrise ou de recyclage. Elle fait comprendre aussi que l’attention portée à l’équipement ou à l’investissement doit se doubler par une plus grande attention au renouvellement, à l’entretien et à la gestion tout court. Elle peut permettre d’identifier les équipements inutiles ou les suréquipements dans des sociétés trop enclines à chercher, par l’artefact nouveau, des réponses aux problèmes.

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La protection et le changement.

Parce qu’il s’agit de transmettre un patrimoine (intact ?) aux générations futures, le développement en plus, qualifié de « durable », apparaît sous un jour à priori conservationniste que renforce encore le poids du souci de la protection de l’environnement. Ce serait une grave erreur que d’accréditer l’idée que le développement durable est  « protecteur ». Bien sûr, il se doit de souscrire à la conservation au sens intelligent du terme lorsqu’en particulier, l’irréversible est en jeu. Mais il doit aussi faire appel à l’innovation, aux modèles alternatifs, aux nouvelles technologies, au changement. N’ayons pas peur de le dire, le développement durable est  changement. La pédagogie doit insister sur cette dimension, plutôt que de décliner – ce qui est plus facile à expliquer – la protection ; elle doit faire appel à des décisions nouvelles, des options à risques, des références d’anticipation résolument tournées vers l’avenir.

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Le systémique

Une autre dimension tout à fait indispensable à une bonne éducation du développement durable est la vertu du « systémique ». Or et elle est très exceptionnelle dans l’éducation, en tout cas en France, où l’on caresse l’agrégation mais pas de la manière où on doit l’entendre ici.

Le développement durable est – chacun finit par le savoir- d’une convenable lecture élargie à l’économie, au social, à l’environnemental. Le premier effort consiste non à l’admettre mais à aller plus loin dans le combinatoire au delà d’une trop facile  une énumération ou d’une juxtaposition. Il n’est pas suffisant de dresser une check-list où l’on trouvera après, heureusement, la problématique de la pauvreté ou celle de l’emploi. Mais il faut effectivement croiser davantage ce qui est plus que des éléments. C’est dire qu’on doit aller bien au-delà du réflexe analyste d’une bonne classification. L’analyse systémique, la globalisation sont des exercices absolument nécessaires et, qui plus est, en prospective et, en tout cas en dynamique évolutive ; le développement durable n’est pas un état, il est un devenir.

A cette fin, la première précaution consiste à choisir les bonnes  frontières  [5] et à rechercher les enchaînements organiques, les interfaces, les filières. Il me plaît à rappeler le réflexe de ceux qui pratiquent l’initiation au bois où l’on se contente d’emmener les élèves en forêt alors qu’il faudrait leur faire comprendre tout le cycle de l’abattage, du sciage, de la transformation, du transport, de la consommation, du recyclage. C’est à dire, la pédagogie de la filière qui  fait saisir des problèmes du développement durable  au  delà de la seule pédagogie de la nature.

 

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Le jeu des acteurs.

Autre point : L’éducation traditionnelle n’a pas l’habitude quand elle parle de mécanismes, de l’embarrasser du jeu des acteurs. Elle présente le plat cuisiné en occultant le cuisinier.

Ce fut un grand mérite du Sommet de Rio en 1992 d’avoir, alors qu’il s’agissait  d’ une Conférence mondiale des nations (unies), mis en plein jour ceux que les anglo-saxons ont appelé les « major groups », qui forment ce que nous qualifions de « société civile ».  Cette reconnaissance n’est pas seulement un signe de politesse : elle est essentielle pour comprendre le rôle des différents partenaires que sont les entreprises, les associations, les collectivités, les consommateurs, les agriculteurs. Tous sont à la table du développement durable mais il faut voir comment les mettre davantage dans la course ; et de penser à ceux qui sont trop souvent hors jeu : c’est le cas, par exemple, des consommateurs et de leurs associations.

 

Sans expliquer le rôle moteur des acteurs comment expliquerait-on l’utilité de la participation ou de la transparence, concepts de choix pour l’éducation ? Ce sont des points de passage obligés du développement durable et non des déclinaisons de la vertu démocratique. La société civile a besoin de la transparence et de la participation pour que le développement durable prenne la route. Les acteurs doivent être au cœur de cette éducation ; il faut bien décrire leur  pouvoir d’intervention dans la préparation des choix dans la formulation du consensus.  Ce consensus etait d’ailleurs bien présent à Rio[6] comme l’essentiel de l’agenda 21 local.

Sans un jeu nourri d’acteurs, le développement durable n’est qu’un masque.

Mais le jeu ne s’arrête pas au consensus. Le « suivi » est souvent plus important que le coup d’envoi. Le développement durable est fait d’une continuité que l’éducation classique a trop tendance à occulter ou à sub-découper. L’après vente est une attention aussi décisive que la vente. On ne l’enseigne pas assez. Il faut donc  tout faire pour identifier le rôle des acteurs  et leur intervention  le plus en amont possible mais  aussi en aval dans un réel « suivi ». C’est dire l’importance des « indicateurs » du développement durable qui ne sont pas là pour la beauté des statistiques, pour l’enregistrement des bilans ou pour la mesure du passé. Ce sont des outils indispensables.

 

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La multicitoyenneté

Un autre « pont aux ânes » de l’apprentissage du développement durable est celui de la compréhension de la pluralité des mondes et de l’échelle à laquelle on travaille. Cette échelle est bien souvent, pour l’environnement, le petit pays de proximité. Et c’est bien ainsi car l’environnement ne se comprend que bien encadré dans l’échelle de perception directe. C’est indispensable à l’âge d’une communication qui met chacun en relation avec les antipodes, d’une manière apatride à en perdre ses racines. Mais il est nécessaire aussi de se référer à d’autres échelles : celle des continents, celle des régions institutionnelles comme l’Europe ou celle plus transversales des « éco régions » comme la Méditerranée, L’enseignement doit faire comprendre cette nécessité des échelles multiples. Mais inconsciemment, et influencé par les institutionnalistes, ne construit-il pas son architecture en forme de structures gigognes ? Un peu à la manière des poupées russes que tout enfant a reçu en cadeau. Cette conception du monde gigogne qui s’emboîte  est pourtant fausse et conduit à beaucoup de démissions. On entend souvent les maires dire : « nous pouvons nous occuper des déchets : c’est à l’ONU de s’occuper des climats ». Non ! C’est pourquoi l’apprentissage de la multi-citoyenneté est vital.Trois fois plutôt qu’une.  Etre en même temps citoyen de son pays et citoyen de la planète. En ce sens, comment par exemple ne pas mesurer l’intérêt de démarches qui mobilisent plusieurs échelles : par exemple, promouvoir des programmes municipaux de lutte contre l’effet de serre[7].

 

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L’éducation des incertitudes

Enfin  – mais  ne faudrait-il pas le mettre en tête de tout enseignement – le développement durable appelle la modestie ; son éducation aussi. Il doit faire apparaître autant d’incertitudes que de certitudes. C’est d’ailleurs la meilleure manière de faire participer les jeunes que celui de bien montrer que les équations ont beaucoup d’inconnues et que les non connaissances doivent prendre leur place dans l’enseignement des connaissances. Si l’on veut mettre en route un vrai développement durable qui est de l’ordre de l’alternatif, ne faut-il pas arrêter de privilégier le tendanciel ?


[1]    Serge Antoine est actuellement membre de la Commission Méditerranée du Développement Durable qui regroupe 20 États et 15 ONG. Il est président d’honneur du Comité 21 (comité français pour l’environnement et le développement durable) qu’il a fondé en 1994. On lui doit aussi d’être à l’origine de la création de la Datar en 1962, du Ministère de l’Environnement en 1971 et d’avoir été l’un des artisans des régions françaises et des parcs naturels régionaux.

[2]    Rappelons que le concept est né sous le vocabulaire « d’éco-développement » lors de la réunion de Founex en 1971 organisée par Maurice Strong à laquelle participaient  des économistes du Nord et du Sud : par exemple Gammani Correa, Mabharb Hack, Samir Amin, Marc Nerfin, Ignacy Sachs, Serge Antoine…  Plutôt que de réciter celle résumée du Rapport de la Commission mondiale présidée par Mme Grunstland en 1987 nous préférons celle-ci : « le développement durable c’est formuler, faire connaître et mettre en œuvre des choix à la fois économiques, sociaux et écologiques assurant, par l’investissement et la gestion,

  • le renouvellement des ressources et des activités,
  • la protection des milieux et du vivant
  • l’épanouissement sociétal et l’équité sociale,

avec la peine participation des habitants et la référence constante aux générations futures à qui le patrimoine est légué »

[3]  Serge Antoine, Martine Barrère, Geneviève Verbrugge, « La planète terre entre nos mains », La Documentation Française, 442 p., Paris 1994..  Voir le chapitre sur l’enseignement p. 158 écrit par la Ligue de l’enseignement : M. Daniel Lebioda.

[4] Elle a été lancée en France lors d’un groupe de travail que j’avais mis en place avec le Ministère des Finances (direction du Trésor) en 1971 puis reprise dans un comité présidé par M. Claude Gruson, Inspecteur Général des Finances et ancien directeur général de l’INSEE.

[5]  prenons une expression de la vie courante : ne pas découper un poulet comme on le fait parfois en tranches avec un « gefluegel sheere ».

[6] Le chapitre 28 sur les agendas 21 locaux tel que publié à Rio et le consensus des populations en tête de l’exercice.

[7] Ce vecteur a été proposé lors d’une réunion en septembre 2001 à Beyrouth à l’initiative d’une association libanaise.

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Le développement durable c’est quoi ?

Source : Comité 21. 2003

Auteur : Serge Antoine

La montée en puissance du concept de « développement durable » aura mis en France quelque 20 à 30 ans pour se faire sentir et à peine une petite risée sur une mer d’indifférence sympathique, douze ans après le Sommet Mondial de Rio sur la planète en 1992 qui a vraiment lancé le mouvement, c’était encore il y a 6 mois.

Mais aujourd’hui, cela galope ; aux 100 villes qui préparent des programmes de « développement durable » s’en ajoutent plus d’une trentaine depuis le début de l’année ! Le Département des Hauts de Seine depuis un an est entré dans le jeu ; l’Essonne vient de le faire avec beaucoup de « communication ». Versailles vient de rejoindre le Comité 21 pour lancer ce que l’on appelle «l’ agenda 21 ». Issy-les-Moulineaux aussi. Et toutes les grosses entreprises ont maintenant leur Direction de développement durable. Les enseignements et les formations se multiplient. Le Gouvernement vient de lancer fin 2002 un programme avec tous les Ministres et de créer un Conseil National du Développement Durable. Mais le français normal est sans doute le moins informé.

Il faut dire que le jargon est très anglo-saxon. On a, à tort, traduit « sustainable development » (qui veut dire un développement auto-porté et qui ne va pas droit dans le mur (social, économique ou écologique) par « développement durable « . Ce qualificatif de « durable » a, certes, une vertu : montrer qu’il y a un relais de générations. (St Exupéry disait : « rendons à nos petits enfants, en bon état, la planète qu’on leur a empruntée »). Mais il y a un défaut : pousser à l’immobilisme et à la simple conservation. Autre mauvaise traduction : « l’agenda 21 » est, en fait, un programme global pour une entreprise, une collectivité, un espace (par exemple un parc régional) suivi d’une série d’actions bien préparées ; le mot d’agenda est inapproprié.

Le « développement durable » n’est pas une science ou un label ; c’est un vrai changement culturel pour tous ceux qui ont une part de responsabilité ; il consiste à regarder plus loin qu’à 5 ou 10 ans (ce que font au mieux quelques rares élus), à relier les thèmes ensemble en logique « systématique » (cela veut dire qu’au lieu de traiter séparément de l’eau, des déchets, de l’emploi, de la pollution de l’air ), à travailler la main dans la main avec la population ; et de ne pas hésiter à examiner ses responsabilités par rapport aux voisins, à l’Europe et même à la planète.

Tout cela dépend de la bonne volonté des collectivités concernées : en tout cas, en France. Car, en Suisse, la loi l’a rendu obligatoire avec des documents précis à remplir, pas ici, en tout cas, pas encore !

La Conférence Mondiale de Johannesburg qui a réuni plus de 180 Chefs d’Etat en août 2002 suivie par de nombreux rendez-vous onusiens où, quoi qu’on en dise, les choses avancent et où des engagements sont pris. Il y en aura, par exemple, sur l’effet de serre qui est l’un des grands problèmes qui contraint à une politique de développement durable (la Terre risque vraiment un réchauffement de la température : 5 à 6 degrés dans le siècle) et à une discipline non seulement pour les pays avancés et riches (les USA dépensent 20 fois plus d’énergie par tête que les Français et 200 fois plus qu’un Africain), mais aussi pour les pays en développement qui ne pourront voir pousser leur économie et leur urbanisation comme nous l’avons fait depuis plus d’un siècle. Contrairement à ce que disent certains maires (« nous nous occupons de l’eau, des déchets, des transports mais l’air et les climats cela relève de l’ONU »), les communes ont chacune, avec leur municipalité et les habitants, une part de responsabilité au regard du monde et donc de chacun d’entre nous ; les jeunes le comprennent très bien.

Alors ici, en vallée de Bièvre, que pouvons-nous faire pour entrer, nous aussi, dans le développement durable ?

• D’abord, continuer à nous battre pour un bon environnement. Certes, le développement durable s’intéresse aussi à la dimension sociale (la pauvreté, les emplois) et à la vie économique (on ne peut pas aller vers le développement durable avec une économie en stagnation ou à risques). Mais l’environnement et la bonne gestion de l’espace sont une priorité.

• Ensuite, chacun chez nous doit tendre à être un bon « écocitoyen ». Même dans un pays qui en manque moins que d’autres, il faut économiser l’eau ou faire profiter quelqu’un d’un trajet de voiture si on l’utilise pour le travail, s’en passer pour faire des courses au village ou accompagner systématiquement les enfants à l’école, recycler le maximum de déchets chez soi (les végétaux pour le jardin), porter ses bouteilles et ses papiers à recycler, utiliser des lampes économiques et couper la veilleuse de ses machines (la télévision par exemple est vorace et coûteuse), éviter les pesticides au jardin, etc…etc…

• Quant à nos communes, ne demandons pas qu’elles s’engagent toutes dans des « Agendas 21 locaux » ou se lancent dans la procédure très minutieuse des « ISO 14001 » qui obligent à passer en revue et à agir sur plus d’une centaine de points (Le Pecq, en Ile de de France s’est engagée dans cette voie) mais plus simplement à voir ce qui peut être fait dans les 25 points dont nous donnons ici une liste.

25 MANIERES D’ENTRER DANS LE DEVELOPPEMENT DURABLE DANS UNE COMMUNE.

1. Pour chaque décision municipale, s’efforcer de prendre en compte, de manière globale (et systémique) les préoccupations :

– de gestions économe
– d’équité sociale
– de respect de l’environnement et du vivant
– et de prévoir l’impact des décisions en chaîne.

2. Promouvoir le relais de générations.

Le développement durable veut dire léguer le patrimoine « emprunté par une génération à celle qui la suit » : associer les générations futures à leur avenir, faire participer les jeunes aux orientations ou actions à engager dès aujourd’hui, faire la place aux jeunes dans les prises de responsabilité.

3. Allonger l’horizon.

Le développement durable suppose d’allonger l’horizon (10 ans, 50 ans, voire un siècle ou davantage pour l’analyse) et de relier le futur avec le présent ; des exercices de « scénarios » sont utiles et doivent être présentés de façon telle que le public et les acteurs y soient bien associés : et quand on tient la trajectoire, afficher des objectifs à 10, 15 ans, par exemple ou même davantage est utile pour faire participer la population.

4. Economiser les ressources, recycler.

Le développement durable, c’est économiser les ressources, surtout celles qui sont peu renouvelables : faire plus pour le recyclage, les économies d’énergie, les économies d’espace, de matériaux, etc… Le problème n’est pas traiter les déchets mais diminuer leur volume.

5. Consommer mieux.

Le développement durable fait appel aux habitants, aux consommateurs et aux commerçants pour que de nouveaux comportements évitent le gaspillage. Se soucier de l’origine et de la trajectoire des produits : c’est la « traçabilité ».

6. Réduire les rejets et tendre à la « pollution zéro ».

Le développement durable doit éviter les pollutions qui blessent, les déséquilibres qui coûtent. S’inspirant du principe « pollueur payeur », les initiatives des entreprises mais aussi de chacun d’entre nous doivent tendre à la « pollution zéro ».

7. Eviter de transférer aux autres.

La pollution, les charges, ne doivent pas être transférées à autrui ; l’amont n’a pas à se débarrasser vers l’aval de ses déchets ou même de ses problèmes.

8. Réduire les risques.

Nous ne pouvons pas prétendre à une société à risque zéro, mais nous pouvons, par la connaissance et la prévention des risques, les réduire d’un tiers, de la moitié même dans certains cas.

9. Décliner le « principe de précaution ».

Le « principe de précaution » c’est ne pas se précipiter à agir quand on ne connaît pas les conséquences de ses actions par exemple pour la santé. La prévention des risques qui pourraient déclencher des catastrophes, grandes ou petites, à effets durables est essentielle.

10. Créer des emplois durables pour une activité durable.

Créer des emplois durables, c’est évidemment un des premiers soucis dans les pays qui ne bénéficient plus du plein emploi et dont l’économie est, de plus en plus, faite d’accidents de parcours, de décisions de grands groupes, de la « mondialisation ». Les emplois à créer devront s’inscrire dans un contexte régional, national et de compétition internationale bien analysés.

11. Prendre appui sur les ressources locales et les valoriser.

Le développement durable, c’est tirer parti de ressources régionales et locales non encore exploitées ou insuffisamment valorisées ; c’est s’ancrer dans le terroir ; c’est privilégier les ressources locales renouvelables.

12. Ménager le territoire.

C’est s’inscrire, à la fois, dans la géographie d’aménagement du territoire et de « ménagement du territoire », évitant les sur-densités, les désertifications, les friches et gardant des espaces « ouverts », etc….

13. Porter attention aux zones fragiles.

Les « zones humides », par exemple, doivent être traitées dans l’esprit de ce qui précède, avec les caractéristiques propres aux espaces fragiles. Il faut les traiter, comme telles, sur mesure, les protéger fortement.

14. Maintenir la diversité.

Le développement durable implique de ne pas voir se réduire l’éventail des patrimoines et de faire attention au maintien des diversités, et, bien plus, de promouvoir les ressources (naturelles, culturelles, humaines…) d’un territoire concerné afin d’en assurer le développement local. La diversité biologique doit être plus que protégée, même en ville où la nature est encore très présente. La diversité culturelle, elle aussi, doit être respectée ; elle doit pouvoir s’exprimer.

15. Promouvoir une agriculture attentive à la qualité, aux milieux.

Travailler la terre de manière durable, planter pour demain , maîtriser les « intrants », gérer les sols : l’agriculture n’est pas seulement une activité économique, c’est un moyen de conserver et d’entretenir l’ espace (bien moins cher qu’un espace vert) etc… C’est faire de « l’agriculture durable .

16. Gérer la cité dans la durée.

Le développement durable ne concerne pas seulement les plans et l’urbanisme mais toute la vie sociale. La cité doit être traitée comme un organe vivant.

17. Lutter contre la pauvreté et l’exclusion.

La prise en considération des populations pauvres, marginalisées ou exclues est au cœur du développement durable qui implique l’équité ; car l’effet induit de la pauvreté est dur pour la vie économique et même pour l’écologie.

18. Assurer une pleine participation : la citoyenneté.

Bien associer des populations. Les femmes, les populations défavorisées, les associations, les jeunes, sont encore trop à l’écart. Le faire c’est mettre toutes les chances de son côté pour que le développement soit vraiment durable. Les entreprises, les syndicats, toute la société civile doivent être aussi parties prenantes à la gestion de la cité.

19. Eviter le suréquipement.

Etre un acteur du développement durable, c’est alléger ou même éviter des équipements coûteux ou ceux dont les coûts de gestion ultérieurs seraient élevés parce que peu ou mal utilisés.

20. Une gestion « patrimoniale ».

Quant on parle de développement, on pense aux investissements ou aux équipements sans se soucier de la gestion, des coûts répétitifs… La gestion patrimoniale « en bon père de famille » est pourtant souvent décisive.

21. Aménager le temps.

« Aménager le temps » dans une ville est important pour l’économie, pour la qualité de la vie. C’est éviter les pointes et les encombrements et réduire les périodes « creuses » coûteuses pour l’économie et l’environnement.

22. Recourir à de nouvelles technologies appropriées.

L’appel à des nouvelles technologies plus « appropriées, plus efficaces, plus respectueuses de l’environnement est une composante à bien prendre en considération. Le développement durable doit ainsi miser sur l’innovation. Il faut se tenir au courant des nouvelles techniques et choisir les bonnes.

23. Assurer le suivi : avec des « indicateurs » et des mesures.

Une politique de développement durable implique un suivi des tendances et des politiques engagées. Le recours, par exemple, à des « indicateurs » chiffrés pertinents est une bonne démarche. Un tableau de bord doit être fourni sur la situation proche et pas seulement nationale sur l’eau, l’emploi, l’air, les déchets, etc….

24. Se situer en international.

Le développement durable se mesure dans la responsabilité : locale, mais aussi régionale et planétaire. Une commune, par exemple, peut aider une commune de pays défavorisé, une entreprise de la localité peut en créer une autre dans le monde ou former des professionnels. Certaines communes s’emploient aussi à encourager le « commerce équitable » surtout pour aider les pays du Sud. Il ne peut y avoir le développement durable s’il n’est pas jaugé à l’aune de la planète. L’effet de serre est un bon exemple, pour relier gestion locale et responsabilité mondiale : un programme territorial d’effet de serre est une bonne initiative.

25. Et le « développement durable ».

Ce n’est pas se glorifier d’en faire ou d’utiliser le mot à chaque discours : c’est y travailler avec soin et en participation avec la population… Ce n’est pas coûteux . A long terme on gagne ; c’est ce que l’on appelle le « win win ».

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Pour l’environnement et le développement durable – Le civisme des temps futurs – Ce qui a changé au XX° siècle – Ce qui pourrait changer au XXI° siècle.

Source : Comité 21.   2000

Auteur : Serge Antoine

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Les sept vertus du développement durable

Source :La revue Française du marketing. 2004

Auteur : Serge Antoine

Madame Grö Brundtland, que l’on suppose, à tort, avoir été la mère du développement durable (mais qui a eu le mérite d’en avoir fait une utile promotion à la veille du Sommet de Rio en 1992) a placé ce concept sur le registre du relais de génération. Pourquoi pas ? C’est, en effet, l’une de ses grandes composantes et celle-là même qui justifie un peu le mot de « durable » des traductions francophones de la chose. Mais ce n’en est qu’une et le mot de « sustainable » porte d’autres dynamiques dont le mot peut en faire son profit.

Car c’est bien pour le monde entier qu’il y a eu éclosion. Au fait, peu de gens savent qu’en 1992, à Rio, le concept avait déjà 20 ans. L’origine ? une trentaine d’économistes et d’environnementalistes conviés par Maurice Strong en 1971 dans la cave d’un motel suisse avant réfléchi sur l’indifférence des pays en développement au concept d’environnement, considéré par eux comme une complainte de pays riches ; j’ai eu la chance d’y participer. Maurice Strong, le chef d’orchestre de la conférence de Stockholm de 1972, avant d’être devenu celui du Sommet de Rio se devait de trouver un langage juste et porteur en évitant de laisser la moitié du monde sur le chemin. Le développement durable a donc une naissance planétaire et tiers mondiste.

La vertu du développement durable n’a pas été celle du mot ; ni même celle d’un concept bousculeur; mais celle d’une ambition motrice capable de mobiliser autant les Etats que les entreprises, les collectivités territoriales et les acteurs de la société civile à qui la conférence de Rio a fait une large place (les « majors groups »). Près d’un quart de siècle après, on se rend compte de l’actualité utile de ce véhicule. Pourquoi ?

· Sa première vertu est, dans un monde verticalisé, de forger la réunion de quatre dimensions déclinées généralement de manière séparée : l’économique, le social, et l’environnemental, dont la confrontation systémique est un apprentissage, surtout pour nous, français ; s’y ajoute le pilier le plus difficile à prendre en compte : le volet culturel introduit à Johannesburg en 2002 pour faire comprendre que les pays et les sociétés ont chacune leur identité et n’ont pas très envie d’être remorqués par un «modèle occidental » passe-partout. Les francophones réunis pour leur Sommet du développement durable vont le réaffirmer, à coup sûr, à Ouagadougou en décembre 2004.

· La deuxième vertu du développement durable est l’affirmation du principe de responsabilité, bien plus abondamment cité à Rio que le principe de précaution dont on a , il est vrai, beaucoup parlé en France ces temps-ci à propos de la Charte jointe à la Constitution. Le développement durable responsable n’est pas le fruit d’une loi, de normes ou de labels : il est celui de l’initiative volontaire de tout un chacun et des actions qu’il engage. Dans les relations entre Etats, le principe de responsabilité se substitue au principe de souveraineté.

· Le développement durable est, par essence, décentralisé et décentralisateur et les Agenda 21 locaux de quelque 3 000 collectivités européennes et méditerranéennes qui les ont effectivement lancés, sont l’illustration de ce que chacun peut entreprendre dans sa géographie avec ses objectifs et ses moyens. Il ne faut pas craindre la multiplication des initiatives, leur superposition et même leur maquis. Ce qui compte n’est pas le résultat ou la médaille, c’est l’exercice. Tous doivent en faire. Et ne pas rechercher l’ordonnance.

· La quatrième vertu du développement durable est son ouverture à la planète autrement que par une mondialisation subie. Cette ouverture est indispensable et aucun exercice à son endroit ne peut s’enfermer sur la réussite en vase clos. Ce qui est bon pour Ford n’est pas automatiquement bon pour le monde. Là est sans doute la difficulté et le handicap, pour les PME-PMI, dont le marché n’est pas celui des multinationales et qui n’ont pas les moyens d’étalonner leurs efforts au regard des autres. Leur intérêt est pourtant d’anticiper la norme ou l’oukase du donneur d’ordre. Les grandes entreprises pourraient davantage aider les petits. Certains les y poussent, comme Schneider, PSA, EDF en France incitant fournisseurs, notamment les PME, à adhérer au « Global Compact » de Kofi Annan. Nous devons encourager l’échange entre les expériences et organiser la contagion. La dernière épreuve du parcours d’ISO 14001 ou de l’EMAS devrait être de donner la main à ceux qui ne s’y sont pas encore mis et qui hésitent à plonger dans l’eau froide.

· La cinquième vertu du développement durable (mais c’est plutôt une condition), c’est d’appeler à l’évaluation avant et après. Il n’y a aucun salut sans instruments de mesure et sans la rigueur du calcul de la comptabilité patrimoniale. Oh combien de regrets peut-on avoir d’être, en France, restés au bord de la route tracée, en 1960-70, par Claude Gruson ! Il faut réinventer les instruments, en partie rétrospectifs et en partie prospectifs, pour choisir les bonnes actions.

· La sixième vertu du développement durable bien sûr c’est l’action. L’exercice n’est plein que s’il propose et engage des actions. Pas une panoplie de check list mais un petit nombre en même temps de manière que les populations, les salariés, les sous-traitants, puissent en comprendre le sens. Car il s’agit d’abord de mobiliser l’adhésion.

· Et la septième c’est, bien sûr, l’appel aux acteurs donc à l’éducation : celle des jeunes mais aussi, celle des consommateurs et des habitants, qui ont été mis hors jeu depuis un siècle de ce qui est notre destin.

Serge Antoine

Président d’honneur du Comité 21

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Bettina Laville Conseiller d’État sur Serge Antoine

Journée d’hommage à Serge Antoine le 4 octobre 2006

Je vais commencer par une anecdote qui date de 1978. Je sortais d’une école assez vilipendée pour que je ne la nomme pas, et ma première réunion, au titre du ministère de l’Éducation, visait à être tancée par la Datar. J’arrivais donc un peu tremblante et j’ai été reçue par trois personnes : Serge Antoine, Bernard Latarget et Jean-Pierre Duport. Il s’agissait de monter toutes sortes d’actions entre l’Aménagement du territoire et l’Environnement et seul, un peu comme d’habitude, le ministère de l’Éducation renâclait et j’avais hérité du dossier. Je me suis un peu défendue, mais en fait, j’étais tout à fait d’accord avec eux, j’avais déjà compris que l’Éducation nationale ne se remuait pas assez pour l’environnement et j’ai fini par craquer – j’étais très jeune après, on ne craque plus – en disant : « Vous avez raison, je suis d’accord. » Tous les trois ont éclaté de rire, Serge m’a reconduite à la porte et m’a dit : « C’est dur les débuts dans l’administration », et je lui ai confié : « Oui, c’est très dur. Je me demande même si je vais rester. » Il m’a dit : « Vous savez, finalement, dans l’administration, on surmonte tous les obstacles quand on a une passion. » J’hésitais beaucoup, pendant deux ou trois mois, mais cela m’a fait rester. Je crois que c’est le message le plus extraordinaire que l’on peut donner à un très jeune administrateur qui s’interroge, c’est aussi un message de passion sur la fonction publique.
Un peu étonnée qu’on m’ait donné cette partie « territoire », mais très contente de la partager avec vous, j’ai donc décidé de vous parler de Serge dans ce territoire qu’est l’administration française. Finalement, c’est un peu autour de ce parcours administratif que j’ai le mieux connu Serge avant d’avoir eu l’honneur, avec mesdames Veil et Bouchardeau, de lui demander de présider ce que nous venions de fonder, c’est-à-dire le Comité 21.
D’abord, j’ai essayé de réfléchir en me disant que Serge était « territoire », et je ne reviendrai pas sur tous les témoignages précédents, mais pour symboliser un peu ce qu’étaient les territoires pour Serge, je dirais trois choses.
Serge, ne nous y trompons pas, occupait le territoire, mais il l’occupait quand il y avait un vide et qu’il considérait, avec sa culture, son humanité, sa connaissance de ce pays, de son territoire, de son aménagement du territoire, et sa connaissance du monde, qu’on ne s’occupait pas assez du problème X du moment. Et le problème X du moment devenait sa passion !… Je trouve que c’est un trait de caractère très particulier et très extraordinaire.
Tellement de gens envahissent leur propre territoire ou, même dans l’administration, envahissent le territoire des autres… mais lui, il occupait le sien et occupait des territoires qui étaient en jachère. Il avait horreur de la jachère, alors qu’il considérait qu’à un moment donné, le territoire en question devait être cultivé et que finalement, la création humaine, administrative, juridique, devait l’envahir pour en faire quelque chose, pour en faire un véritable sujet pour améliorer le sort des gens, de ce pays et de l’environnement. Jamais il n’envahissait le territoire car il était extrêmement respectueux du fait que c’était véritablement le peuple, les gens de la base, les associations, l’ensemble des acteurs qui, en fait, construisaient ce territoire et que nous, hauts fonctionnaires, devions être simplement des facilitateurs. C’est pour cela que jamais il n’envahissait un territoire lorsqu’il s’en occupait, mais qu’il était toujours respectueux de la parole des autres, du mot des autres et parfois, des sourires ou des chagrins des autres. En effet, je crois qu’il faut aussi se souvenir de sa grande humanité.
Et puis, encore plus étrange, dans ce monde étrange qu’est l’administration, il quittait les territoires quand il pensait qu’il avait transmis, quand il pensait que d’autres pouvaient faire aussi bien que lui. Et comme il était modeste, avec humour quand même, il disait très souvent : « Mieux que moi. » Nous pensons tous que ce n’est pas mieux que lui, mais il nous a transmis à nous tous beaucoup de choses parce qu’il avait fait, il avait joué son rôle, il avait construit et il pensait qu’il fallait que d’autres continuent à construire.
Voilà ce que j’aurais à dire sur les territoires, mais je voudrais, sur le territoire administratif, insister sur le fait que Serge a été un très grand administrateur de mission. L’administration de mission est un terme qui se perd. À cette époque où les Premiers ministres, quand ils sont énarques s’excusent de l’être, et quand ils ne le sont pas en font une gloire, on peut parfaitement considérer que l’administration est critiquée, souvent vilipendée, et parfois paraît très éloignée des gens malgré les efforts de proximité que l’ensemble des responsables administratifs pratiquent. Le problème c’est que l’on a oublié cette conception, rappelée par Jérôme Monod ce matin, de l’administration de mission, et là aussi, on rejoint le territoire. Quand il y a un vide dans l’action publique, il faut le remplir. Et c’est vrai que Serge a été véritablement ce formidable administrateur de mission ; à la Datar d’abord, cela a été rappelé par beaucoup, notamment par Jean-François Théry, au ministère de l’Environnement qui était au début administration de mission et qui, parfois, le reste encore.
C’est vrai que, de temps en temps, l’administration de mission produit ce que vous avez appelé du « droit gazeux » et comme la Présidente de la section des travaux publics du Conseil d’État est dans la salle, je ne ferai évidemment pas l’éloge du droit gazeux – bien que je m’y étais préparée – parce que je risquerai d’être tancée ensuite. Mais quand même, le droit gazeux permet parfois de mettre un peu d’esprit dans des textes sévères, et également un peu de novation dans des institutions qui sont souvent, sur nos sujets de développement durable, difficiles à appréhender sur le plan juridique, un peu « passion ».
Quand je pense à Serge, je pense souvent à ce vers : « Les nuages, les nuages, les merveilleux nuages », mais il ne faut pas croire que Serge était un rêveur, il était un homme d’utopie au sens le plus noble du terme. Il avait les pieds dans la réalité, la tête dans les nuages et le cœur à côté des êtres, de ceux qu’il estimait, de ceux qui lui étaient chers. C’est une de ses grandes qualités. En tout cas, il a illustré cette administration de mission de manière que je me permets de trouver totalement pleine d’enseignements pour les jeunes. Dans cet hommage, j’aperçois quelques jeunes, il faudrait qu’il y en ait plus parce que c’est évidemment cette grande leçon qu’il a à transmettre : l’administration est une mission qui honore complètement ceux qui la pratiquent, à condition, pensait-il, qu’elle ne soit pas paralysée par beaucoup de lourdeurs.
Serge, dans les nombreux territoires qu’il a investis, était un militant. Je l’ai vécu personnellement quand j’ai lancé le festival du film. Serge Antoine était de tous les festivals du film, pourtant j’étais une jeune militante inconnue à l’époque, mais cela l’intéressait. Je crois que le grand principe de Serge est que quand cela l’intéressait, il venait et ne se demandait pas à quel titre il venait.
Pour ma part, je l’ai connu dans les années 1980, il était proche de toutes les personnes qui avaient dirigé la France au cours des quinze dernières années. Il n’empêche qu’il a fait un compagnonnage extrêmement fructueux et riche avec Michel Crépeau, Huguette Bouchardeau, Brice Lalonde. Soyons francs, nous nous sommes beaucoup interrogés sur ses opinions politiques. Combien de fois ai-je entendu : « Mais finalement, Serge est-il de droite ou de gauche ? » Je ne crois pas qu’il était apolitique, mais peut-être savez-vous ce qu’il était ? Moi, je ne le sais pas, et je n’ai jamais voulu le savoir. Je ne pense pas qu’il était apolitique, mais il était quelque chose qui se perd aussi et qu’il faudrait largement réhabiliter, il était « asectaire ». Je crois qu’il s’en enorgueillissait et qu’il faudrait suivre cette leçon.
Pour finir, deux ou trois anecdotes, notamment des souvenirs personnels.
J’étais directeur de cabinet de la Francophonie. Là, c’est la manière de Serge de servir l’État. En effet, il se dit : « Il y a une grande cause et il y a une copine. » Il appelle la copine et lance la conférence de Tunis sur la francophonie et l’environnement. S’il y a eu, deux ou trois ans auparavant, à Marrakech un sommet des chefs d’État francophones qui s’est occupé d’environnement et de développement durable, c’est à cause de l’idée de Serge sur la conférence de Tunis.
Ensuite, sur la préparation de la conférence de Rio, je ne rappellerai pas le rôle éminent qu’il y a joué. Mais j’ai retrouvé un petit papier qu’il m’avait envoyé quand j’étais à Matignon au moment de Rio, je vous le lis parce que c’est tout Serge : « Bettina, ça va mal. Il faut alerter le président de la République. Les pays du Sud n’acceptent pas de reconnaître les méfaits de notre mode de civilisation, ça va capoter là-dessus. » Après, il me décrivait le point des négociations, et il terminait par cette phrase que je trouve superbe : « C’est normal. Comment a-t-on pu croire un instant qu’on ferait célébrer la pauvreté par les pauvres ? »
Un autre souvenir avant de terminer. C’était au retour de Rio et là, immédiatement, il se remet à l’ouvrage. Il fait, avec Martine Barrère, cet ouvrage tout à fait passionnant, la Terre entre nos mains, qui a été véritablement l’acte qui a complètement diffusé, en France, les résultats de la conférence de Rio. J’avais l’impression, à cette époque, qu’il avait une certaine hâte à ancrer les résultats de Rio dans notre pays si réticent au développement durable et qui, dans ces années-là, a pris quelque retard avant de reconnaître le concept. Cela a été considérable, et Serge est le plus grand acteur du post-Rio. Il a complètement animé ces cinq années, si bien que lorsque les trois associations se sont réunies pour devenir le Comité 21, Simone Veil et moi principalement, madame Bouchardeau étant déjà retirée de la présidence de son association, sommes tombées immédiatement d’accord pour lui offrir la présidence du Comité 21 qui avait eu deux patrons, couple improbable mais réel, Michel Barnier et Ségolène Royal.
Pour conclure sur les territoires, Serge a été le ministère de l’Environnement. Il faudrait dire à madame Olin et à ses prédécesseurs, et il faudra dire à ses successeurs, que lorsqu’ils prennent le ministère, ils sont un peu chez Serge Antoine. Je me permets de lancer l’idée qu’il faudrait peut-être matérialiser, d’une manière ou d’une autre, le fait qu’il a habité, au sens spirituel du terme, ce ministère.
Serge était un savant au sens d’Edgar Morin et ce qui m’a toujours fascinée c’est à quel point ce savoir ne l’entravait pas ; mais au contraire, il démultipliait avec une grande facilité ce savoir dans ce monde si complexe. Parfois, la complexité du monde nous inhibe mais lui, avec son optimisme naturel, cela le faisait avancer dans toutes sortes de directions où il ne se perdait pas.
Il m’a souvent fait penser à ce que la littérature allemande appelle un Wanderer, c’est-à-dire quelqu’un qui, à la fois, se promène, chemine et avance. Ce mot ne peut se traduire en français, mais ce Wanderer qui hante toute la littérature allemande, d’Hermann Hesse à Rilke, et à beaucoup d’autres, c’est celui qui, comme les artistes du Moyen Âge, marche et apprend sur lui-même, et apprend aux autres en marchant.
Quand on a comme cela l’art du voyage sans jamais s’arrêter, c’est qu’on a, au fond de soi, un immense équilibre. Je pense que sa famille lui procurait cet équilibre et il faut saluer ici cette famille qui lui a permis de faire tant de choses, en particulier Aline. Exactement comme les gens qui cheminent en semant des graines dont, parfois, nous ne sommes pas toujours tout à fait conscients, il faut dire qu’il ne s’arrête jamais, et ce que nous pouvons souhaiter c’est que le territoire de Serge continue de s’étendre.

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Anne-Marie Sacquet Directrice générale du Comité 21 sur Serge Antoine

Journée d’hommage à Serge Antoine le 4 octobre 2006

Chère Aline, chers amis, chers adhérents,

Je vais évoquer le grand privilège, le grand bonheur que j’ai eu à travailler quotidiennement avec Serge pendant dix ans, à partager avec lui les enthousiasmes, les utopies toujours concrètes, les avancées que nous pouvions constater au Comité 21 et ailleurs, et aussi souvent les indignations.
C’est vrai que Serge était quelqu’un de très optimiste et résolument tourné vers l’avenir et l’action, ce qui permettait de renouveler en permanence l’énergie qu’il transmettait à tous les partenaires et acteurs qu’il savait mobiliser. Mais il manifestait aussi, de plus en plus, son indignation par rapport à un certain nombre de ruptures qui n’arrivent pas à se produire dans ce pays. Je crois d’ailleurs que l’une des raisons pour lesquelles il était si attaché à la démocratie participative est qu’il était profondément convaincu que les changements allaient pouvoir s’opérer quand, véritablement, les contre-pouvoirs citoyens seraient en mesure de jouer leur rôle, et notamment de bousculer un certain nombre d’inerties qui font que, malgré les constats que vous avez faits, malgré l’adhésion sur le constat que nous pouvons faire depuis maintenant quarante ans – nous l’avons vu ce matin à travers toute l’évocation des rencontres et de l’effervescence qui s’est construite sous l’impulsion de Serge, sur l’urgence des changements à opérer – ces changements ne seront vraiment opérables que si l’avenir appartient aux citoyens. Cela suppose que le citoyen soit écouté, mobilisé, mais aussi qu’il puisse bénéficier d’une véritable pédagogie des enjeux d’une part, et d’une véritable participation au choix d’autre part.
Depuis une dizaine d’années, Serge a beaucoup travaillé là-dessus et a transmis vigoureusement cette volonté de faire en sorte, de toute urgence, que le germe du développement durable et du changement se transmette, de plus en plus, dans le tissu français, c’est-à-dire chez les gens, chez les citoyens, à travers des relais bien sûr. Il était évidemment très content à chaque fois qu’un nouveau relais apparaissait, une association, un centre d’études, un comité de quartier. Quel que soit le relais, il était fondamental pour que la germination puisse se poursuivre et pour que cette prise de pouvoir des citoyens, de la société, contribue à rendre concrets tous ces changements qui sont plébiscités par tous, notamment cette prise en compte du long terme qui lui était si chère.
Ce que j’ai vu au Comité 21 avec lui, et les travaux sur lesquels nous avons beaucoup investi, c’était essentiellement la rencontre fructueuse entre l’ensemble des adhérents du Comité 21. Je crois que c’est le principal héritage qu’il nous laisse. À la création du Comité 21, il y avait une centaine d’adhérents, essentiellement des grandes entreprises, les premières qui s’investissaient à l’époque dans des réseaux du développement durable. C’étaient plutôt les secteurs pétrole, chimie, énergie. Il y avait aussi évidemment des collectivités territoriales, des associations et, au fil de ces années, et au fil des thèmes que nous abordions dans nos groupes de travail (le commerce international, l’alimentation, les énergies, les modes de concertation, etc.), Serge a réussi à insuffler, au sein de ces réseaux, l’envie, l’appétit de travailler ensemble. Il a distillé cette pédagogie de l’action collective et de la concertation d’une manière tout à fait discrète, en filigrane, mais avec une grande détermination. Il a appris aux entreprises à reconnaître le besoin d’expertise du monde associatif et la capacité des associations à prendre la mesure des attentes de la société, et à les porter bien sûr. Il a appris aux associations à passer du conflit à l’espace d’échange et d’écoute des attentes, des besoins, des blocages et à construire, peu à peu, des espaces de réflexion commune. Il a appris aux collectivités à démultiplier leurs espaces de pouvoir et d’échange avec tous les acteurs présents sur les territoires.
C’est un héritage extrêmement important parce que, face à un pessimisme que l’on peut parfois constater ici ou là, y compris chez nous sur certains sujets, nous pouvons nous dire qu’aujourd’hui, il y a au Comité 21, mais aussi dans tous les réseaux qu’il a construits ou semés, cette culture de la concertation et de l’action collective. C’est l’un des plus gros héritages qu’il nous laisse.
Il n’a eu de cesse de distiller cette culture, à la fois au sein du conseil d’administration où il a continuellement instauré un climat de dialogue réciproque, dans tous les groupes de travail, mais aussi au sein de l’équipe. Il était capable de consacrer une demi-journée d’échange avec un stagiaire qui venait d’arriver pour passer six mois au Comité 21. Pour lui, toute personne capable de porter le développement durable, d’apporter une partie des réponses, de transmettre cette envie, cet appétit de progrès était déterminant. Je crois que, pour nous, c’est ce qu’il est important de garantir, de transmettre, de disséminer. Il parlait souvent des acteurs non légitimes : alors bien sûr, il faut rassembler l’ensemble des acteurs, articuler les politiques de l’État, des instances internationales, des collectivités, des entreprises, des associations, mais il disait : « Attention, il y a des gens illégitimes qui ont aussi le droit à la parole, illégitimes parce que non reconnus, non représentés, mais ils constituent pourtant la force vive et aussi un des éléments des réponses concernant les changements à opérer. » C’est la raison pour laquelle il était si attaché à la diversité culturelle qui, pour lui, dépassait de loin l’exercice de la pratique culturelle, mais faisait référence à un énorme besoin de réformer les cerveaux, de manière à ce que nous soyons capables précisément de nous projeter dans l’avenir, ensemble, sans avoir de phénomène de culpabilisation à outrance vers les uns ou les autres, de se projeter vers l’avenir et de pouvoir s’appuyer sur des modes d’intervention, des expertises très complémentaires allant depuis l’agriculture paysanne jusqu’aux prospectivistes dont nous avons parlé précédemment. Pour lui, cette diversité culturelle était la condition sine qua non pour mobiliser une société apte à adopter ces changements et surtout en mesure d’exprimer ses désirs, ses attentes.
C’est un mot qui revenait souvent, y compris quand il parlait d’évaluation et de la nécessité de l’évaluation, de la pratique quotidienne de l’évaluation. Il regrettait que les indicateurs développés, tant au niveau national qu’européen, y compris ceux développés par la Commission du développement durable, n’intègrent pas d’indicateurs d’envie. Évidemment, ce ne sont pas des indicateurs quantitatifs, et il n’est pas évident d’évaluer l’envie, mais nous pouvons peut-être approcher ce chemin. Il a tenté de le faire, notamment en participant à des groupes locaux, régionaux, au sein de groupes de pilotage d’Agendas 21, de discussions dans les régions entre des consommateurs, des élus régionaux, des agriculteurs, des artisans, des commerçants. C’est peut-être cela les indicateurs d’envie, à savoir la capacité de mobiliser la population, les générations présentes, passées et futures et, autour de cela, d’être capable de faire émerger l’ambition de porter des changements, ceux qui seront si difficiles à mener au niveau national ou international. Il l’a souvent dit, je ne reviendrai donc pas là-dessus.
L’une de ses grandes joies récentes, parmi les nombreuses actions que nous avons pu mener ensemble, a été le lancement des réseaux d’Agendas 21 scolaires en France. Aujourd’hui, sur le territoire, il y a environ 200 démarches d’Agenda 21 d’établissements, de l’école primaire au campus. Serge jubilait totalement de l’émergence de ces démarches, et surtout, constat important, il jubilait de l’appétit manifesté par les jeunes à toutes ces échelles, par les communautés éducatives, y compris par les enseignants. Lors de la première réunion du groupe « éducation au développement durable », nous étions totalement sidérés parce qu’il y avait autour de la table des proviseurs, des responsables d’académie, des jeunes, des collectivités, des villes, des régions, des fondations d’entreprises, des responsables de l’Éducation nationale. Ce sont avant tout les enseignants qui ont manifesté le désir de ne plus être coupés de la société, d’apporter leur part à ces mutations qui s’imposent à tous, individuellement et collectivement. Je crois que la principale qualité de Serge était de désamorcer les handicaps, les peurs, de dialoguer avec l’autre, de donner à chacun sa légitimité, de lui permettre d’entrer dans l’action, de le faire avec d’autres parce qu’il y a un projet commun, un désir commun qui s’exprime. Dans ce cadre, toutes les inquiétudes, les inhibitions, après tout, peuvent se lever. En effet, quand on se sent engagé dans un projet avec d’autres et soutenu par d’autres, on est prêt peut-être à bousculer des montagnes. Selon moi, c’est la raison pour laquelle, la décentralisation, la démocratie participative et l’ancrage des Agendas 21 locaux, départementaux, régionaux étaient des ambitions très chères à Serge. C’est quand tout le corps social réagit que nous pouvons espérer aborder des changements significatifs, des changements qui nous permettront de résoudre tous les enjeux dont nous parlons depuis ce matin.
Au-delà de cette ambition forte d’organiser la germination, la contagion, le plus possible dans toutes les composantes de la société, il avait tout de même, de temps en temps, des colères. Je reviens à l’Éducation nationale, cette fois, pour être moins positive. Il regrettait la frilosité de l’apprentissage ou des processus opératoires de l’apprentissage des citoyens à ce qu’est le monde d’aujourd’hui. Nous manquons d’apprentissage des processus économiques dans les cursus de l’Éducation nationale, et il y a aussi une faiblesse de la pédagogie de la nature, du vivant, de la vie tout simplement. Il en parlait souvent, notamment lorsque nous évoquions la question de l’alimentation, un sujet sur lequel nous travaillons depuis deux ans maintenant. Là encore, il disait combien il était important de recadrer les pratiques alimentaires dans les pratiques culturelles, combien il était important de faire ressurgir le vivant et une articulation « désartificialisée » du consommateur par rapport à son alimentation, ce qui conduit bien évidemment, quand on déroule toute la pelote comme il le faisait pour tout sujet qu’il abordait, à traiter aussi des modes de production agricole, des maintiens de culture et d’artisanat et d’une relation directe des citoyens à l’agriculture et à l’aménagement des paysages.
Voici quelques-uns des messages que je souhaitais vous transmettre. Bien entendu, le Comité 21 mettra tous les moyens en œuvre pour perpétuer cet héritage. Nous le ferons avec tous nos adhérents, mais aussi avec d’autres, avec tous ceux qui le souhaitent. Je voudrais tout de même dire qu’il y a quelques germes qui sont construits et qui constituent autant d’acquis dès que les gens se les sont appropriés. Je crois qu’il faut poursuivre sur la voie des Agendas 21 scolaires et la renforcer encore, notamment avec l’ensemble des réseaux que nous constituons. Serge rêvait, depuis quelques années aussi, que nous mettions en place un réseau des Agendas 21 francophones. Je me tourne là vers Habib, je crois que nous sommes sur le point d’aboutir. Je pense qu’il n’est pas inutile que se tissent des liens entre des villes des cinq continents et des villes qui partagent une culture du développement durable telle que vous avez pu la porter au sein du monde francophone.
Avec l’Euro-Méditerranée de l’Agenda 21, un réseau commence à se construire. Le président du Comité 21 algérien en parlait ce matin, nous sommes maintenant jumelés avec la coordination italienne des Agendas 21 locaux, avec le réseau catalan des villes durables. Nous tissons des liens avec le Comité 21 algérien, et bientôt marocain. Je vous invite aussi à rejoindre cet effort de constituer des réseaux, non pas du bas vers le haut, mais des réseaux de collectivités et de citoyens qui partagent leurs outils, qui mutualisent leurs objectifs et leur désir de développement durable en Europe et en Méditerranée.

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« Discours de clôture des 10 ans du Comité 21 », 24 novembre 2005

Auteur : Serge Antoine

Source : Comité 21  2005

Cher Éric, chère Anne-Marie, chère équipe, cher François Gourdon, mon successeur, et d’abord à vous, chers amis, merci d’être venus non pour écouter mais pour donner. J’ai retenu que donner était plus important que le reste. L’amitié est le don, et vous êtes en train de donner, vous êtes en train de vous engager à donner.
Mes mots sur le passé seront très brefs. Je voudrais simplement dire notre reconnaissance à tous. J’ai effectivement « fondé » ce Comité 21, mais je dois tout à trois femmes : Simone Veil, Huguette Bouchardeau et Bettina Laville, qui nous a fait l’amitié de venir aujourd’hui. On leur doit tout après le Sommet de Rio qui donnait lui aussi, mais il fallait récolter.
En fait, je me suis trompé. Il faut toujours reconnaître ses fautes. Mon premier ministre de l’Environnement, Poujade, m’avait demandé ce qu’était l’environnement, parce que son expérience était légèrement plus courte que la mienne. Je lui avais répondu que c’était une guerre de Trente Ans. Je me suis « mis le doigt dans l’œil », car les trente ans sont passés et le combat continu…
Je voudrais vous donner un seul mot, non pour cette clôture mais pour ce passage : persévérer. Ce qui m’irrite le plus, c’est d’entendre encore parfois des gens dire que c’est une mode et qu’elle passera, comme la productivité. Les mots ne meurent pas. J’en ai fait l’expérience. Je n’ai aucun attachement aux mots « développement durable » que j’ai critiqués avec Brice Lalonde dès le premier jour, mais on ne peut pas lutter contre les choses.
Le développement durable n’est pas une mode qui va passer. J’ai travaillé, pendant plus de trente ans, avec des mots comme « l’aménagement du territoire », « l’environnement » et « le développement durable » dont on disait qu’ils étaient racoleurs. Je peux dire qu’ils racolent bien, qu’ils continuent à vivre et à devoir s’enrichir. C’est important.
Le développement durable ne fait que commencer et se « sévériser ». Ce que nous avons entendu aujourd’hui n’est rassurant ni pour la planète ni pour les inégalités… Ces mots vont s’enrichir. Mon souhait serait qu’on les décline encore davantage sur le mode social et sociétal. Cela a été dit ici et je voudrais joindre ma voix à ceux qui le disent.
Je voudrais aussi dire que le développement durable va devoir s’enrichir de la dimension culturelle, non celle des beaux-arts, mais celle que nous portons en nous, avec les valeurs, les espérances, l’éthique et les comportements que nous avons à assumer. « Les culturels » du développement durable viennent de gagner une belle bataille à l’Unesco. Cent cinquante et un pays ont introduit fortement cette dimension culturelle dans le développement durable.
Je remercie infiniment toute l’équipe, c’est-à-dire vous tous, d’avoir basculé de la célébration vers la responsabilisation et l’engagement. Vingt sommets ont été ratés, parce qu’on assiste à des déclarations. Je vous remercie tous, à votre manière, à votre rythme, de l’avoir fait non comme un modèle mais comme une envie, une ambition. Certes, nous portons tous des ambitions plus grandes que celles que nous pouvons assumer. Le Comité 21 serait certainement le premier à recevoir l’impossible si le mot n’était pas décliné d’une autre manière.
Notre premier ministre, Poujade, parlait de « ministère de l’impossible ». Nous sommes tous ici pour l’impossible, mais l’impossible que nous pouvons changer. C’est important. Merci d’avoir transformé cette célébration en engagements. Merci d’être fidèles à ce qu’on nomme, en France, « Y aller en marchant ». Ce proverbe est, me semble-t-il, lorrain, mais assumons tous les proverbes, quelle que soit leur province, pour en prendre le meilleur.
Le développement durable n’est pas un état. Il est un devenir. En ce sens, nous pouvons nous donner rendez-vous sans ambition démesurée et pas seulement dans dix ans mais dès demain, dès après-demain, pour regarder le bilan de l’évaluation à laquelle nous sommes tous attachés.
Voilà les vœux que je peux, cher Éric, donner, me donner, nous donner. La reconnaissance viendra toute seule, si j’ose dire. Elle viendra de l’Europe, si celle-ci bouge un peu plus, et il serait mieux d’avoir des partenaires qui bougent. Elle viendra de la planète, de cette gouvernance mondiale qui va finir, un jour, par se transformer. Elle viendra aussi des régions du monde. Je pense évidemment, et je ne pouvais pas ne pas penser, à la Méditerranée. Nous allons chercher cette reconnaissance, mais l’important est de la mériter.
Merci à tous d’avoir apporté un écho local, auquel je crois énormément, entrepreneurial, public et associatif, pour que nous puissions ensemble – c’est la devise du Comité 21 – faire progresser les choses qui, si nous ne le faisons pas, iront plus mal que ce que j’entendais il y a trente ans. Merci.

Serge Antoine (2005)
Président d’honneur du Comité 21

* Actes des 10 ans du Comité 21, Paris, Comité 21, 2006, p. 198.

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