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On n’environne bien que de près

Auteur:Serge Antoine

Source : article de la revue « vie publique 1974 » p 71-73  1974

Secrétaire général du Haut comité pour l’Environnement, Serge Antoine est aussi maire adjoint de Bièvres. À ce titre, il répond aux questions précises que se posent les élus locaux à propos de l’environnement. Il leur donne des informations utiles et des conseils pratiques.

Pour un maire, l’environnement est-il une mode, un luxe, un mot un peu vide de sens, une réalité ?

Je ne crois pas du tout que l’environnement soit une mode ; l’environnement est un problème qui, sous-jacent à toutes les sociétés, a simplement empiré et s’est donc révélé à partir du moment où l’on s’en est moins soucié ; ce qui a été souvent le cas dans les cent dernières années.

Pour la seule lutte antipollution, nous en avons pour 20 ans à réparer cet oubli.

Quant à être un luxe, tout dépend de la définition que l’on donne de l’environnement. S’il s’agit de protéger l’espace de quelques privilégiés pour disposer seuls de 50 hectares et avoir, sans la foule, les pieds dans l’eau ; là, il y a luxe. Mais, si l’environnement est défini pour le plus grand nombre et qu’il se réfère aux taudis des immigrants, aux inadaptés de notre société urbaine, aux milliers de morts du Sahel sec, ou à la santé d’une génération, alors ce n’est pas un luxe ; pas plus que les 100 000 réveillés la nuit par une auto mal réglée, ni que les morts du week-end qui ont fuit la ville que l’on n’aime plus. Je pense que si l’on disposait d’une bonne comptabilité qui fasse vraiment entrer en ligne de compte la santé des habitants, et leur bien-être, alors personne ne parlerait de luxe. D’ailleurs, les municipalités en parlent-elles ? Lorsqu’elles élaborent un plan d’occupation des sols, lorsqu’elles plantent une allée de tilleuls, organisent une fête ou prévoient des bancs sur les places publiques, elles font de l’environnement sans le dire : elles ne parlent pas de luxe !

D’ailleurs, l’environnement coûte-t-il cher ? Cela n’est pas évident. Il y a d’abord un certain nombre de mesures qui ne coûtent rien et celles dont le prix n’est pas très élevé. Ce sont toutes les mesures de réglementation, par exemple : élaboration d’un plan d’urbanisme, contrôle, interdiction. Lorsqu’on arrête un véhicule parce qu’il fait du bruit ou parce qu’il est trop polluant, cela ne coûte pas cher au maire de le faire et cela peut contribuer au repos de toute une ville.

Ensuite, il y a des mesures qui ne sont pas directement prises en charge par les collectivités ; le ravalement, par exemple, est mis à la charge des propriétaires.

Le souci du micro-environnement ne coûte pas très cher : mettre un banc public à l’endroit où il faut, faire en sorte que la personne handicapée ou âgée puisse marcher sans avoir à gravir un escalier, planter des arbres à l’endroit où l’on voudrait qu’il fasse frais ; tout cela n’est pas d’un coût très élevé. Les dépenses de plantation devraient être une opération courante ; la comptabilité française ne classe-t-elle pas les dépenses de plantation parmi les dépenses de fonctionnement d’une commune et non dans les dépenses d’investissement ?

Ces petites actions, ces attentions, à mon sens, sont de l’ordre de ce que seule la mairie peut concevoir et réaliser ; si elle ne le fait pas, personne d’autre ne le fera. La commune est donc la mieux placée, aidée parfois – ce qui est pédagogiquement intéressant – par la population qui peut prendre goût à ce genre de choses. S’il y a une dimension dans laquelle la participation active de la population peut s’exercer (je pense, par exemple, aux « commissions élargies »), c’est bien l’environnement, au même titre d’ailleurs que les problèmes scolaires.

Bien sûr, il peut y avoir des dépenses plus chères, par exemple, pour acquérir des espaces verts qui risqueraient de disparaître. Mais, d’une part, cette acquisition a valeur d’épargne ; d’autre part, il peut y avoir, du moins pour le cas des grands ensembles verts à protéger, des aides des départements (très variables d’ailleurs selon les départements) ou de l’État.

Vous pensez donc qu’un maire doit avoir une politique de protection de l’environnement, mais est-ce simplement une somme de petites attentions, de préoccupations quotidiennes ?

Non, il y a les deux.

La vision globale est nécessaire ; le plan d’occupation des sols, par exemple, est utile pour la vision totale de la ville. Il ne peut pas y avoir d’environnement s’il n’y a pas une certaine conception d’ensemble, 10, 20 ou 30 ans à l’avance de ce que peut devenir une commune et si la population ne sent pas dans quelle direction globale elle va ou peut aller. Je crois que c’est très important et que cette attitude prospective se développe en France depuis quelques années.

Mais, en même temps, l’environnement, c’est aussi une somme de petites attentions. Il ne peut y avoir l’un sans l’autre. S’il n’y avait que le Pos, je dirais que l’environnement d’une commune pourrait être totalement « raté » ; car, dans le Pos, on ne voit ni les piétons, ni les bancs, ni la manière dont les femmes attendent à la sortie des écoles, ni les fêtes. Le coefficient 0,15 ou 0,20 n’explique pas tout.

Si on n’entre pas dans l’environnement par ces deux approches ; je crois qu’on n’a pas compris ce qu’était l’environnement.

Napoléon ne disait-il pas : « On peut gouverner de loin mais on n’administre bien que de près. » On pourrait dire maintenant : « On n’environne bien que de près. » La véritable qualité des communes, c’est qu’elles sont proches de l’habitant, et qu’elles peuvent à la fois disposer d’une vue globale et aussi avoir des attentions pour l’habitant et son environnement vécu et immédiat.

C’est dans cette perspective que plutôt que de tendre à la création de services nouveaux, le ministère de la Protection de la nature et de l’Environnement a, en liaison avec celui de l’Équipement et celui des Affaires culturelles, mis sur pied des « équipes mobiles » qui, à la demande des maires des villes moyennes, se rendent sur place avec un camion équipé pour les aider dans la reconnaissance de certains problèmes de micro-environnement.

Je reconnais toutefois que, leur territoire étant parfois exigu ou partiel, les communes n’ont pas toujours le moyen d’avoir une vue globale suffisante ; c’est pourquoi je pense que, dans certains cas, les données géographiques pourraient mieux être prises en compte grâce à l’appui qu’elles peuvent se donner dans les syndicats de communes ; les syndicats de montagne ou de vallée sont utiles pour restituer la vision globale. Les parcs naturels régionaux ne sont pas autre chose qu’un grand syndicat intercommunal (qui comprend quelquefois 60 communes) conçu non seulement pour une défense de territoire, mais aussi en vue d’une certaine vocation de l’environnement.

Mettre un tigre dans son moteur

Vous engageriez des communes à faire des syndicats pour la protection de l’environnement ?

J’engagerai les communes d’abord à se servir des syndicats qui existent et à mettre plus d’environnement dans leurs syndicats comme on met un « tigre dans son moteur » Les syndicats d’assainissement peuvent être aussi des syndicats de protection de rivières et de promenades le long de la rivière et pas seulement des instruments pour le curage. Il faut d’abord se servir de ceux qui existent. Ne reflètent-ils pas déjà une réelle communauté de proximité ou de voisinage qui peut correspondre à une certaine unité de paysage ; les syndicats d’assainissement sont des syndicats de rivière et les syndicats de rivière sont des syndicats de géographie physique et humaine, donc potentiellement d’environnement.

En ce qui concerne les ordures ménagères et l’eau, il y a une législation et des structures organisées ; en revanche en ce qui concerne l’air, le bruit, il n’y a rien. Comment cela se fait ? Que doit faire le maire ?

Quand on est maire, c’est vrai, on est toujours un peu isolé. Entre l’Administration centrale, lointaine et la municipalité, il y a des institutions sur lesquelles il peut prendre appui mais elles n’existent pas toujours.

Pour l’eau, depuis la loi de 1964, six agences de bassin ont été créées qui groupent maintenant 500 employés et dont les adresses commencent à être connues des maires, non seulement par les cotisations qu’ils versent mais aussi à cause des services que ces agences de bassins donnent pour l’épuration, la pollution ; il aura fallu 10 ans pour que l’eau ait ses structures et que les agences puissent être les conseillères des collectivités.

Pour les déchets, on y arrive. Le ministère de la Protection de la Nature y pousse au niveau du département. Les communes auront donc bientôt d’autres conseillers que les fournisseurs pour le ramassage ou le traitement, fournisseurs qui ne tiennent pas toujours compte des situations différentes entre régions, entre petites et grandes villes.

Pour l’air, nous ne savons pas encore quelles structures seront mises en place. Aux États-Unis, à côté des agences de bassin pour l’eau, des agences de l’air ont été créées qui s’identifient souvent à des régions urbaines. En tout cas, pour l’air en France, il existe déjà des hommes, les inspecteurs des établissements classés (ils sont maintenant environ 250). Quant aux instruments de mesure, ils se mettent en place ; des réseaux de mesure fonctionnent pour la Basse-Seine. Ils vont être développés en région parisienne et, en 1978, couvriront les grandes zones urbaines du territoire.

Pour le bruit, le problème est difficile parce qu’on entre dans un domaine plus subjectif et qu’il y a des sources très différenciées : bruit des aérodromes, bruit des voitures, etc. Pour ces dernières, on a créé des brigades mobiles de contrôle ; le bruit des logements de son côté, appelle une action spécialisée, menée à partir du « label de qualité » et relayée par l’Institut national de la consommation. Le bruit est donc réparti entre un certain nombre de branches et je conçois que, pour le maire et les collectivités locales, ce ne soit pas très facile ; d’où la nécessité d’une information ou d’un « guide de bruit » que le ministère de la Protection de la Nature et de l’Environnement est en train de préparer pour aider les maires.

Les réserves foncières : un bon placement

Outre la lutte antipollution, il y a aussi les loisirs, les promenades. Que pensez-vous du rôle des communes à cet égard, notamment quant au patrimoine· foncier et aux chemins de randonnée, par exemple ?

Le patrimoine des collectivités est, hélas, très faible en France, hors les régions de montagne, l’Alsace, les Landes. Ces patrimoines ont pourtant une grande importance pour la protection de l’environnement. L’acquisition de réserves foncières est une bonne chose : c’est un placement. À l’inverse, l’aliénation de biens, même s’ils ne correspondent plus tout à fait aux fonctions économiques pour lesquelles ils sont autrefois entrés dans la communauté, peut être préjudiciable.

Parmi ces territoires, il y a les territoires de cheminement qui correspondaient autrefois à des chemins ruraux desservant des activités rurales, zones libres entre des champs. Si l’on veut promouvoir une politique de cheminement de piétons dans les zones périurbaines et en milieu rural, si l’on veut faciliter la randonnée, encore faut-il que des chemins existent. Comme les propriétaires n’ont plus le même intérêt pour respecter les passages (le remembrement le traduit d’ailleurs) si les collectivités, elles, ne conservent pas ces sentiers dans leur domaine, qu’il soit privé ou public, eh bien, le piéton ne passera plus. Dans la réalité comme sur les cadastres, la géographie devient impénétrable. J’ai regardé au mois d’août par curiosité le cadastre de Toulon élaboré il y a 20 ou 30 ans et celui qui a été refait par les géomètres contemporains. L’actuel est fait de telle manière qu’il n’y a plus aucun cheminement à l’intérieur de toute la périphérie de la ville, alors qu’autrefois il y avait du terrain neutre, des servitudes de passage ; chacun n’était pas comptable de son terrain de la même manière que maintenant.

Il faut encourager les collectivités à recenser (comme elles en étaient tenues autrefois tous les cinq ans) leurs chemins ruraux, à les laisser ouverts, à les faire connaître, à les baliser, à les entretenir pour que le piéton puisse passer. C’est un tout petit effort pour les communes, mais c’est un effort productif pour l’accueil et la sympathie d’une collectivité.

À vous écouter, vous attendez beaucoup des communes et qu’elles jouent un rôle de relais de la politique de l’environnement ?

Oui, mais je ne crois pas qu’il y ait de niveau privilégié de l’environnement ni d’exclusivité. L’environnement doit s’ancrer partout, à tous les niveaux et ne pas avoir de domaine propre. Ceci étant, il faut choisir le bon niveau pour la réponse à ces problèmes très différents. Au niveau mondial, par exemple, la politique française consiste à bien déceler les problèmes réellement planétaires : par exemple, la gestion des océans orphelins car, si l’Onu ne s’en occupe pas, nous risquons de voir mourir les océans (l’Onu n’a pas, par contre, à régir toute une série de décisions qui peuvent être prises au niveau national ou au niveau régional). L’échelon le plus petit doit, a priori, être préféré si l’on veut éviter la centralisation.

Revenons en France, le département a un rôle actif à jouer, la région aussi ; c’est une collectivité qui se crée et il ne faudrait pas que cette collectivité soit uniquement mue par un souci de développement et de progrès mal compris c’est-à-dire où l’on n’intègre pas l’environnement. Une collectivité du xxe siècle, comme l’est la région, si elle est uniquement « motivée » par le développement, au sens étroit du mot, si elle n’intègre pas convenablement l’environnement, « ratera » sa mission.

Ceci dit, si je suis si attaché aux communes, c’est parce qu’elles ont l’avantage d’être près de l’habitant, de sentir ses problèmes. Or, bien souvent les problèmes de l’environnement ne sont pas seulement des problèmes de pollution, ce sont des problèmes de relation de l’homme avec son milieu. Si quelque chose ne va pas dans les villes, c’est parce que souvent l’homme ne sait plus vivre en milieu urbain et qu’il doit réapprendre (c’est un mot qu’utilisait souvent Louis Armand) « la grammaire quotidienne », c’est-à-dire les règles de conjugaison, de l’homme avec son milieu, ville ou campagne.

 

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La qualité de la vie

Source : Reflets essec, n°122, 3 pages(39206), 1975

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Une interview de M. Serge ANTOINE

« Monsieur Serge Antoine est au Ministère de la Qualité de la Vie le Secrétaire Général du Haut Comité de l’Environnement ». Par sa connaissance particulièrement approfondie des problèmes de l’environnement et la perspective très large qu’il leur donne, il est considéré en quelque sorte comme un « doctrinaire » de la Qualité de la Vie.

Robert Crouzet et Jean Daniel Colom sont allés l’interroger …

Nous tenons à dire combien les concours que nous avons trouvés auprès du Ministère de la Qualité de la Vie nous ont été précieux pour la réalisation de ce « Reflets ». Nous tenons particulièrement à remercier Monsieur Alain Terrail qui nous a assuré la coopération des différents départements du ministère, Monsieur Serge Antoine qui a bien voulu répondre à nos questions avec le talent que nos lecteurs apprécieront. Monsieur Seguin du Cabinet du Ministre et Monsieur le Ministre lui-même qui a bien voulu préfacer ce numéro ce dont nous le remercions très vivement.

 

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Q. – Et d’abord qu’est-ce que la Qualité de la Vie?

R. – y a-t-il vraiment une réponse objective ? En tout cas, le Ministère qui a ce nom souhaite garder à cette qualité de vie de chacun sa pleine subjectivité. Le Ministère n’est pas un ministère du bonheur et ne veut pas l’être.

Tout ce que peuvent faire les pouvoirs publics, c’est de jouer sur le « cadre de vie », c’est-à-dire sur les conditions dans lesquelles une qualité de vie meilleure peut éclore ou s’améliorer en fonction des besoins et, mieux, des aspirations des habitants. Mais même pour le cadre de vie on doit faire la part d’une grande subjectivité. Les habitants ne peuvent se contenter de dire: « faites-nous un bon urbanisme, un bon habitat et nous ferons le reste ». Dans les faits, même le cadre de vie doit être réalisé avec l’habitant en fonction de ses besoins et de son psychisme.

La notion de « qualité de vie », comme toute la sémantique de ce type, est d’ailleurs née de la société comme un moyen pour elle de s’exprimer; comme l’environnement, ou l’aménagement du territoire. Nos sociétés secrètent des mots pour lutter contre les contraintes de plus en plus « désappropriantes » de la vie individuelle ou collective. Puis les mots s’institutionnalisent. Comme l’aménagement du territoire qui n’était qu’une idée lorsque dans les années 45, Jean-François Gravier éditait son livre « Paris et le désert français ». L’environnement, quant à lui, est un mot qui nous vient des Etats-Unis mais qui résulte d’une crise de croissance de la société américaine, de la société japonaise aussi. Puis l’Europe dans les années 70 et, grâce à la conférence mondiale de Stockholm en 1972, le Tiers Monde ont adopté ce mot pour formuler une part de leurs aspirations.

La notion de qualité de vie a été largement diffusée dans les instances internationales dès 1972 et elle s’est manifestée en France en 1973, dès avant la guerre du Kippour. La crise du pétrole ne l’a pas choquée. Que traduit-elle? Une répulsion subconsciente à la tendance mécaniste d’un progrès linéaire. Le rejet d’une croissance pipée par le PNB (produit national brut) définie comme un amas de biens. Et surtout une aspiration que certains ont qualifiée de romantique mais qui est, au fond, dans « l’économie des profondeurs », (comme l’a appelé Drouin) un élément de vitalité des sociétés. De sociétés qui sont à la recherche de quelque chose qui n’est pas trop défini. Faut-il définir d’ailleurs cet indéfinissable? Je pense qu’il est utile d’analyser l’aspiration, mais sans la bloquer ou la cadastrer. La Qualité de la Vie n’a pas à être définie d’un seul coup; elle peut l’être chemin faisant « en marchant ». Il est bon, par exemple, que l’on interroge les habitants sur la ville, sur les vacances, sur la sécurité pour voir ce qu’ils veulent réellement ou au moins disent ce qu’ils veulent. Et au-delà des sondages très superficiels où devrait promouvoir plus d’expérimentations en vraie grandeur. Faire naître une société plus expérimentale. C’est ainsi qu’on aura petit à petit, par touche, des éléments vécus de qualité de vie. Il est évident que l’analyse ne doit pas être fixiste ; je ne crois pas à la stabilité de la Qualité de la Vie; elle est évolution, conscience du devenir. La politique de la Qualité de la Vie doit s’entendre comme un processus d’évolution dans une « subjectivation » de la société par rapport à son passé et surtout par rapport à son devenir; et cela aussi bien en termes de vie individuelle qu’en termes de vie collective (les deux étant importants). Je crois que l’aspiration à la Qualité de la Vie est, bien sûr, individuelle; elle doit rester personnelle. Mais il y a la dimension de la vie collective qui, elle aussi, demande à être plus qualitative. Les pouvoirs peuvent, en tout cas, beaucoup pour la favoriser.

Q. – Le Ministère de la Qualité de la Vie existe depuis maintenant 16 mois. Il a pris la succession du ministère de l’environnement; pour le français moyen, l’homme de la rue, quels changements ces ministères ont-ils pu apporter ou alors dans quel délai pouvez-vous prétendre changer la vie?

R. – Rien, en ce domaine, ne se fait en un jour. On a parlé de « guerre de 30 ans » pour les batailles de l’environnement: il en est de même pour la Qualité de la Vie. On ne transforme pas la vie avec un bâton magique, il faut beaucoup de temps pour retransformer une ville (non pas son visage, mais sa réponse à la vie quotidienne). Cela veut dire, comme le disait Liautey, qu’il faut s’en occuper tout de suite. A partir du moment où quelque chose demande 30 ans, cela veut dire qu’il ne faut pas attendre 30 ans pour s’en occuper. Je suis fondamentalement contre une vision du futurologue qui consiste uniquement à définir ce que sera l’avenir dans 30 ans. L’avenir, c’est ce qui se passe entre maintenant et 30 ans: il sera notamment fonction des actions qui sont menées pour transformer cet avenir, si possible le plus rapidement. On ne vit pas que de « surlendemains », on vit d’aujourd’hui et de l’obstination des actions de Qualité de Vie qu’il faudra mener pendant 30 ans.

Voilà la réponse à votre deuxième question. Quant à la première, celle des actions déjà engagées par les pouvoirs publics en France depuis 3 ans, je vous dirai simplement qu’en 1975, six textes de loi ont été présentés par le Ministère de la Qualité de la Vie qui a à peine un an d’âge: c’est remarquable. Surtout si l’on sait que, parmi eux, il y a, par exemple, la loi sur les déchets qui sera aussi essentielle que la loi française sur l’eau, votée à l’unanimité en 1964 par le Parlement.

Or, précisément revenons-en au délai de réponse; les agences de bassin, le système de lutte contre la pollution de l’eau qui est aujourd’hui en place et en plein fonctionnement auront mis 10 ans à exister. Les actions visibles, c’est 10 ans après seulement. Les pêcheurs qui savent qu’un certain nombre de rivières se reconquièrent, commencent maintenant seulement à reprendre espoir.

C’est le meilleur test que celui du bout de la chaîne, mais la reconquête est seulement enclenchée. Cela signifie qu’il y a encore à redoubler d’efforts. Et puis, nous avons des batailles qui sont devant nous: la bataille des océans est à peine entamée, et si nous ne la gagnons pas nous perdrons le Monde; la bataille de la Méditerranée est encore à décider, elle est loin d’être purement française. Pour ce qui est de notre littoral français, nous n’aurons probablement de résultat sérieux, au niveau de l’assainissement, que dans une dizaine d’années. L’action d’un ministère ne se traduit donc pas immédiatement au bout de la chaîne. De plus, trop de français, très centralistes de nature, pensent que toutes leurs affaires se traitent à Paris dans l’administration centrale. La partie visible de la Qualité de la Vie, ce sont les collectivités locales qui s’y engagent. Et croyez-moi, le progrès est très sensible depuis 10 ans. Les maires sont les vrais fantassins de l’environnement, avec les responsables d’associations.

Encore un mot sur l’action du Ministère; dans le travail d’un ministère, outre le travail législatif, il y a des actions directes: elles sont rares parce que ce n’est pas le métier de l’administration centrale; mais il y a aussi ce qui peut être fait pour changer les « règles du jeu ». Par exemple, au travers des concertations avec des collectivités locales ou avec des responsables du secteur économique.

Avec des collectivités locales, ce qui a été le plus sympathique dans l’action de plusieurs Ministères des dernières années, ça a été les accords passés avec des mairies, des contrats de « villes moyennes » dans lesquelles le qualitatif est introduit dans les relations de financement « contractuelles entre Etat et collectivités ». On a pu ainsi financer des réaménagements de places, des conservations de monuments dans le site; pas simplement des opérations ponctuelles d’équipements mais bien un ensemble intégré dans lequel le piéton, le cycliste, retrouvent, par exemple, des cheminements perdus. Et cela par des opérations globalisées; alors que, jusqu’à présent, les systèmes de subventions de l’Etat sont fractionnés, hachés. Autre exemple très important de concertation, la concertation entre l’Etat et les branches industrielles. Les « accords de branche » qui ont été passés entre l’Etat et un certain nombre de branches industrielles pour la dépollution, non seulement d’industries à venir mais pour la réhabilitation d’un certain nombre de situations difficiles, sont très intéressants; le dernier exemple en date, – et c’est nouveau – concerne, non une branche proprement dite, mais un groupe (Pechiney-Ugine Kulhman), les accords de branche ou de groupe sont librement consentis entre deux parties, pour une période de temps de quelques années ce qui permet de remédier aux choses par des virages qui sont économiquement tolérables et financièrement possibles.

« Le qualitatif doit être l’affirmation d’une volonté nationale, d’une volonté culturelle, d’une volonté régionale … »

Q. – Y a-t-il selon vous incompatibilité entre une action en faveur de la Qualité de la Vie et la croissance économique?

R. Non, il n’y a pas incompatibilité, par essence, entre la croissance et la qualité, entre la quantité et la qualité; il y a d’abord des situations différenciées. Il peut y avoir par exemple des stratégies géographiques différentes; il est certain que, la croissance démographique n’a aucune raison d’être uniforme sur l’ensemble d’un pays et cela n’est pas un déshonneur pour certaines régions ou pour certaines communes d’avoir une population stable et même décroissante. Il faut regarder en face sans tristesse des stabilités ou même des décroissances. Il n’y a pas de vision mondialiste de la croissance de population; il n’y a pas une stratégie unique de la population en France, il y a des stratégies qui doivent être très intimement situées dans leur contexte géographique, économique et sociétal; stratégies donc différenciées.

Non, il n’y a pas incompatibilité, par essence entre la croissance et la qualité, entre la quantité et la qualité; mais il y a des problèmes. La croissance économique, même définie par ce très fruste et très sommaire PNB, est intéressante pour l’amélioration de la Qualité de la Vie. Les deux tiers du monde ne démentiront pas ces propos et il faut être riche et nanti pour être malthusien a priori….pour les autres. Mais ce qui compte, ce sont les conditions de la croissance. Là, il peut y avoir conflit entre rythme et qualité, entre quantité et qualité. La croissance à tout prix, la croissance « sauvage » entraîne un train de « biens » (les « goods ») mais aussi de maux (les « bads »). Le bilan peut être même négatif si l’on veut bien tenir une vraie comptabilité de bilan où apparaisse le patrimoine. Et ne pas se contenter d’un compte d’exploitation.

Je ne passerai pas en revue ici toutes les conditions pour que se manifeste une bonne croissance. Mais, j’insisterai surtout sur le souci qu’elle doit avoir de la réponse aux fonctions sociales. La croissance n’a pas pour finalité de produire des objets. Nous avons souvent tendance à donner trop d’emphase aux phénomènes production d’objets avec les risques que cela peut comporter sur le plan de l’encombrement ou des nuisances.

La voiture automobile individuelle par exemple a sa place, une place assez fondamentale dans le système urbain et même dans un système social (dans lequel la voiture est assez souvent synonyme de liberté) ; mais il ne faut pas identifier tout de même l’objet avec la réponse à la fonction; par exemple, la voiture individuelle et le transport. Ce qu’il faut, c’est essayer de dégager un peu les fonctions essentielles, les besoins essentiels, les aspirations essentielles et d’y répondre. Alors, on retrouvera des voies de progrès qui ne sont pas toujours celles de la fabrication d’objets.

On pourrait ainsi revoir aussi la part que nos sociétés donnent à l’entretien qui a été éclipsée par tout ce phénomène de production. La notion d’entretien a été court-circuitée par une société pressée qui a eu tendance à faire des objets de plus en plus éphémères et souvent à ne pas mesurer les vertus de la durabilité. Certes, il ne faut pas généraliser à tous les objets bien sûr, le souci de la durée de vie, mais il y a là des économies possibles. Il peut être répondu à des objectifs de création d’emploi par des mesures autres que celles qui portent strictement sur le stade terminal de la production; encore faut-il là (et c’est difficile) avoir l’imagination et le temps pour mettre en route de nouveaux mécanismes de société; ce qui n’est pas facile du jour au lendemain; les auteurs du rapport Gruson sur le gaspillage se sont bien rendus compte qu’à partir des idées lancées il fallait un temps long de réponse. Nous sommes en train, en ce moment même, de faire le bilan des mesures antigaspillage prises en un an en France; et vu sur un laps de temps court. Il est déjà assez satisfaisant qu’un bon tiers des idées sont, à l’heure actuelle, engagées. Cela montre qu’il y a encore un effort assez important à faire. C’est, encore une fois, une œuvre de longue haleine que celle de raccorder convenablement les deux dimensions de la Qualité de la Vie et de la croissance. Il n’y a pas d’automatisme. S’il y a volonté de les faire se rejoindre, on peut y arriver. En tout cas; c’est important, non seulement-pour nous français, nous européens, mais aussi pour les pays en voie de développement; il est évident que, pour eux, il y a une insolence incroyable à dire qu’il y a incompatibilité entre croissance et Qualité de Vie.

Q. En fait, pour vous la Qualité de la Vie est-elle davantage l’aboutissement d’un nouveau comportement que le résultat d’un confort matériel lui-même conséquence d’un progrès économique?

R. – La Qualité de la Vie est effectivement plus faite de la satisfaction d’un certain nombre de besoins, que l’obtention de la matérialité d’objets. Encore, faut-il faire très attention à rappeler que toute une partie de la population mondiale et, dans un pays donné, tout une partie de la population, n’est pas en état d’avoir les objets élémentaires qui lui permettent de passer à un cran de satisfaction acceptable. Il faut donc, quant on parle de qualitatif, ne pas oublier qu’il y a des gens qui ont besoin de quantitatif.

Ceci étant rappelé, je pense effectivement qu’une meilleure satisfaction des besoins et des fonctions, un meilleur rapprochement entre la vie économique et les données qualitatives de l’environnement passent par un changement dans les comportements. La désacralisation de l’objet, pour y revenir encore, est l’une des clefs qui peut permettre d’insister sur la durée de vie des produits, sur l’entretien, sur le fait que l’emploi, le plein emploi, n’est pas forcément assuré par des éléments strictement industriels. Une nouvelle stratégie de l’emploi peut naître à partir de revendications de Qualité de Vie. Bien entendu, il s’agit pas là, non plus, d’un virage à angle droit de la société; au nom du qualitatif, il ne faut pas, pour autant, tourner le dos à l’industriel. La France vient seulement de commencer son industrialisation: il ne faudrait pas l’oublier.

Q. Cette redéfinition de la croissance vous a-t-elle attiré quelques ennemis ?

R. – Il y a évidemment, dans une société, un certain nombre de gens qui vivent d’une croissance sauvage; ceci dit, ils ne sont pas très nombreux. Et puis, il y a les opposants au changement. Mais ils deviennent encore moins nombreux, ces responsables du quantitatif, qui n’admettent pas une révision de la croissance, si on leur dit que cette révision de la croissance doit se faire suffisamment à l’avance et dans un contexte multinational convenable. Il est évident que si on prend des virages à angle droit, comme Charlot, et que l’on demande à l’industrie X ou Y de se faire harakiri du jour au lendemain, il y ait des réactions; si on lui demande, par contre, de revoir, dans un laps de temps qui peut être de l’ordre de 10 ans, une nouvelle stratégie de sa production, et si tout cela se fait dans un contexte international de pays européens, à ce moment là, la plupart de ceux qui sont « opposants » à des conversions dans la croissance seront tout à fait conduits à être les premiers à jouer de cette nouvelle croissance; donc, là aussi, il n’y a pas d’ennemis a priori. Mais selon l’accrochage que l’on peut faire entre croissance et environnement, dans la manière dont on le mettra en œuvre, on peut avoir peu d’ennemis ou beaucoup d’ennemis.

En poussant au bon moment les véhicules électriques, par exemple, ou en aidant l’énergie solaire à se développer, le Ministère de la Qualité de la Vie n’a aucune raison de se faire des ennemis.

Q. Le Ministère de la Qualité de la Vie en France est quelque chose de nouveau, c’est également quelque chose de nouveau par rapport à l’étranger. Vous faites un peu figure de pionnier?

R. – Il est certain qu’au plan de la structure ministérielle, le Ministère de la Qualité de la Vie français est une structure rare et enviée dans le monde; elle est regardée de près comme l’exemple d’une « structure ministérielle à objectif » alors que la plupart des Ministères, dans les différents pays du monde, ont des « domaines » d’action et sont rarement créés en fonction d’objectifs comme l’est la Qualité de la Vie.

Cela étant, tous les pays commencent, à leur manière, à développer une politique consciente de la Qualité de la Vie. Il est impossible de passer ici en revue, bien entendu, les différents cas et de voir, dans ces pays, ce qui se fait de bien (même si on sait qu’on peut difficilement ensuite le comparer à ce qui peut se passer chez nous, et à fortiori, le transposer). Pour prendre un pays proche, l’Angleterre, il est certain que nous avons à apprendre des anglais un certain nombre de réalisations: la place des enfants dans la ville, les équipements scolaires, l’équilibre des rapports entre la vie urbaine et rurale. Je suis par contre plus interrogatif sur les villes nouvelles anglaises.

De toutes façons, le qualitatif doit être l’affirmation d’une volonté nationale, d’une volonté culturelle, d’une volonté régionale, délibérément mieux située dans le contexte de la culture et de la géographie d’un pays; elle ne peut pas être stéréotypée; en tout cas, je crois que la revendication à la Qualité de la Vie qui se discourt dans les organisations internationales ne s’incarnera valablement que si elle est assumée très profondément par les différents pays, et ce au cœur d’eux mêmes et de leurs régions. Je crois d’ailleurs que c’est une des caractéristiques à l’heure actuelle les plus intéressantes de la sociologie tout court, et de la sociologie politique en particulier des pays développés comme des pays en voie de développement, que cette aspiration à la Qualité de la Vie se traduise comme une expression d’identité et d’existence, d’affirmation d’être, d’affirmation de destin librement choisi par opposition aux tendances mécanistes, à l’extrapolation des modèles occidentaux ou d’un modèle généralisable à travers le monde entier. Cette aspiration à la Qualité de la Vie, donc doit pour être valable, être refaite par chacun et être très profondément personnalisée.

Q. – Et pour nos enfants, la génération qui vient, quelle Qualité de Vie leur souhaitez-vous ?

R. – Ce que je viens de vous dire vous donne la clef de ma réponse; je ne pense pas du tout que ce soit à nous de définir ce que les enfants voudront; ils devront eux-mêmes se faire leur propre définition de qualité de société, en fonction du moment où ils vivront; il ne faut pas qu’ils puissent nous dire, comme Musset l’a dit en 1834: « Nos villes ne sont que des restes, nous ne vivons que des décombres des sociétés passées ».

Mais, cela ne vaut pas dire, bien au contraire, que nous n’ayons pas des responsabilités à l’égard du monde de demain. La vraie solidarité de génération que nous leur devons, c’est de leur léguer un milieu de vie le plus intact et le plus vivant possible: un océan, de l’air pur, de l’eau, des milieux naturels. Ce qu’ils en feront est leur affaire à leur tour. Et après tout, s’ils veulent couvrir les Alpes et les Pyrénées de maisons de verre comme nous la Côte d’Azur avec des villas … L’important, l’essentiel c’est de ne pas leur léguer l’irréversible et de leur laisser la liberté de choisir entre le maximum de futurs possibles. Ne pavons pas leur avenir de notre béton, pas plus que de nos bonnes intentions. Ils doivent pouvoir se faire du « sur mesure » et ne pas enfiler, contraints, notre prêt à porter …

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Le développement durable c’est quoi ?

Source : Comité 21. 2003

Auteur : Serge Antoine

La montée en puissance du concept de « développement durable » aura mis en France quelque 20 à 30 ans pour se faire sentir et à peine une petite risée sur une mer d’indifférence sympathique, douze ans après le Sommet Mondial de Rio sur la planète en 1992 qui a vraiment lancé le mouvement, c’était encore il y a 6 mois.

Mais aujourd’hui, cela galope ; aux 100 villes qui préparent des programmes de « développement durable » s’en ajoutent plus d’une trentaine depuis le début de l’année ! Le Département des Hauts de Seine depuis un an est entré dans le jeu ; l’Essonne vient de le faire avec beaucoup de « communication ». Versailles vient de rejoindre le Comité 21 pour lancer ce que l’on appelle «l’ agenda 21 ». Issy-les-Moulineaux aussi. Et toutes les grosses entreprises ont maintenant leur Direction de développement durable. Les enseignements et les formations se multiplient. Le Gouvernement vient de lancer fin 2002 un programme avec tous les Ministres et de créer un Conseil National du Développement Durable. Mais le français normal est sans doute le moins informé.

Il faut dire que le jargon est très anglo-saxon. On a, à tort, traduit « sustainable development » (qui veut dire un développement auto-porté et qui ne va pas droit dans le mur (social, économique ou écologique) par « développement durable « . Ce qualificatif de « durable » a, certes, une vertu : montrer qu’il y a un relais de générations. (St Exupéry disait : « rendons à nos petits enfants, en bon état, la planète qu’on leur a empruntée »). Mais il y a un défaut : pousser à l’immobilisme et à la simple conservation. Autre mauvaise traduction : « l’agenda 21 » est, en fait, un programme global pour une entreprise, une collectivité, un espace (par exemple un parc régional) suivi d’une série d’actions bien préparées ; le mot d’agenda est inapproprié.

Le « développement durable » n’est pas une science ou un label ; c’est un vrai changement culturel pour tous ceux qui ont une part de responsabilité ; il consiste à regarder plus loin qu’à 5 ou 10 ans (ce que font au mieux quelques rares élus), à relier les thèmes ensemble en logique « systématique » (cela veut dire qu’au lieu de traiter séparément de l’eau, des déchets, de l’emploi, de la pollution de l’air ), à travailler la main dans la main avec la population ; et de ne pas hésiter à examiner ses responsabilités par rapport aux voisins, à l’Europe et même à la planète.

Tout cela dépend de la bonne volonté des collectivités concernées : en tout cas, en France. Car, en Suisse, la loi l’a rendu obligatoire avec des documents précis à remplir, pas ici, en tout cas, pas encore !

La Conférence Mondiale de Johannesburg qui a réuni plus de 180 Chefs d’Etat en août 2002 suivie par de nombreux rendez-vous onusiens où, quoi qu’on en dise, les choses avancent et où des engagements sont pris. Il y en aura, par exemple, sur l’effet de serre qui est l’un des grands problèmes qui contraint à une politique de développement durable (la Terre risque vraiment un réchauffement de la température : 5 à 6 degrés dans le siècle) et à une discipline non seulement pour les pays avancés et riches (les USA dépensent 20 fois plus d’énergie par tête que les Français et 200 fois plus qu’un Africain), mais aussi pour les pays en développement qui ne pourront voir pousser leur économie et leur urbanisation comme nous l’avons fait depuis plus d’un siècle. Contrairement à ce que disent certains maires (« nous nous occupons de l’eau, des déchets, des transports mais l’air et les climats cela relève de l’ONU »), les communes ont chacune, avec leur municipalité et les habitants, une part de responsabilité au regard du monde et donc de chacun d’entre nous ; les jeunes le comprennent très bien.

Alors ici, en vallée de Bièvre, que pouvons-nous faire pour entrer, nous aussi, dans le développement durable ?

• D’abord, continuer à nous battre pour un bon environnement. Certes, le développement durable s’intéresse aussi à la dimension sociale (la pauvreté, les emplois) et à la vie économique (on ne peut pas aller vers le développement durable avec une économie en stagnation ou à risques). Mais l’environnement et la bonne gestion de l’espace sont une priorité.

• Ensuite, chacun chez nous doit tendre à être un bon « écocitoyen ». Même dans un pays qui en manque moins que d’autres, il faut économiser l’eau ou faire profiter quelqu’un d’un trajet de voiture si on l’utilise pour le travail, s’en passer pour faire des courses au village ou accompagner systématiquement les enfants à l’école, recycler le maximum de déchets chez soi (les végétaux pour le jardin), porter ses bouteilles et ses papiers à recycler, utiliser des lampes économiques et couper la veilleuse de ses machines (la télévision par exemple est vorace et coûteuse), éviter les pesticides au jardin, etc…etc…

• Quant à nos communes, ne demandons pas qu’elles s’engagent toutes dans des « Agendas 21 locaux » ou se lancent dans la procédure très minutieuse des « ISO 14001 » qui obligent à passer en revue et à agir sur plus d’une centaine de points (Le Pecq, en Ile de de France s’est engagée dans cette voie) mais plus simplement à voir ce qui peut être fait dans les 25 points dont nous donnons ici une liste.

25 MANIERES D’ENTRER DANS LE DEVELOPPEMENT DURABLE DANS UNE COMMUNE.

1. Pour chaque décision municipale, s’efforcer de prendre en compte, de manière globale (et systémique) les préoccupations :

– de gestions économe
– d’équité sociale
– de respect de l’environnement et du vivant
– et de prévoir l’impact des décisions en chaîne.

2. Promouvoir le relais de générations.

Le développement durable veut dire léguer le patrimoine « emprunté par une génération à celle qui la suit » : associer les générations futures à leur avenir, faire participer les jeunes aux orientations ou actions à engager dès aujourd’hui, faire la place aux jeunes dans les prises de responsabilité.

3. Allonger l’horizon.

Le développement durable suppose d’allonger l’horizon (10 ans, 50 ans, voire un siècle ou davantage pour l’analyse) et de relier le futur avec le présent ; des exercices de « scénarios » sont utiles et doivent être présentés de façon telle que le public et les acteurs y soient bien associés : et quand on tient la trajectoire, afficher des objectifs à 10, 15 ans, par exemple ou même davantage est utile pour faire participer la population.

4. Economiser les ressources, recycler.

Le développement durable, c’est économiser les ressources, surtout celles qui sont peu renouvelables : faire plus pour le recyclage, les économies d’énergie, les économies d’espace, de matériaux, etc… Le problème n’est pas traiter les déchets mais diminuer leur volume.

5. Consommer mieux.

Le développement durable fait appel aux habitants, aux consommateurs et aux commerçants pour que de nouveaux comportements évitent le gaspillage. Se soucier de l’origine et de la trajectoire des produits : c’est la « traçabilité ».

6. Réduire les rejets et tendre à la « pollution zéro ».

Le développement durable doit éviter les pollutions qui blessent, les déséquilibres qui coûtent. S’inspirant du principe « pollueur payeur », les initiatives des entreprises mais aussi de chacun d’entre nous doivent tendre à la « pollution zéro ».

7. Eviter de transférer aux autres.

La pollution, les charges, ne doivent pas être transférées à autrui ; l’amont n’a pas à se débarrasser vers l’aval de ses déchets ou même de ses problèmes.

8. Réduire les risques.

Nous ne pouvons pas prétendre à une société à risque zéro, mais nous pouvons, par la connaissance et la prévention des risques, les réduire d’un tiers, de la moitié même dans certains cas.

9. Décliner le « principe de précaution ».

Le « principe de précaution » c’est ne pas se précipiter à agir quand on ne connaît pas les conséquences de ses actions par exemple pour la santé. La prévention des risques qui pourraient déclencher des catastrophes, grandes ou petites, à effets durables est essentielle.

10. Créer des emplois durables pour une activité durable.

Créer des emplois durables, c’est évidemment un des premiers soucis dans les pays qui ne bénéficient plus du plein emploi et dont l’économie est, de plus en plus, faite d’accidents de parcours, de décisions de grands groupes, de la « mondialisation ». Les emplois à créer devront s’inscrire dans un contexte régional, national et de compétition internationale bien analysés.

11. Prendre appui sur les ressources locales et les valoriser.

Le développement durable, c’est tirer parti de ressources régionales et locales non encore exploitées ou insuffisamment valorisées ; c’est s’ancrer dans le terroir ; c’est privilégier les ressources locales renouvelables.

12. Ménager le territoire.

C’est s’inscrire, à la fois, dans la géographie d’aménagement du territoire et de « ménagement du territoire », évitant les sur-densités, les désertifications, les friches et gardant des espaces « ouverts », etc….

13. Porter attention aux zones fragiles.

Les « zones humides », par exemple, doivent être traitées dans l’esprit de ce qui précède, avec les caractéristiques propres aux espaces fragiles. Il faut les traiter, comme telles, sur mesure, les protéger fortement.

14. Maintenir la diversité.

Le développement durable implique de ne pas voir se réduire l’éventail des patrimoines et de faire attention au maintien des diversités, et, bien plus, de promouvoir les ressources (naturelles, culturelles, humaines…) d’un territoire concerné afin d’en assurer le développement local. La diversité biologique doit être plus que protégée, même en ville où la nature est encore très présente. La diversité culturelle, elle aussi, doit être respectée ; elle doit pouvoir s’exprimer.

15. Promouvoir une agriculture attentive à la qualité, aux milieux.

Travailler la terre de manière durable, planter pour demain , maîtriser les « intrants », gérer les sols : l’agriculture n’est pas seulement une activité économique, c’est un moyen de conserver et d’entretenir l’ espace (bien moins cher qu’un espace vert) etc… C’est faire de « l’agriculture durable .

16. Gérer la cité dans la durée.

Le développement durable ne concerne pas seulement les plans et l’urbanisme mais toute la vie sociale. La cité doit être traitée comme un organe vivant.

17. Lutter contre la pauvreté et l’exclusion.

La prise en considération des populations pauvres, marginalisées ou exclues est au cœur du développement durable qui implique l’équité ; car l’effet induit de la pauvreté est dur pour la vie économique et même pour l’écologie.

18. Assurer une pleine participation : la citoyenneté.

Bien associer des populations. Les femmes, les populations défavorisées, les associations, les jeunes, sont encore trop à l’écart. Le faire c’est mettre toutes les chances de son côté pour que le développement soit vraiment durable. Les entreprises, les syndicats, toute la société civile doivent être aussi parties prenantes à la gestion de la cité.

19. Eviter le suréquipement.

Etre un acteur du développement durable, c’est alléger ou même éviter des équipements coûteux ou ceux dont les coûts de gestion ultérieurs seraient élevés parce que peu ou mal utilisés.

20. Une gestion « patrimoniale ».

Quant on parle de développement, on pense aux investissements ou aux équipements sans se soucier de la gestion, des coûts répétitifs… La gestion patrimoniale « en bon père de famille » est pourtant souvent décisive.

21. Aménager le temps.

« Aménager le temps » dans une ville est important pour l’économie, pour la qualité de la vie. C’est éviter les pointes et les encombrements et réduire les périodes « creuses » coûteuses pour l’économie et l’environnement.

22. Recourir à de nouvelles technologies appropriées.

L’appel à des nouvelles technologies plus « appropriées, plus efficaces, plus respectueuses de l’environnement est une composante à bien prendre en considération. Le développement durable doit ainsi miser sur l’innovation. Il faut se tenir au courant des nouvelles techniques et choisir les bonnes.

23. Assurer le suivi : avec des « indicateurs » et des mesures.

Une politique de développement durable implique un suivi des tendances et des politiques engagées. Le recours, par exemple, à des « indicateurs » chiffrés pertinents est une bonne démarche. Un tableau de bord doit être fourni sur la situation proche et pas seulement nationale sur l’eau, l’emploi, l’air, les déchets, etc….

24. Se situer en international.

Le développement durable se mesure dans la responsabilité : locale, mais aussi régionale et planétaire. Une commune, par exemple, peut aider une commune de pays défavorisé, une entreprise de la localité peut en créer une autre dans le monde ou former des professionnels. Certaines communes s’emploient aussi à encourager le « commerce équitable » surtout pour aider les pays du Sud. Il ne peut y avoir le développement durable s’il n’est pas jaugé à l’aune de la planète. L’effet de serre est un bon exemple, pour relier gestion locale et responsabilité mondiale : un programme territorial d’effet de serre est une bonne initiative.

25. Et le « développement durable ».

Ce n’est pas se glorifier d’en faire ou d’utiliser le mot à chaque discours : c’est y travailler avec soin et en participation avec la population… Ce n’est pas coûteux . A long terme on gagne ; c’est ce que l’on appelle le « win win ».

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Pour l’environnement et le développement durable – Le civisme des temps futurs – Ce qui a changé au XX° siècle – Ce qui pourrait changer au XXI° siècle.

Source : Comité 21.   2000

Auteur : Serge Antoine

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Serge Antoine répond aux questions de Thierry Paquot

source : Revue Urbanisme, N° 336, p.71 à 78, 29 mars 2004

Quelle est votre formation ? Quel est votre itinéraire intellectuel ?
Mon itinéraire est relativement impossible à retracer, mais je vais essayer parce qu’il est quand même marqué de quelques constantes. L’enseignement me paraissait étroit, recevoir des leçons de professeurs me semblait insuffisant, alors j’ai pris du temps sur Sciences Po pour ouvrir deux fenêtres à mon enseignement personnel. La première pour réaliser pendant deux ans des sondages dans la rue, ce qui m’a permis d’ailleurs de rédiger ensuite, sous la direction d’Alfred Sauvy, un mémoire sur les sondages d’opinion publique, et la seconde pour rejoindre Paul-Henry Chombart de Lauwe. J’intégrais son équipe constituée de cinq volontaires et installée au musée de l’Homme ; il fallait pour la rejoindre sauter par-dessus Jean Rouch et Gérard Philipe dont les bureaux de la Cinémathèque étaient installés là ! J’ai passé plus de deux ans avec Chombart à travailler sur ce que l’on appelle maintenant l’écologie urbaine, issue des travaux de l’École de Chicago. J’ai davantage participé à l’étude de la ville dans sa globalité qu’aux études de quartier, tout en privilégiant la cartographie. Paul-Henry Chombart, comme Louis Couvreur auprès de lui, plongeait dans une ville vécue et non pas dans une ville reçue. J’ai beaucoup appris avec lui.

Vous ne découvriez pas simplement une équipe qui travaillait sur l’écologie urbaine, il s’agissait aussi de la découverte d’une ville. Vous n’êtes pas parisien ?
Je suis né à Strasbourg. Ensuite ma famille a bourlingué, beaucoup et partout. Mon père a répondu à l’appel du général de Gaulle, il est parti en juin 1940 en Angleterre et nous avons réussi à le rejoindre non sans mal, puis nous nous sommes installés à Alger.
Je ne suis ni architecte ni urbaniste, je pense que mon intérêt pour le territoire me vient de mon père. Il était polytechnicien, ingénieur, mais il a pu s’occuper en Syrie d’aménagement du territoire et son nom a été associé au plan de Damas. Par ailleurs, puisque nous sommes dans les histoires de famille, c’est lui également qui a d’abord rencontré celui qui deviendra mon beau-père, l’architecte et urbaniste Michel Écochard. Mon père m’a fait connaître de grands noms de l’aménagement, Eirik Labonne au Maroc ou encore Maurice Rotival. Ce dernier m’impressionnait dans son approche européenne. Pour Jean Monnet, l’Europe c’était le marché commun, le charbon et l’acier, mais pour Rotival c’était la géographie : « Constituons ensemble un morceau de territoire autour du Rhin et on fera l’Europe ! » Il a écrit cela dans le no 1 de la revue Urbanisme. À mon avis, c’est une belle utopie de croire que les aménagements du territoire peuvent être vus comme le ciment des peuples. Cette dimension territoriale, insufflée par mon père, est très importante parce qu’on la retrouve en continu au fil de ma vie.

Après la parution du livre dirigé par Paul-Henry Chombart de Lauwe, Paris et l’agglomération parisienne, en 1952, que faites-vous ?
Après Sciences Po, j’ai préparé l’ENA, où j’ai été admis. Ensuite, je suis entré à la Cour des comptes. J’y ai constitué le centre de documentation et contrôlé une vingtaine de communes. Mais le contrôle a posteriori ne nourrissait pas tout à fait mon appétit. Deux semaines après mon arrivée, Chombart me recontactait ; il avait obtenu du ministère de la Construction et de l’Urbanisme un contrat sur la Sambre, autour de Maubeuge. Cela m’a amené à connaître l’urbanisme opérationnel, comme on dirait maintenant. À peine le rapport terminé, fin juin, j’ai reçu un appel comme tous les autres magistrats de la Cour, proposant durant trois mois, juste avant la période des vacances, d’élaborer la planification régionale du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme, de l’Aisne et de l’Oise. Le hasard est parfois extraordinaire ! Je me suis empressé d’accepter et j’ai travaillé sur l’avenir de ces cinq départements, à vingt ans ou trente ans, puisqu’il s’agissait de planification prospective que Pierre Pflimlin, du gouvernement Edgar Faure je crois, avait décidée. À la fin de cet exercice, j’étais horrifié par le nombre de découpages propres à chaque administration. J’ai alerté les responsables : pour décider une planification régionale, il fallait premièrement des circonscriptions un peu homogènes et deuxièmement que l’administration centrale, alors au ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU), ait une vue d’ensemble autour du Premier ministre. J’inventais alors les régions, que j’ai dessinées et dont je fus, pour le décret, commissaire du gouvernement. J’inventais aussi la « Datar » avant l’heure. Le Comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics, relais de la Cour des comptes, m’a confié les rapports sur ces deux sujets. J’ai dénoncé – ce qui m’a valu pendant un temps une interdiction d’accès au MRU – le défaut de relations entre le ministère de la Reconstruction et ceux de l’Industrie, de l’Agriculture, etc. Quant aux régions, le découpage de la France différait selon chaque administration. Chacune avait le sien. J’ai travaillé là-dessus pendant un an : j’ai d’abord superposé les cartes de découpage des différentes administrations sur un grand calque ; puis j’ai étudié le rayonnement des villes et surtout des futures « métropoles d’équilibre » en tentant de distinguer, en dehors de la région parisienne, les villes qui opéraient comme des points d’attraction. J’ai mesuré les attractions exercées par Marseille ou Montpellier, par exemple, en utilisant notamment les zones de chalandise ou les données statistiques se rapportant aux relations par téléphone, très révélatrices (à l’image des données sur les distances à cheval utilisées lors du découpage des départements pendant la Révolution). Après quoi j’ai proposé l’idée à Jérôme Monod, qui travaillait au cabinet du Premier ministre, Michel Debré. Celui-ci, avec Jean-Marcel Jeanneney, avait en tête le projet d’une France à 47 départements. J’ai expliqué à Monod que je pensais aussi que le département était trop petit pour l’échelle de planification, mais je l’ai prévenu que l’échelon politique allait passer quelque deux ans à mettre en place une réforme difficile parce que l’on ne redécoupe pas un pays en deux coups de ciseaux. La réforme sur laquelle j’avais travaillé était toute prête, beaucoup plus facile à mettre en œuvre. C’est celle-ci qui fut appliquée. Les 21 régions se sont créées en six ans par ajustements successifs, en gardant en nombre entier les départements. Dès qu’une administration désirait innover pour ses échelons déconcentrés, elle devait passer par moi ! Pendant cinq ans, j’ai été une espèce de procureur des 21 régions. Je les ai dessinées seul, sans aucun pouvoir politique et sans être allé sur place, deux particularités qui sont impensables maintenant, mais à l’époque il ne s’agissait formellement que d’un regroupement technique1. Ceci nous amène cinq ans avant la Datar. Elle a été créée en 1962, selon mes vœux, mais à ce moment-là, après trois années passées auprès du directeur général de l’ORTF, Christian Chavaron, j’étais à Bruxelles, proche collaborateur de Chatenet, patron de l’Euratom et ancien ministre de l’Intérieur. Je lui avais promis deux ans mais je lui ai faussé compagnie au bout d’un an et demi, ne pouvant résister à l’appel de la Datar, en 1963. J’y ai passé près de dix ans exceptionnels sous la direction d’Olivier Guichard. On avait des rapports tout à fait extraordinaires avec cet homme, qui était un grand patron. Son bureau, quand il n’était pas à la Datar, donnait directement dans celui de Pompidou, alors Premier ministre, ce qui présentait une situation bien supérieure à n’importe quel pseudo-rattachement tel qu’on peut en voir dans les organigrammes. Il n’était pas, en apparence, chaleureux. Il parlait peu, disait le minimum, mais indiquait le sillage. Prenons l’exemple des parcs régionaux, puisque je m’en suis occupé après l’aménagement de Fos et la création des métropoles d’équilibre. En voyage avec Pisani et Pompidou, il découvre les parcs allemands. Rentré en France, dès la première réunion à la Datar, Olivier Guichard émet l’idée d’en créer : nous avons mis plus d’un an à « digérer » cette idée et à la mettre à l’heure française.

Avez-vous rencontré Paul Delouvrier ?
Je le voyais souvent. J’étais en totale opposition avec Delouvrier sur l’objectif des 12 millions de Franciliens, mais je l’ai beaucoup respecté. Avec Guichard, nous avions, à la Datar, inventé les métropoles d’équilibre pour faire contrepoids à Paris dévorant toute la France. Donc nous ne pouvions que freiner Paul Delouvrier, qui implantait ses villes nouvelles à l’intérieur d’un périmètre régional (que j’avais fabriqué, moi !). Je me suis énormément bien entendu avec lui, par exemple, lorsqu’il a ouvert la voie aux équipes pluridisciplinaires des Oréam pour les métropoles d’équilibre. Je me souviens encore d’une réunion à Rouen, vers 1965, où Paul Delouvrier s’est trouvé devoir donner des explications à un parterre d’ingénieurs qui s’étonnaient de la présence dans une équipe d’urbanisme d’un géographe et d’un sociologue ! J’ai pris modèle sur lui pour constituer des équipes pluridisciplinaires des métropoles d’équilibre.
L’anecdote la plus remarquable s’est passée en 1968. Ni la Datar ni bien sûr Guichard n’étaient sur les barricades, mais nous regardions avec intérêt ce foisonnement soixante-huitard. Nous avons mesuré son apport : celui d’une appropriation forte. Les salariés de l’entreprise disaient « c’est mon entreprise », les étudiants, « c’est mon université », etc. Mais ce mouvement d’appropriation restait étranger aux collectivités locales et territoriales. J’étais depuis peu le patron de la revue de la Datar, la Revue 2000, et j’ai pensé qu’il fallait en débattre. J’ai donc, en plein mois de mai, préparé un numéro un peu spécial qui s’est appelé le Petit Livre rouge – il était d’ailleurs rouge. Paris étant paralysé par les grèves, je suis allé dans les Hautes-Alpes pour imprimer cet ouvrage collectif qui réunit les signatures de personnalités comme Jacques Delors, que je connaissais très bien, et celles de toute l’équipe de la Datar, Jérôme Monod en tête, dans une sorte de plaidoyer pour la région. Cette fois au-delà du découpage. Sans budget, sans élu, la région n’était pas encore une institution. Nous avons donc proposé l’élection d’un représentant au suffrage universel. La revendication des soixante-huitards en direction de leur entreprise ou de leur université, nous l’avons ainsi portée au système territorial français. Quand je suis revenu, Guichard m’a tout simplement dit : « Eh bien dites donc, vous en avez fait des choses pendant ce mois de mai ! » Puis, j’ai découvert l’environnement. À la Datar, nous avions terriblement besoin de prospective à vingt, trente et quarante ans, et il y avait peu de gens dans le monde pour travailler à ces horizons. Grâce à Bertrand de Jouvenel et avec Monod, nous avons pu, aux États-Unis, rencontrer les grands spécialistes, Hermann Kahn, Daniel Bell… J’ai énormément appris en prospective, et c’est ainsi que j’ai découvert la naissance de l’environnement en Amérique. J’ai été la première personne à être reçue par la première administration américaine s’en occupant, directement liée au président. J’ai cueilli les idées à froid. Dans l’avion du retour, nous avons préparé deux lettres à l’attention de Pompidou et de Chaban-Delmas pour leur annoncer que la France devait se préparer à prendre en compte une politique de l’environnement, sachant que, le plus souvent, ce qui se passe aux États-Unis finit par nous arriver. Dans le même temps, Chaban-Delmas recevait une lettre similaire de Louis Armand qui, lui aussi, rentrait des États-Unis. Chaban lui a confié un rapport sur l’environnement et nous a demandé, à la Datar, les premières mesures à prendre en faveur de l’environnement. En 1970, Armand a rendu un rapport rédigé par deux jeunes de 17 ans alors, dont l’un est maintenant professeur, toujours militant et qui paraît, pour moi, avoir encore 20 ans. Ce fut le premier rapport français sur l’environnement. Après, les Anglais se sont manifestés en fabriquant un ministère réunissant l’Équipement, le Logement, l’Environnement et l’Intérieur. Chaban a créé le ministère de l’Environnement en 1971 – une première mondiale – directement rattaché au Premier ministre. Il l’a confié à Robert Poujade. Trois jours après sa nomination, Poujade m’a appelé pour me proposer de travailler avec lui, c’est ainsi que je suis devenu son bras droit à l’Environnement. Depuis, dix-huit ministres se sont succédé pour le meilleur ou pour le pire… Je suis, si je me situe parmi les « écolos », plutôt un écolo des villes qu’un écolo des champs. Je suis incapable de distinguer dans la nature une feuille d’une autre, je connais peu le vivant, les « écosystèmes ». Je suis un enfant de la ville. Ce ministère a été marqué par de grands pionniers, Ruffié, Bourlière, Trémolière, Paul-Émile Victor, Tazieff, le commandant Cousteau, ainsi que par une ouverture mondiale, beaucoup plus que tous les autres ministères français. J’étais alors moi-même membre du Club de Rome. J’ai participé à la conférence de Stockholm en 1972 avec toutes ces personnalités que j’ai tenues à faire venir. En débarquant à Stockholm j’ai retrouvé Maurice Strong, canadien, grand utilisateur de prospective, qui était le secrétaire général de la conférence, le pilier de ce premier sommet. Je le connaissais bien, cela a été d’autant plus utile que la France avait fait sauter dans le Pacifique une bombe H la veille de la conférence, ce qui lui a valu la réprobation de toute l’écologie naissante. J’ai revu Strong en 1990, deux ans avant le Sommet mondial de Rio dont il avait la charge, et j’ai intégré son équipe. Là, j’ai surtout investi sur les collectivités locales. J’ai rédigé en grande part le chapitre 282 des Agendas 21 et organisé la réunion des maires qui a eu lieu à Curitiba deux jours avant la conférence de Rio. C’est encore très actuel, car la rencontre de ces 300 maires a débouché sur l’alliance de deux fédérations hostiles l’une à l’autre, la Fédération (française) des cités unies et IULA, la fédération anglo-saxonne créée en 1906. Le mariage aura lieu en mai 2004 à Paris puis à Barcelone ; j’ai contribué à le lancer, il se consomme ainsi après douze ans. Cela pour vous dire que l’histoire est lente.

Vous êtes également l’initiateur du Plan bleu pour la Méditerranée et de la coopération entre les vingt États riverains. Comment en avez-vous eu l’idée ?
À la fin de la conférence de Stockholm, Maurice Strong m’a demandé ce que l’on pouvait espérer de la France. J’ai pensé à son passé colonial, mais aussi aux pays du bassin méditerranéen divisés alors entre trois continents, l’Afrique, l’Asie et l‘Europe, et qui n’avaient jamais créé de véritables liens entre eux. J’ai raisonné en termes d’approche régionale, celui d’un aménagement au niveau d’un grand ensemble géographique. Je sentais là un terrain d’avenir intéressant dans lequel la prospective et le grand aménagement pouvaient se retrouver. En 1975, de ce fait, les pays méditerranéens ont signé à Barcelone une première convention. J’y travaille encore et je suis toujours le représentant de la France à la Commission méditerranéenne du développement durable. Comme vous le voyez bien, les hasards sont en apparence inexplicables… Mon curriculum paraît fait de hasards. Je suis passé par l’ORTF, l’Euratom, etc. Autre exemple, en 1981, lors du changement de pouvoir, Robert Lion, qui était directeur du cabinet de Pierre Mauroy à Matignon, m’a contacté parce qu’il voulait rompre avec l’architecture giscardienne qui obstruait l’horizon ouvert de la Défense. En se réunissant le temps de quelques dîners plateau-repas à Matignon en compagnie, par exemple, de Gérard Thurnauer, on a fabriqué un projet. Robert Lion cherchait à inventer quelque chose qui soit durable comme le fer à la tour Eiffel, j’ai lancé l’idée que l’on devrait bâtir un projet autour de la « communication ». Le projet a été réalisé dans son architecture, mais pas dans sa raison d’être : devenir un centre de familiarisation pour des techniques qui changent vite. Mitterrand, Lang, Attali n’ont pas bien compris. Ma seule satisfaction est d’avoir constitué en grande part le jury qui a eu le choix entre Jean-Paul Viguier et Otto von Spreckelsen. Ce dernier a remporté le concours à cause de la transparence, de l’ouverture, il entrait dans la logique de la communication invisible. Viguier avait cru devoir assimiler la communication à un écran géant : la communication ne se résume pas à l’image.

Quel bilan tirez-vous de ces années 1972-2004 ? Les choses n’avancent pas très vite, semble-t-il…
Non. Je suis d’un naturel optimiste. J’ai toujours dit que trente ans était le temps utile pour obtenir des résultats. Je pensais en 1970 que, en développant une certaine volonté, au bout de trente ans on arriverait à maîtriser tous les problèmes dits « de l’environnement ». C’était mon entrée en matière avec Robert Poujade quand il m’a demandé, au début de son mandat, ce qu’il fallait entendre par environnement ; je lui ai répondu que cela se rapportait à tous les domaines, que tous les ministères étaient concernés : mais c’était d’abord un problème de société. À présent, je suis inquiet. Sans vouloir faire le prophète, je dis que, si nous continuons à ne rien changer, dans deux ou trois cents ans il risque de n’y avoir plus d’humains sur cette terre. Le développement durable, les Nations unies, mais aussi les États, sont d’une lenteur épouvantable.
Quels sont les principaux défis à relever et, bien que tout se tienne, comment les hiérarchisez-vous ? Quelle position adoptez-vous par rapport au développement durable ?
D’abord, je n’ai aucune définition toute prête pour le développement durable et je ne veux pas en avoir. Les Français jugent que c’est une notion floue. Tant mieux. Il se trouve que c’est la troisième dimension floue à laquelle je travaille après l’aménagement du territoire et l’environnement. La vraie question est de passer de l’état gazeux à l’état solide. Je m’emploie à le faire avec d’autres au Comité 21, au Conseil national du développement durable, à la Commission méditerranéenne du développement durable. Cela signifie faire un peu plus de prospective à long terme, réintégrer des valeurs dans nos systèmes de choix, affiner des choix sociétaux, réaffirmer la solidarité entre les pays du Nord et les pays du Sud, être très attentifs aux transformations géophysiques, climatiques, environnementales. En 1967, le conseiller scientifique du président américain, que j’avais rencontré, me confiait que l’important était la fonte de la banquise, le réchauffement de l’atmosphère et l’augmentation du niveau des mers, et que je ne devais jamais l’oublier. Quand je suis revenu en France chargé de ces confidences, l’accueil des politiques s’est révélé plus qu’indifférent. Je porte finalement un regard féroce sur les politiques (je suis pourtant généralement clément). Si retard il y a, c’est parce qu’eux sont en retard.
La politique de développement durable peut s’affiner. Elle se fait en marchant, un peu comme L’homme invisible qui devient visible quand on lui pose des bandelettes. Il faut prendre conscience du fait qu’il s’agit là d’une véritable révolution culturelle, d’une révolution dans les comportements, surtout politiques, à laquelle nos habituels schémas d’analyse sont étrangers. Je ne développerai pas ici tout ce qui est nécessaire pour que le développement durable soit pris en compte. Disons simplement qu’il faut éviter de prolonger la simple approche environnementale et qu’il est nécessaire de s’alimenter de manière systémique aux sources de l’économie, de la culture, du social en même temps que de l’écologie, que l’allongement en prospective est indispensable, qu’il faut transformer tout le monde en « acteurs » et si possible monter des opérations multiacteurs, qu’il faut jouer du volontariat et que les indicateurs de mesure du suivi sont indispensables. Je n’en dirai pas beaucoup plus : le mouvement est en route depuis deux à trois ans dans les entreprises ; les collectivités locales, elles, démarrent en France. Il est encourageant de voir les différents secteurs s’y mettre peu à peu : les agriculteurs, les industriels de l’eau, les forestiers, etc. Côté urbain, les architectes ont une avance avec la haute qualité environnementale (HQE) sur les urbanistes. La réflexion sur la ville de demain a besoin d’être relancée.

En accord avec l’« écodéveloppement », mot consacré par Ignacy Sachs3, vous préconisez un « écohabitat4 », de quoi s’agit-il ?
D’abord un mot sur l’effort entrepris dès 1970 par Maurice Strong, bien avant madame Brundtland, pour réunir en Suisse des économistes du Nord et du Sud : c’est là que je rencontrais pour la première fois Ignacy Sachs et que naissait l’« écodéveloppement ». Pour l’écohabitat, en 1976, j’ai été le coordonnateur de la délégation française au sommet de Vancouver (Habitat I). J’espérais en cette rencontre mais le résultat a été décevant. Elle a produit une littérature abondante mais dont personne ne se sert, les ministres du Logement ne comprenaient pas pourquoi on leur parlait de pauvreté, les États sont restés assez indifférents. Il eût fallu responsabiliser les maires des villes, c’est la leçon que j’ai tirée et c’est pourquoi j’ai proposé à Strong de les réunir juste avant le Sommet de Rio. À Istanbul, lors d’Habitat Il, où Georges Cavallier a bien rassemblé les forces vives françaises, on a assisté à une juxtaposition de déclarations. Ces grand-messes n’apportent pas toujours les résultats espérés ; ce fut le cas à Johannesburg par exemple. Il faudrait profiter de la présence de tous les États pour les forcer à s’engager, chacun selon ses moyens, et afficher des objectifs clairs. L’habitat, au sens des machines à habiter, se met peu à peu au développement durable. L’exposition « Ecologis » qui s’est tenue à la Villette en 1994 est un jalon important que l’on doit surtout à Bettina Laville. La maturation est longue, mais on peut dire que le label HQE qui en est issu a fait beaucoup. Il n’y a pas d’équivalent pour la ville. Il faudra relire l’ouvrage pionnier du MAB (programme UNESCO « Homme et biosphère ») qui a examiné trois villes, dont Rome. La ville est analysée comme un système d’entrées et de sorties de flux, d’hommes, d’informations, d’énergies, d’argent, de ressources, etc. Le philosophe Al-Farabi avait déjà déclaré au Xe siècle qu’il fallait traiter la ville de manière organique, comme un animal. Je trouve cette approche globale très actuelle. Dans un article de la revue Urbanisme, « Vers un écohabitat », j’ai plaidé pour une remise en cause de la manière dont on conçoit la ville, dont on la fabrique, dont on la gère, avec un plus grand égard à la comptabilité des ressources, de l’espace, de l’énergie et du temps. Cela nous mène plus loin que le plan des rues. Il serait utile de dessiner à nouveau la « cité idéale », et cette fois non plus par des « isolés » comme Campanella, Tony Garnier ou Robert Owen mais de manière plus collective. L’appel, nous le lançons encore d’Arc-et-Senans.

Comment êtes-vous arrivé à la présidence d’Arc-et-Senans ?
En 1968, j’ai organisé un colloque sur l’an 2050 qui s’est tenu à Gif-sur-Yvette. Les participants parisiens ne cessaient de téléphoner à leur bureau trop proche, et cela même sans portable à l’époque ; il n’y avait pas moyen de les sortir mentalement de leur univers pour leur faire franchir un saut de quatre-vingts ans ! Pourtant, on avait réuni des invités de marque. J’étais décidé à refaire des exercices de prospective, mais plus jamais si près de Paris. C’est alors que j’ai rencontré l’architecte en chef des monuments historiques d’Arc-et-Senans, Michel Parent, lequel – avec Michel Batisse et Gérard Bolla – a inventé la notion de « patrimoine mondial », qui concerne non seulement le patrimoine construit mais aussi le patrimoine vivant et naturel. Il cherchait à donner une fonction à la Saline, qui bénéficiait de crédits tout frais de la part de Malraux. Ce dernier m’a plus tard encouragé. Ariane Mnouchkine était venue s’y réfugier pendant quelques semaines en 1968. Je m’y suis rendu et la force de cet ensemble construit vers 1778 m’a conquis. Ensuite tout est allé très vite, j’ai rencontré le préfet. J’étais encore à la Datar, et je lui ai proposé un Centre du futur. Le projet, bien accueilli par le conseil général du Doubs, propriétaire, a vu le jour. Trente-cinq ans plus tard, je suis toujours président de ce qui s’appelle aujourd’hui l’Institut Ledoux. On y a fait d’abord de la prospective, beaucoup, puis cette forme de prospective a décliné en France. J’ai pu redonner en l’an 2000 à Claude Nicolas Ledoux (1736-1806) ses lettres de noblesse en présentant, avec l’aide de la mission 2000, une exposition permanente sur les cités idéales. On s’apprête, avec Jean-Louis Véret, François Barré, Georges Theys et Alexander von Wegesack, à célébrer le classement de l’œuvre de Le Corbusier au Patrimoine mondial et à réaffirmer la mission architecturale et sociétale de la Saline. L’histoire des utopies, comme je l’écrivais récemment5, sur une période de deux mille ans peut paraître décevante : que d’échecs, d’impasses et même de totalitarismes au nom du progrès ! Mais la quête n’est-elle pas plus importante que la récolte ? Car l’essentiel, c’est la démarche, l’envie d’utopie. En cela, le développement soutenable appartient, et c’est tant mieux, à l’utopie… Nous allons retravailler à l’utopie de la ville.

Dernière question rituelle à l’invité : quelles sont vos villes préférées ?
Dans lesquelles j’aimerais vivre ? Si c’est le sens de votre question, certainement pas les villes du Middle-West américain, plutôt Boston. Mais je suis d’abord sensible à Barcelone, Rome ou Venise. J’ai beaucoup d’affection pour Alger. En tout cas, ce serait toujours une grande ville.
Propos recueillis par Corinne Martin et Thierry Paquot, à Paris, le 29 mars 2004.

* Revue Urbanisme, no 336, mai-juin 2004, p. 71-78.
1. Voir mon article paru dans Économie et humanisme en novembre 1969, où j’ouvre sur les grandes régions.
2. Extraits du rapport Action 21 de la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (Rio de Janeiro, 3-14 juin 1992), chapitre 28 : « Initiatives des collectivités locales d’Action 21 ».
28.1 Les problèmes abordés dans Action 21 qui procèdent des activités locales sont si nombreux que la participation et la coopération des collectivités à ce niveau seront un facteur déterminant pour atteindre les objectifs du programme. En effet, ce sont les collectivités locales qui construisent, exploitent et entretiennent les infrastructures économiques, sociales et environnementales, qui surveillent les processus de planification, qui fixent les orientations et la réglementation locales en matière d’environnement et qui apportent leur concours à l’application des politiques de l’environnement adoptées à l’échelon national ou infranational. Elles jouent, au niveau administratif le plus proche de la population, un rôle essentiel dans l’éducation, la mobilisation et la prise en compte des vues du public en faveur d’un développement durable. […]
28.3 Il faudrait que toutes les collectivités locales instaurent un dialogue avec les habitants, les organisations locales et les entreprises privées afin d’adopter « un programme Action 21 à l’échelon de la collectivité ». La concertation et la recherche d’un consensus permettraient aux collectivités locales de s’instruire au contact des habitants et des associations locales, civiques, communautaires, commerciales et industrielles, et d’obtenir l’information nécessaire à l’élaboration des stratégies les plus appropriées. Grâce au processus de concertation, les ménages prendraient davantage conscience des questions liées au développement durable. Les programmes, les orientations et les dispositions législatives et réglementaires appliqués par les collectivités locales pour réaliser les objectifs d’Action 21 seraient évalués et modifiés et des programmes d’Action 21 adoptés à l’échelon local. Les stratégies pourraient également servir à appuyer des projets de financement local, national, régional et international. […]
3. Ignacy Sachs a été l’« invité » d’Urbanisme, no 303, 1998.
4. Voir Serge Antoine, « Vers un écohabitat », Urbanisme, no 171, 1979, p. 38-43.
5. Voir Serge Antoine, « Actualité de la Cité idéale, plaidoyer pour l’utopie urbaine », La Jaune et la Rouge, avril 2000, p. 10-14.

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Olivier Lucas Président de l’association des Amis de la vallée de la Bièvre sur Serge Antoine

Journée d’hommage à Serge Antoine le 4 octobre 2006

Je vous invite à reprendre la montgolfière qui était si chère à Serge, et à atterrir dans cette vallée de la Bièvre. Cette association est l’association des Amis de la Bièvre, de la rivière Bièvre et pas seulement de Bièvres, et couvre un territoire assez important qui va des sources de la Bièvre, vers Saint-Quentin-en-Yvelines, jusqu’à Verrières-le-Buisson, là où la Bièvre passe en souterrain.
Serge a largement contribué à créer cette association puisqu’elle est née de la fusion, il y a quarante ans, ce qui en fait une des plus vieilles associations d’environnement d’Île-de-France, de deux associations. Serge dirigeait une association qui avait pour but de créer un espace protégé dans cette région si proche de Paris, et une autre association était née dans la région de Bièvres pour défendre l’environnement contre l’implantation assez massive des usines Citroën au nord de Bièvres. Il est assez intéressant de noter la différence qui est encore bien réelle aujourd’hui entre les associations de défense d’environnement et l’association de Serge qui avait pour but de créer quelque chose. Serge a porté tout au long de sa vie cette différence d’état d’esprit dans les associations d’environnement, et l’a très largement insufflée dans tous les combats locaux et les actions locales de ceux qui se sont investis dans l’environnement.
Je me suis très souvent demandé pourquoi quelqu’un comme Serge Antoine, avec tous ses engagements nationaux et internationaux, s’était autant investi dans une action locale qui, somme toute, sur l’échelle des enjeux, peut paraître d’une dimension inférieure à ses autres engagements. C’était d’ailleurs assez curieux pour moi, président de cette association, d’avoir un secrétaire général comme Serge Antoine. C’était un peu comme si un plaisancier du dimanche avait Éric Tabarly comme équipier ! Mais l’avantage d’avoir ce type de support est qu’on apprend vite beaucoup de choses et donc, nous avons, moi comme tous les militants associatifs, et au-delà tous les acteurs locaux de ce territoire, bénéficié d’une sorte de formation continue permanente qui nous a beaucoup aidés, et qui nous aidera encore beaucoup.
J’ai donc essayé de comprendre cet engagement local, et j’ai pensé que Serge Antoine avait besoin d’implications opérationnelles. Il est assez rare de voir chez quelqu’un cette fusion, dans un même esprit, entre une vision théorique de ce niveau-là et cette implication pratique. Cela ne veut pas dire qu’il faisait tout, sur le plan concret, dans notre association. Il fallait parfois que l’intendance suive, c’est vrai. Il s’intéressait beaucoup à internet, comme on l’a dit, c’est un fait mais c’est quand même Aline qui tapait tous ses courriels. Cela fait partie du personnage, et je pense que de l’idée à l’action, il faisait un pont à sa manière et, en tout cas, il avait ce don extraordinaire d’entraîner les autres dans l’action. C’est donc bien d’implications opérationnelles quand même dont il s’agit.
Je pense qu’en plus, une action locale, comme celle qu’il a menée avec nous, était pour lui une sorte de laboratoire d’idées, d’application de ses idées innovantes de l’environnement. En effet, les idées, même si elles sont théoriques, peuvent rester en friche un certain temps et je pense qu’il avait besoin de voir ce retour sur la population locale, sur les élus, sur les militants associatifs de toutes ses idées sur l’environnement. Il nous a beaucoup parlé d’Agenda 21, et la première fois qu’il en a parlé, nous nous sommes tous regardés en nous demandant ce que c’était. Ce n’est peut-être pas très glorieux de la part de militants associatifs d’environnement, mais pour notre défense, c’était quand même relativement nouveau. Il nous a donc expliqué, et cela nous a permis ensuite d’en parler à certains élus qui d’ailleurs avaient le même regard interrogateur. Il avait besoin de tester toutes ses idées sur le plan local et de les partager, très largement y compris dans des débats publics avec la population. Selon moi, cette fusion entre le haut et le bas de l’échelle de l’implication dans ses convictions est quelque chose d’extrêmement rare, et c’est d’une immense utilité, y compris pour l’avenir de nos actions.
Je ne vais pas vous dresser la liste de ce qu’il a fait dans notre association, ce serait un peu fastidieux. Il a fait énormément de choses, et d’ailleurs, je suis assez surpris de tout ce qu’il a fait pour vous parce que j’avais l’impression qu’il travaillait à plein-temps pour moi ! Il a dû inventer aussi l’ubiquité.
En tout cas, nous avons créé un journal, et nous sommes une association qui édite un journal gratuit à 20 000 exemplaires. Cela n’a l’air de rien, mais nous commençons à challenger certains journaux de la presse nationale. Et surtout, un sujet qui était cher à Serge, c’est le contre-pouvoir de l’information indépendante, libre de toute publicité, de toute subvention, que l’on peut diffuser dans la population. Il a édité beaucoup de choses dont un almanach, une sorte de clin d’œil, un peu pour s’amuser. C’est certes un clin d’œil, mais ce n’est jamais complètement « innocent » car c’est aussi un bon outil pédagogique. Nous avons pu le diffuser dans toute la population, dans les écoles, etc. et il apporte sa contribution dans les mouvements pour l’environnement.
Il s’est aussi impliqué sur des sujets plus importants, et pas seulement à l’échelon local parce qu’ils sont devenus des symboles à l’échelon national voire même international. Je vais les citer.
La réouverture de la Bièvre m’a fasciné quand j’ai participé à cela avec lui. En effet, je me souviendrai toujours du jour où nous avons inauguré la réouverture que quelques centaines de mètres de la Bièvre, à Verrières-le-Buisson. Nous avons vu 150 à 200 personnes (élus, associations, population) s’extasier d’un seul coup devant un petit filet d’eau qui coulait au fond d’une tranchée qui n’était pas tout à fait naturelle d’ailleurs. Il avait bien fallu faire la place à la Bièvre au milieu de l’urbanisation existante. J’ai réalisé brutalement, ce jour-là, l’importance de ce qu’il avait mis dans cette action, le poids du symbole que pouvait représenter, pour tous les gens qui étaient là et ceux qui sont venus ensuite, la renaissance d’une rivière en plein milieu urbain. C’est un symbole qui vaut plus pour l’environnement que bien des discours.
Je prendrai deux autres exemples qui sont directement liés au territoire. Ils me permettront de conclure rapidement sur une des dernières grandes colères de Serge Antoine.
Beaucoup de personnes s’occupent de l’aménagement en Île-de-France. Une proposition, tout à l’heure, était d’encore renforcer la réflexion sur le sujet. Au conseil régional, des personnes s’occupent du SDRIF, l’État y participe aussi avec un jeu d’équilibre assez subtil, un peu trop d’ailleurs selon moi. Il y a aussi le préfet de la région Île-de-France, au nom de l’État, qui a lancé une opération d’intérêt national (OIN) pour aménager une zone que, avec nos associations et Serge Antoine, nous avions pensé pouvoir être un exemple d’équilibre entre les espaces naturels, les espaces agricoles et un certain urbanisme ; non pas un urbanisme zéro et sanctuarisé, parce que vous savez très bien que ce n’était pas du tout l’idée de Serge Antoine, et il a, je pense, largement convaincu chez tous les acteurs locaux que ce n’était pas une bonne idée. Il a réconcilié l’économie, la croissance et le respect de notre environnement ou, au contraire, encore mieux la symbiose représentée par un environnement où on fait venir des chercheurs, où on peut développer des centres de recherche, sans gaspiller l’espace. Une des caractéristiques de l’Île-de-France, dans son aménagement, si vous avez vu les bilans du SDRIF de 1994 par exemple, est quand même un énorme gaspillage d’espace.
Grâce à Serge Antoine, nous avons conduit des actions, avec d’autres associations comme Terre et Cité, où il a – et j’ai compris aujourd’hui que c’était une de ses grandes forces – mis autour de la table des agriculteurs, des associations, des élus locaux. Les associations d’environnement défendent souvent l’agriculture dans notre région, mais sans les agriculteurs, ce qui pose quand même un problème. Par ailleurs, vous savez qu’entre les agriculteurs et les associations d’environnement, ou les partis politiques centrés sur l’environnement, ce n’est pas toujours le grand amour. Il a donc réussi à les réunir et nous avons pu définir, à l’échelle de ce territoire qui est quand même assez exemplaire dans le sud de l’Île-de-France, une politique qui a été valorisée, suivie, défendue par les élus locaux et par une association comme la nôtre.
Il a aussi réussi une grande chose, pas tout seul bien entendu, mais il a instillé l’idée, bousculé les obstacles pour faire classer, dans la région naturelle de la vallée de la Bièvre, la haute vallée de la Bièvre. Pour une région soumise à une pression d’urbanisme considérable, c’est quand même un succès extraordinaire. Il a trouvé à la DIREN, au ministère, avec l’aide de son fameux carnet d’adresses qui va bien me manquer d’ailleurs, toutes les alliances pour faire passer ce décret qui s’est fini en Conseil d’État, et qui a été obtenu à l’arraché avec bien des discussions jusqu’à la dernière heure, jusqu’à la dernière signature.
Je voudrais conclure sur une de ses dernières colères parce que je pense que cette journée d’aujourd’hui doit être tournée vers l’avenir, pour savoir comment nous allons encore pouvoir profiter de ses engagements, de ses leçons. Une de ses dernières colères concerne une certaine inconsistance de l’État. Cela peut paraître un peu contradictoire chez lui, mais vous savez qu’il était un peu iconoclaste, grand serviteur de l’État mais aussi grand râleur contre certaines décisions de l’État. Aujourd’hui, d’un coup de crayon, l’État, pour des raisons affichées qui sont toujours très bonnes (il faut des logements, il faut urbaniser un peu), s’apprête à faire appliquer une solution de facilité qui est d’urbaniser dans les zones qui ne le sont pas. Plutôt que de rénover des centres urbains difficiles à aménager, c’est tellement plus facile de prendre quelques taches vertes dans la région Île-de-France, de passer un coup de bulldozer pour niveler et d’y implanter des centaines de logements.
C’est donc ce que l’on s’apprête à faire avec l’opération d’intérêt national du plateau de Saclay qui est une opération d’urbanisme, voire une opération foncière de la part de l’État puisqu’il met en avant les terrains qu’il y possède déjà. Dans cette région, on s’apprête à remettre en cause l’action antérieure de l’État, celle que Serge Antoine a défendue : le classement de la vallée de la Bièvre par exemple, la protection et la persistance difficile d’une agriculture périurbaine qui a pourtant bien des qualités dans les partages qu’elle peut avoir avec les citadins locaux. On s’apprête donc à fouler au pied toutes les valeurs et les idées de Serge Antoine dans cette région.
Évidemment, une association comme celle que je dirige ne va pas rester sans réagir, mais si vous me le permettez, je ferais quand même appel à vous, à son carnet d’adresses puisque certains d’entre vous y figurent certainement, pour nous aider, non pas à tout rejeter en bloc, parce que dans ces idées d’OIN, il y a aussi la valorisation de la recherche en Île-de-France, des idées tout à fait louables et positives, mais pour lutter contre ce gaspillage d’espace nouveau qui se prépare malgré les enseignements, malgré les leçons qu’on aurait dû tirer, un énorme gaspillage d’espace et un énorme coup de canif dans l’équilibre que Serge et nous avions aidé à défendre dans la région.

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Danielle Poliautre Maire-adjoint de Lille, chargée du développement durable sur Serge Antoine

Journée d’hommage à Serge Antoine le 4 octobre 2006

La dernière fois que j’ai vu Serge Antoine, c’était lors des dix ans du Comité 21. J’étais assise près de lui parce que, souvent, nous bavardions quand nous nous rencontrions, j’appréciais beaucoup. Il était affaibli, mais pas amoindri et toujours dans une joyeuse combativité. J’ai été vraiment surprise, quelques mois plus tard, quand Anne-Marie Sacquet m’a annoncé son décès. J’ai d’ailleurs envoyé un petit mot qui résume un certain nombre de sentiments que j’avais dans cette relation avec Serge Antoine que j’ai découvert plus tard ainsi que nombre d’entre vous.
Je disais : « C’est avec beaucoup de peine que je viens de prendre connaissance de la disparition de Serge. Je le considérais un peu comme mon père spirituel du développement durable et j’avais toujours avec lui beaucoup de complicité. Par-delà sa réflexion qui ouvrait toujours les questions et les possibles, sa gentillesse et sa modestie en faisaient un vrai pédagogue, un sage qui contribue à nous construire. »
J’avais souhaité transmettre le message à sa famille et j’ai eu une réponse de son fils, Emmanuel Antoine, que je connaissais sans avoir jamais fait le lien avec Serge que j’avais connu un certain nombre d’années auparavant. Nous n’avions pas eu l’occasion d’en parler.
J’ai commencé à découvrir Serge Antoine lors de la préparation de Rio. À l’époque, j’étais – comme on dit, dans la société civile – animatrice d’un collectif de préparation de la conférence de Rio, participant d’ailleurs aussi à un collectif national animé, à l’époque, par Patrick Legrand, de France nature environnement, le collectif « Environnement et développement international ». C’est donc à cette occasion que je l’ai rencontré et, au fur et à mesure des années, puisque le développement durable est aussi pour moi un combat très important, je l’ai croisé de plus en plus souvent, de plus en plus régulièrement, dans ce qui a été l’évolution à travers la constitution de réseaux, les réseaux nationaux (Comité 21, 4D) mais aussi des réseaux européens, voire internationaux, auxquels d’ailleurs la France participe encore trop faiblement.
C’est vrai que j’avais toujours avec lui une relation presque filiale. Pour moi, il était un peu celui qui m’apportait une tranquillité dans la réflexion et, en même temps, l’ouvrait très fortement. Ce lien s’est fait aussi beaucoup sur mon histoire, parce qu’il appréciait beaucoup la place de la société civile, et l’importance de la démocratie, pas seulement parmi les élus et les administrations qui évidemment ont un rôle important, mais aussi à travers le rôle de chacun pour apporter le meilleur de lui-même dans cette recherche d’un nouveau développement durable et solidaire dans cette coconstruction qui est en cours et, encore aujourd’hui, trop faible.
Depuis 2001, je suis adjointe au développement durable dans l’équipe de Martine Aubry. J’avais participé à l’animation et l’élaboration d’un Agenda 21 lillois qui a été signé en 2000, et Serge était très attentif à ce qui se passait à Lille et le suivait avec beaucoup d’intérêt. Les collectivités locales sont devenues, depuis quinze ans, parmi les acteurs les plus actifs dans la mise en œuvre du développement durable. Elles sont les premiers maillons du territoire, au plus près des citoyens, pouvant au mieux peut-être les impliquer non seulement dans la compréhension des enjeux, mais aussi dans leur rôle, dans ce que l’on appelle aujourd’hui la nouvelle gouvernance. Cette notion, auprès des citoyens, de solidarité dans le temps et dans l’espace qui est constituante du développement durable, au-delà de la démocratie, était très forte chez Serge. Nous avons parlé tout à l’heure de la prospective, et non de la prospective en tant qu’étude, mais bien de la façon d’inscrire le court terme dans le long terme. Et nous savons combien aujourd’hui, notamment autour des questions de la ville durable, ces questions sont importantes. À Lille, nous travaillons sur des notions d’éco-quartiers, dans le cadre du renouvellement urbain. Comme le dit Martine Aubry : « Comment construire un nouvel art de vivre ensemble ? » Selon moi, cette notion de solidarité dans le temps, avec les générations futures, est extrêmement importante. La difficulté est de savoir comment concilier démocratie, inscrire le temps de la démocratie, avec l’urgence des réponses à apporter. Dans les villes, nous avons de vraies questions concrètes à traiter, et comment avoir les moyens de construire la ville durable en impliquant fortement les citoyens ?
Cette notion de temps est donc une question forte, comme celle de la solidarité dans l’espace. Là aussi, c’était quelque chose de très important pour Serge, notamment avec cette notion d’empreinte écologique. À Lille, nous menons une étude pour analyser flux, matière, énergie pour voir ce que nous prélevons sur d’autres territoires. Nous savons que 20 % de la population mondiale consomme 80 % des ressources et nous ne pourrons pas continuer, si nous voulons un développement durable, à consommer sur nos territoires sans penser à l’évolution des autres territoires, qu’ils soient autour de nous, dans les intercommunalités, mais aussi à l’échelon mondial.
Ces deux notions de solidarité dans le temps et l’espace étaient des notions très fortes et nous avions eu l’occasion d’en parler, notamment dans le réseau de la francophonie, puisque j’étais avec lui à Beyrouth en 2001. Cela conciliait pour lui, encore une fois, deux notions importantes : celle de la citoyenneté, d’ouverture au monde, et cet aspect de la culture.
Je finirais sur un des derniers aspects qui m’a beaucoup émue chez Serge Antoine. Nous étions à Paris dans une préparation de l’Agenda 21 parisien et j’ai annoncé que Lille, qui a été capitale européenne de la culture en 2004, avait intégré un volet consacré à la culture dans son Agenda 21. On aurait dit qu’il savourait un bon gâteau ou un bon vin, d’une manière gourmande ! Il était très joyeux, il avait beaucoup apprécié. On peut toujours avoir le débat pour savoir si la culture est un pilier supplémentaire ou si c’est le tout, on parle de « culture de développement durable ». Selon moi, nous sommes dans un carrefour de changement de civilisation et effectivement, tout cela est très culturel et il avait, là encore, peut-être anticipé.
L’intérêt de Serge Antoine est qu’il savait être dans la pratique quotidienne, sur le changement de comportements avec des citoyens, mais il savait aussi être critique dans les différents niveaux d’organisation de la société. Je suis aussi tout à fait d’accord sur l’idée qu’il est essentiel que les citoyens changent de comportement, l’écocitoyenneté est une notion importante, mais on ne peut pas seulement renvoyer aux citoyens les changements qui appellent aussi des changements aux différentes échelles, depuis notre territoire local jusqu’au territoire national, européen ou mondial. Ceux qui ont des responsabilités importantes doivent aussi être cohérents, nous ne pouvons pas continuer à demander aux citoyens de la cohérence si les pouvoirs publics, en tant que tels, ne montrent pas cet exemple de cohérence. À quelques jours de la « Journée sans voitures », quand on pense que l’on continue à construire des infrastructures qui sont des appels d’air pour le développement de la voiture, je pense qu’il faut que l’on montre aux citoyens que la cohérence ce n’est pas seulement au niveau de leur vie quotidienne, mais qu’il y a des responsabilités à prendre.
Pour terminer, je saluerais l’homme. En effet, tout ce qu’il a fait a été largement présenté, mais je saluerais l’humaniste. Parce que le développement durable, finalement, c’est croire en l’homme, en sa capacité d’organiser l’intelligence collective. Je le dis souvent, mais selon moi, la ressource la plus renouvelable, la plus abondante et peut-être la moins bien utilisée c’est l’intelligence humaine, l’intelligence collective ; comment cette intelligence collective va être mobilisée, appelée, il y a là un gros challenge et c’était vraiment au cœur de ce que pensait Serge Antoine.
Il était aussi un intellectuel, et combien de pistes intéressantes a-t-il ouvertes et qui, heureusement, se sont aussi concrétisées.
Mais il était également un militant joyeux. En effet, quand on parle de développement durable, on parle de problèmes, mais lui parlait de solutions, avec beaucoup de joie, de passion. C’est bien d’avoir de l’espérance à vingt ans, mais quand on arrive en fin de vie et qu’on continue à transmettre l’espérance dans le futur, l’espérance d’un avenir futur commun qui peut être plus durable et plus solidaire, je crois qu’il nous a laissé là un beau message.
J’espère, en tout cas, que sa trace sera indélébile et que tout ce qu’il a suscité et permis de mettre en place trouvera des prolongements et des amplifications. C’est tout ce que je souhaite.

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